Au cœur des failles du Bonus Réparation textile et chaussures
« Bonus Réparation, c’est nouveau, économique et écologique. » Voici ce qu’on peut lire en premier sur le site de Refashion, entreprise missionnée par l’Etat pour mettre en place le Bonus Réparation textile et chaussure. Celui-ci permet d’avoir des réductions sur la réparation de ses affaires. « Nouveau », c’est sûr, le bonus réparation n’est mis en place que depuis le 7 novembre 2023. « Economique » pour les clients sans aucun doute, mais il pose quelques problèmes à certains commerçants. « Ecologique », dans l’idée, oui, mais dans la pratique c’est tout autre chose. Décryptage de cette nouvelle initiative.
Six cents entreprises labellisées sont déjà partenaires avec le Bonus Réparation. L’objectif : encourager à ne pas jeter ses affaires abimées et favoriser l’économie circulaire. Une grille tarifaire a été mise en place pour définir la réduction accordée à chaque type de réparation (8 € pour une pose de patin, 7 € pour faire réparer un trou, etc). Petites et grosses entreprises peuvent faire le choix d’adhérer à ce projet.
Refashion ?
Refashion, c’est l’entreprise qu’a engagé l’Etat pour s’occuper de ce service public. Déjà là, on remarque une contradiction. Pour obtenir un label et devenir partenaire du bonus, rien de plus simple. Il suffit à l’entreprise qui le souhaite de remplir un dossier sur le site de Refashion. Aucun contrôle n’est fait par celle-ci, c’est donc plus un titre indicatif qu’un réel gage de qualité comme le mot “label” le laisse entendre.
Greenwashing ?
Parmi les partenaires, on retrouve principalement les grosses entreprises Des Marques Et Vous, Mister Minit et Zara. Florentine Delesalle responsable marketing chez Des Marques Et Vous explique que « les réparations sont faites sur place, par des couturières qui étaient déjà présentes avant le bonus réparation ». Pour la chaîne, cette démarche est « un levier pour crier haut et fort qu’il y a toujours eu des ateliers dans leurs magasins ». Cela s’inscrit aussi dans un processus de recyclage mis en place il y a plus d’un an avec leur atelier « Red Lab » qui permet de réparer, recréer et revendre.
Cependant, le Bonus ne semble pas s’ancrer dans la logique de toutes les entreprises et ne résout pas le problème de la fast fashion, qui émet 1,2 milliard de tonnes de CO2 par an. Zara est le seul partenaire dans Lille. Pourtant, le magasin est connu pour faire de l’esclavagisme moderne avec la communauté Ouïgours et de l’hyperproduction de vêtements. Pas très circulaire comme économie…
Nous nous sommes rendus dans leurs magasins de afin de connaître leur démarche :
Conflit interne
Les artisans sont peu nombreux à adhérer à Refashion. L’une des premières raisons est que « Refashion n’a pas consulté les indépendants quand ça a été lancé », explique Charly, cordonnier à Villeneuve d’Ascq depuis 11 ans. Malgré tout, lui n’a pas hésité à s’inscrire dans le processus dès le lancement. Pour Charly, c’est « avant tout une opportunité pour le client et pour la planète ». Il trouve cette démarche sensée : « 40 millions de chaussures sont jetées chaque année. Si au lieu de les jeter on les répare, ça évite de les faire produire à l’autre bout du monde. Maintenant, les gens ne pensent qu’à leur porte-monnaie, alors il faut passer par des initiatives comme ça pour avoir un mode de vie plus écologique », confie-t-il.
Charly, cordonnier à Villeneuve d’Ascq © Marieke Rolus
Une autre raison qui repousse les indépendants à adhérer au projet, c’est qu’il renforce la bureaucratie. Même si Charly trouve ça simple : « Ça ne me rajoute que 20 minutes de travail par jour pour tout déclarer », d’autres n’ont ni les outils (ordinateurs, smartphones) ni l’argent nécessaires pour le mettre correctement en place. Pour chaque chaussure ou habit réparé il faut prendre une photo avant et après réparation afin de l’envoyer à Refashion, qui ne les rembourse que deux moins plus tard. Tous n’ont pas les fonds pour être payé si tard. Au-delà de ça, les artisans qui travaillent « au black » * ne peuvent pas faire partie de cette initiative.
Nous sommes allées à la rencontre de deux artisans Lillois, qui ne suivent pas encore le projet, pour avoir leur avis :
Au final, le Bonus réparation textile et chaussures est un service public qui va alimenter une entreprise privée. Sa réelle utilité est questionnable. même s’il apporte une petite solution au réchauffement climatique, il ne répond pas à toutes les questions sociales qui englobent celui-ci.
Article : Johanne Prats
Vidéo : Gaby Millour
Photo à la une : Marieke Rolus
*Travailler au black = travailler sans déclarer ses revenus
ZOOM SUR :
Greenwashing : quand les grandes marques de fast fashion s’emparent de la cause écologique
Dans le contexte actuel du changement climatique, de nombreuses entreprises tentent d’apporter des solutions viables pour assurer la durabilité de nos modes de consommation. Si certaines industries proposent des vraies alternatives, d’autres s’approprient la cause écologique pour améliorer leur image auprès du public, alors même qu’elles participent à l’amplification du phénomène. Cette méthode discutable que les entreprises ultra-productivistes utilisent, est ce que l’on nomme le greenwashing. Pourtant, si de nombreuses associations et médias dénoncent les géants du textile ayant recours à cette pratique, il semble que celle-ci se maintienne.
La plateforme Pre-owned lancée par ZARA fin août 2023 ou son implication dans le dispositif « bonus réparation » illustre parfaitement ce propos. Et pour cause ! Dans le cadre de Zara, ce sont plus de 100 milliards de vêtements qui sont produits chaque année au niveau mondial, une véritable aberration écologique à l’origine d’importants gaz à effet de serre. Il existe donc ici un décalage saisissant entre l’initiative de cette firme souhaitant prolonger le cycle de vie de ses vêtements et les méthodes de productions employées qui rendent ces mêmes vêtements vite usés
L’impact positif de ces actions marketing est d’ailleurs très minime, voire inexistant et s’inscrit bien souvent dans un système d’incitation à la consommation, preuve d’une hypocrisie à peine dissimulée. L’éthique se cachant derrière ces alternatives « durables » n’en devient que plus douteuse.
De réelles alternatives proposées par des organisations préoccupées par la cause climatique émergent pourtant dans la sphère du textile. Dans ce cadre, on peut penser aux friperies qui mettent en avant la seconde main, tout en appelant les clients à consommer de façon responsable.
Eleanor Ndiambourila