Monter sur scène pour retrouver confiance en sa parole
Être bègue et éloquent ? Deux termes inconciliables ? Telle fut la pensée de Julie et Tom lorsque leurs orthophonistes leur ont proposé de participer à la deuxième édition du concours de “L’éloquence du bégaiement” à Lille, dont la finale s’est tenue ce 9 novembre.
« J’avais énormément d’appréhensions pour plein de raisons, parce qu’être confrontée aux bégaiements des autres ça me faisait peur, parce que je me disais ça va être un miroir assez terrible de ce que je vis depuis des années », confie Julie, psychologue de 45 ans. Et pourtant, ce fut elle la grande gagnante de ce concours qui, réservé aux personnes atteintes de bégaiement, s’installe une fois par an dans plusieurs grandes villes de France.
À l’initiative de ce projet, l’association L’Éloquence de la différence dont Anne-Charlotte Mieszaniec et ses collègues orthophonistes sont en charge de l’organisation à Lille pour « essayer de former au mieux les participants ». Cette préparation se résume à la mise en place de masterclass, afin de stimuler sa plume, façonner sa voix ou encore apprendre à construire une argumentation. Un programme assez lourd qui représente 5 à 6 heures de travail par semaine pendant 6 semaines, et dont Tom se réjouit de l’implication dont chacun a fait preuve au cours des séances. Cet étudiant de 22 ans, qui a commencé à bégayer à peu près au collège, évoque le fait que son bégaiement a diminué ces dernières semaines ; notamment grâce au rythme plus lent qu’impose l’éloquence. Pourtant, Tom ne semble pas si sûr que cela soit uniquement lié au concours.
Mieux vivre avec ses mots
En effet, bien que le concours puisse en aider certains à moins bégayer au quotidien ce n’est pas l’objectif premier et d’ailleurs, « le bégaiement n’entre absolument pas en ligne de compte dans les évaluations des membres du jury lors des phases de concours », avoue Anne-Charlotte. Pour Julie, cela a eu clairement un effet sur ce qu’elle appelle « le dessous de l’iceberg », c’est-à-dire la confiance en soi, mais aussi le fait de ne pas appréhender de bégayer : « J’ai refait une formation au SAMU fin de semaine dernière et je n’y suis pas allée pour la première fois me disant : et si je bégaie comment ça va se passer ? : j’y suis allé quoi ». Ah le bégaiement, un méchant cercle vicieux : lorsqu’il fait son apparition, on ne pense plus qu’à ça !
Pourtant, Anne-Charlotte témoigne de la façon dont les candidats ont su s’ouvrir au cours des séances et se décentrer de leurs bégaiements, car au bout du compte ce qui est évalué c’est le fond. Et d’ailleurs, au menu de cette finale, les candidats pouvaient être servis par des sujets tels que « En faut-il peu pour être heureux ? »
Valoriser sa différence
« Quand j’étais jeune, je parlais beaucoup et puis là, j’ai tendance à moins prendre la parole par peur de bégayer », confie Tom. Ce trouble d’affection de la parole qui touche plus de 70 millions de personnes à travers le monde peut avoir des répercussions plus ou moins grandes dans la vie sociale ou professionnelle selon l’association Parole Bégaiement. Ce fut le cas pour Julie lorsqu’on lui a dit qu’elle ne pourrait pas répondre sur la ligne du SAMU à cause de son élocution. Un bégaiement qu’il est important selon elle de faire connaître pour se faire accompagner au mieux dans la société et se dire que finalement « être bègue, c’est une singularité ». Ce concours est une belle occasion pour nous le prouver, faire connaître ce trouble de la parole et nous amener à penser qu’après tout être bègue et éloquent ce n’est pas inconciliable.
par Inès Veissiere
ZOOM SUR...
Le bégaiement, un handicap invisible
Saviez-vous que 20 % de la population mondiale est en situation de handicap ? Et 80 % de ces handicaps sont invisibles. Parmi eux, on peut citer les handicaps auditifs, visuels, moteurs, psychiques ou encore les troubles de la parole dont le bégaiement. Plus précisément, le bégaiement est un trouble du rythme de la parole, caractérisé par des répétitions de mots, de syllabes, par des prolongations de sons, des arrêts et des blocages qui donnent l’impression d’un effort. Mais il faut savoir qu’on ne bégaie généralement pas lorsqu’on parle seul, quand on chante ou joue au théâtre. Le bégaiement est donc spécifiquement lié à la communication en société. Et étonnamment, les individus masculins sont trois à quatre fois plus touchés par ce handicap.
Bien entendu, vivre en étant bègue est un challenge quotidien parce qu’il faut fournir plus d’efforts que les autres. Les barrières et contraintes induites par un handicap ne sont pas uniquement les conséquences d’une condition médicalement identifiée. Elles sont également une conséquence de l’organisation environnementale et sociale et posent de réels enjeux tels que la perception du handicap par les autres et les conséquences sociales et psychologiques qui en découlent ou les difficultés d’insertion professionnelle à cause de possibles exclusions de carrières. Mais le véritable facteur limitant n’est pas le handicap en lui-même. C’est la manière dont on le vit. Et tout n’est pas tout noir puisque souvent, un handicap permet de développer d’autres compétences, voire d’exacerber certains sens.
Pour finir sur une vague d’optimisme, on a trouvé judicieux de vous lister rapidement quelques grandes figures qui ont atomisé les barrières qui se dressaient devant elles, pour vous montrer que même avec un handicap, on peut être super cool dans la vie et avoir une grande carrière ! Par exemple : le PDG de la multinationale Cisco System est dyslexique, Richard Branson, le fondateur de Virgin est TDAH, le PDG de Doctolib est bègue, John Forbes Nash qui a été élu Prix Nobel de Mathématique était schizophrène, Johanna Lucht est sourde et ingénieure pour la Nasa… Bref, tous ces exemples pour vous rappeler à quel point le handicap, quel qu’il soit, ne définit pas une carrière et encore moins une personne !
par Marine WAGNEZ