Recharger sa voiture électrique à Lille, une mission impossible ?
Sur le papier, ce n’est pas la tâche la plus ardue à laquelle Tom Cruise a du faire face. Et pourtant, recharger sa voiture électrique à Lille, en 2023, est loin d’être un exercice de tout repos. Avec seulement 50 bornes publiques installées par la Métropole Européenne de Lille (MEL), les riverains peinent à alimenter leur véhicule. Peu enthousiastes, ils imaginent l’avenir de l’électrique dans la Capitale des Flandres.
« La voiture électrique, ce n’est pas le futur ! En tout cas pas à Lille ! » Pour Aurélien, qui se rend chaque jour au travail à vélo, la MEL n’y est pas propice. Aménagée pour les piétons et les cyclistes, elle voit les espaces dédiés aux automobilistes progressivement diminuer. Mais contrairement à d’autres grandes villes dans l’hexagone, Lille ne voit pas ses bornes de recharge se démultiplier. Dans une station-service, Mathieu raconte : « Mon frère habite à Paris et il a une borne en bas de chez lui, mais pour moi, acheter une voiture électrique n’aurait pas de sens. » Le “pass pass électrique” ne donne en effet accès qu’à un réseau de 480 bornes de rechargement, tandis que l’île-de-France en héberge plus de 18 000 (Engie).
En se promenant à Lille, on ne tombe jamais nez-à-nez avec une borne de rechargement électrique. Et pour cause, il n’y en a tout simplement pas. En effet, pour ceux qui se servent chaque jour de leur véhicule, passer à l’électrique est pratiquement impossible : « Déjà, ça me coûterait très cher, et quand je vois les équipements à Lille… ça ne me donne vraiment pas envie », raconte Maëlle. Chez les automobilistes carburant encore au diesel, peu envisagent un changement prochain pour l’électrique, en raison du manque d’équipements notamment. Plusieurs évoquent le développement de biocarburants comme une solution viable, qui leur permettrait de garder leur véhicule.
S’ils ne disposent pas d’une borne privée (qui coûte plusieurs centaines d’euros), les propriétaires d’une voiture électrique peuvent (ou doivent), se rendre dans des parkings équipés. Loin d’être idéal, même si Laurent s’en accommode, au moment d’entrer dans un supermarché : « J’en profite pour faire mes courses ! Pour moi ça va parce que je ne m’en sers pas souvent, mais au quotidien ça doit être compliqué. » En centre-ville, c’est en tout cas l’une des seules solutions. En installant des bornes dans les parkings des centre-commerciaux, ces derniers encouragent les automobilistes à profiter de la recharge pour faire leurs courses par exemple.
« On fait les choses à l’envers »
En octobre, TotalEnergies a installé la première station-service exclusivement dédiée à l’électrique des Hauts-de-France, rue du Faubourg de Béthune. Une solution qui se veut ultra-rapide avec une recharge complète en 30 minutes, pour 16 voitures simultanément. Mais qui ne convainc pas pour autant les Lillois : la station reste peu fréquentée. « Un plein me coûte 20€, c’est trop cher » pour Danielle. « C’est loin de chez moi et de mon travail, ça ne me sert à rien », témoigne Guillaume, qui préfère recharger dans un parking. Les automobilistes interrogés préfèreraient voir davantage de bornes en centre-ville, au pied de leur appartement.
La voiture électrique est aujourd’hui une solution privilégiée en France, en témoigne la promesse de campagne d’Emmanuel Macron de la rendre disponible au prix de 100 € par mois. Mais de son côté, la ville de Lille n’est pas à la pointe en matière d’équipements favorisant leur intégration. Elle semble ainsi préférer à l’électrique le désengorgement automobile global, au profit des transports en commun et des mobilités actives. Ces dernières sont d’ailleurs au cœur des projets d’aménagement de la ville, et sont bien davantage citées comme un moyen de se déplacer sans polluer à Lille.
Jean Nowak
Et l'Etat il en pense quoi ?
Sur la voie de l'électrification, les programmes et subventions fiscales, un remède ou un placebo ?
La révolution des voitures électriques suscite un enthousiasme indéniable, mais une réalité persiste : le coût initial constitue souvent un obstacle infranchissable pour de nombreux consommateurs. Face à cette barrière financière, les programmes et les subventions fiscales sont présentés comme des bouées de sauvetage.
Les subventions fiscales, censées être le moteur économique des voitures électriques, soulèvent des interrogations sur leur durabilité à long terme. Si elles stimulent indéniablement les ventes à court terme, elles peuvent également créer une dépendance artificielle.
Les crédits d’impôt, bien qu’ils réduisent le coût initial, ne résolvent pas nécessairement les défis liés à l’accessibilité des véhicules électriques pour tous. Ilona, serveuse de 23 ans confie : « Je suis née dans une génération où la crise écologique inquiète tout le monde, on sait que la voiture individuelle est une catastrophe mais que la voiture électrique est une des solutions plus vertes. Malheureusement, elles ne sont pas abordables… » La question de la disponibilité des infrastructures de recharge dans les zones rurales ou à faible densité de population demeure souvent dans l’ombre des avantages financiers immédiats. Les critiques soulignent également le risque de création d’une bulle sur le marché des véhicules électriques, dépendant excessivement des incitations gouvernementales et de la demande artificiellement stimulée.
Dépendance financière
Bien que les subventions fiscales puissent initialement dynamiser l’industrie, la dépendance excessive à ces incitations peut créer une fragilité économique. Les constructeurs automobiles, par exemple, pourraient se retrouver dans une position délicate si les incitations gouvernementales venaient à diminuer ou disparaître.
Cette vulnérabilité économique montre la nécessité de trouver un équilibre entre le soutien initial et la création d’une industrie autosuffisante. Les gouvernements et les constructeurs doivent collaborer pour élaborer des stratégies visant à réduire progressivement la dépendance aux subventions, tout en favorisant la compétitivité et la durabilité de l’industrie des véhicules électriques.
Cela nécessite également une coopération internationale pour harmoniser les politiques fiscales et encourager une croissance équilibrée de l’industrie des véhicules électriques à l’échelle mondiale.
Diversification, innovation, collaboration
Les constructeurs automobiles doivent jouer un rôle dans cette transition, en diversifiant leurs sources de revenus et en investissant massivement dans la recherche et le développement. Cette démarche permettra non seulement d’accroître l’efficacité et la rentabilité des véhicules électriques, mais également de réduire la dépendance aux incitations gouvernementales. Par exemple la diversification des sources de revenus implique d’explorer de nouvelles opportunités commerciales, telles que les services liés à la vente de solution de recharge, des partenariats avec des entreprises énergétiques et autres. En élargissant leurs possibilités, les constructeurs peuvent atténuer les risques liés à une dépendance aux incitations gouvernementales tout en renforçant leur position concurrentielle dans un marché en constante évolution. Encourager une transition vers des modèles économiques plus durables devrait être une priorité, assurant ainsi la résilience de l’industrie face aux fluctuations des politiques fiscales.
Niya Pretot et Yanis Miliasseau
EDITO : QUAND TESLA ENVOIE SES EMPLOYÉS DANS L’ESPACE
Quoi de plus innovant et révolutionnaire que la firme Tesla fondée par l’ovni Elon Musk. En tout cas, ce ne sont pas ses employés qui diront le contraire. En sondant Sébastien Pichon* l’exemple est frappant. « Tesla a osé rendre l’électrique accessible à tout le monde, on est passé à des modèles qui dépassent les 100 000 euros à des modèles aux alentours des 45 000 euros. » Même si Tesla a été une des premières à proposer des prix aussi bas pour de l’électrique, il est difficile de parler de démocratisation de l’électrique. La déclaration de cet ingénieur en électrique peut légitimement paraître lunaire. La notion du « tout le monde” chez Tesla reste encore en décalage avec la réalité.
Tesla, un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité
Tesla se félicite maladroitement de l’influence qu’elle a pu avoir sur le marché de l’électrique : “Tesla a incité d’autres constructeurs à intensifier leurs efforts dans le domaine de l’électrique et a joué un rôle majeur dans le changement des attitudes de mobilités”, affirme le Nancéien. L’abandon de la voiture thermique pour de l’électrique est une démarche dans l’idée écologique, seulement dans l’idée. Si Sébastien est l’employé d’un Elon Musk qu’il présente comme protagoniste de la lutte contre le dérèglement climatique, il est aussi celui d’un homme qui, par son autre société, Spacex envoie des fusées dans l’espace. Tesla se résume comme un univers contradictoire se rapprochant plus de Mars que de la planète Terre.
*Le nom a été changé pour raison d’anonymat
Roch Paya et Lilli Vermard