Derrière la façade colorée de la maison Stéphane Hessel, à Lille, se cache une banque qui fait de la résistance. La Nef, comme son garant le Crédit Coopératif, se définissent comme banques éthiques et alternatives aux banques classiques. Face à l’impact écologique important du système financier, les consommateurs ont un rôle à jouer quand il s’agit de placer leur argent. La démarche menée pour changer de banque représente un geste fort de sens.
Choisir une « banque éthique », un oxymore qui peut fait sourire mais qu’il est important de comprendre pour savoir comment notre argent est utilisé. Pour Lila, étudiante, la question de changer de banque s’est posée assez rapidement : « Au moment d’ouvrir mon compte pour mes études, je voulais une banque en accord avec mes valeurs. » Cliente de la Nef depuis 3 ans, elle se retrouve dans les engagements pris par la coopérative qui par les taux d’intérêts des comptes épargnes reverse cet argent dans trois secteurs déterminés : l’environnement, le social et la culture. Tous les financements effectués sont à la fin de l’année publiés par la coopérative dans un souci de transparence où les noms des entreprises et le montant du prêt accordé sont affichés.

En entrant au bureau de la Nef de Lille, pas de distributeurs, ni guichets, ici tout est géré par deux banquières itinérantes qui s’occupent de la région Hauts-de-France. L’originalité se retrouve aussi dans l’ADN de cette coopérative. Si les clients décident de ne pas bénéficier personnellement de leurs taux d’intérêts de leurs comptes épargnes, cet argent servira à financer exclusivement des projets locaux avec un impact immédiat.
Si le terme éthique est souvent mis en avant, c’est aussi la dimension coopérative qui importe, avec le principe 1 client = 1 vote. La banque Le Crédit Coopératif*, garant historique de la Nef affiche cette idée de collectif qui diffère des logiques actionnariales. « Des réunions avec des représentants des particuliers et des entreprises sont organisées plusieurs fois par an », explique Xavier Hennebel, directeur de Centre d’Affaires de Lille.
Le rôle des banques n’est pas à négliger quand on sait qu’en 2016 et 2017, les grandes banques françaises ont injecté 42,9 milliards d’euros de financements dans les énergies fossiles, selon une étude d’Oxfam. Le système financier peine et freine une transition écologique et les clients bancaires n’ont pas leur mot à dire.

Une autre conception
« On ne pousse pas la porte du Crédit Coopératif par hasard. » Que ce soit pour le Crédit coopératif ou la Nef, les clients faisant la démarche sont déjà sensibilisés à la cause environnementale et s’interrogent sur leurs placements. Aussi, Alice Longuépé aime interpeller son public lors de conférences-apéros en posant une série de questions : « Qui est venu à vélo, qui achète ses fruits et légumes en circuit court ?… » pour arriver à la question choc : « Est-ce que vous savez que sur tous vos efforts, ce qui pèse le plus c’est votre épargne ? »
Mais trouver sa banque n’est pas un long fleuve tranquille : « Il faut être sûr que ce ne soit pas du greenwashing, que la banque soit fiable, prévenir la banque, il faut se motiver à faire ses démarches », confie Salomé*, étudiante en pleine réflexion pour changer de banque.
Et si la Nef se définit comme banque éthique, elle ne possède pas encore le statut réglementaire de banque car elle ne propose pas de comptes courants pour les particuliers. Ainsi, Lila se retrouve dans une situation paradoxale : « J’ai toujours un compte courant à côté, dans une banque classique. » Pour elle, c’est déjà un pas en avant d’avoir un compte épargne à la Nef : « C’est toujours ça, si c’est un petit peu partout… c’est peut-être un début. »
Si les banques éthiques sont considérées comme des alternatives, « il n’y a pas de banque parfaite mais certains acteurs démontrent une volonté crédible de répondre à l’urgence climatique », soutient Raphaël Cros, Chargé de campagne Engagement de la société civile pour le site Change de Banque* qui classe les banques selon leur impact environnemental. Le déclic de choisir une banque éthique devient un geste écologique.
Rapport Oxfam = https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2018/11/BanquesFrancaises_Fossiles_Nov2018.pdf
*Nom anonymisé
*fait partie de l’ONG Reclaim Finance
Ornella Pessus
Photos Le Châtillon
Précision : Le Crédit Coopératif est une des maisons mères, donc appartient au groupe bancaire BPCE qui comprend entre autres la Banque Populaire, Caisse d’Épargne et Natixis, toutes très mal classées par rapport à leur impact environnemental.
Regard sur EACOP
Imaginez un oléoduc reliant Paris à Madrid, émettant autant de tonnes de CO2 par an qu’un pays comme le Danemark. Un monstre pétrolier détruisant la biodiversité sur son passage, délogeant des habitants et les privant de leurs terres. Insensé ? Impensable ? C’est pourtant le projet que porte l’entreprise française Total Energies avec EACOP (East African Crude Oil Pipeline, Oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est). De Kabaale en Ouganda à Tanga en Tanzanie, 1143 kilomètres de tuyaux d’acier pourraient traverser 2 000 km2 d’habitats fauniques protégés, déplaçant des foyers et privant 118 000 habitants de leurs terres. Avec 200 000 barils de pétrole extraits par jour, ce pipeline, maintenu à 50°C, émettra 34,3 millions de tonnes de CO2 par an.
Partout dans le monde, des activistes dénoncent ce projet fou, qui nécessiterait près de 8,9 milliards d’euros. Où l’entreprise trouve-t-elle cet argent ? Dans nos banques et nos assurances. Ce sont nos économies qui servent à financer cette bombe climaticide. Des banques et assurances du monde entier sont concernées : en Afrique du Sud, au Japon, en Chine, aux Etats-Unis, en Espagne, ou encore au Royaume-Uni. Les activistes du mouvement #stopeacop les alertent et se battent pour qu’elles cessent de participer à ce crime écocide. Suite aux pressions des citoyens et des militants, de nombreuses ont déclaré s’être engagées à stopper leurs placements auprès de Total. En France, par exemple, le Crédit agricole, BNP Paribas, Société Générale, Natixis, pour les banques, et Scor Se et AXA, pour les assurances, ont communiqué qu’elles arrêtaient leur financement, même si celui-ci reste difficile à tracer. Cependant, entre 2016 et 2020, la majorité d’entre elles avaient déjà placé de l’argent dans le projet. Ainsi, le Crédit Agricole et BNP Paribas ont auparavant donné chacun plus de 5 milliards de dollars à Total. Le choix d’une banque ou d’une assurance devient alors lourd de conséquences.
Sources :
https://reporterre.net/Eacop-le-projet-climaticide-de-TotalEnergies-en-6-chiffres
https://www.stopeacop.net/pourquoistoppereacop
Terry Martin