Sans-abrisme féminin : sur la piste de réponses adaptées
En France, près de 40% des sans domicile sont des femmes. Leur existence, marquée par l’expérience de la précarité et des violences patriarcales, appelle la mise en place de politiques d’action sociale adaptées. A Lille, l’association ABEJ SOLIDARITÉ œuvre pour un accompagnement conscient des problématiques liées au genre.
En octobre dernier, une enquête parue sur le Bondy Blog fait état de la grave défaillance des prises en charge hôtelières du 115. S’y dévoile le quotidien de femmes, qui ont, sans le savoir, remis leur destin entre les mains des bailleurs. Elles déclarent avoir subi des violences sexistes et sexuelles (parfois sur le mode du chantage) et témoignent de l’organisation de réseaux de prostitution au sein même des structures d’accueil.
Florence Veen, psychopédagogue et autrice d’un mémoire sur le sans-abrisme féminin, reconnaît le “climat d’insécurité genré” qui règne dans ces établissements d’aide. “Malgré leur caractère institutionnel et officiel, ces structures conservent la même atmosphère et les mêmes codes sociaux qu’en rue.” En conséquence, “les mêmes menaces pèsent sur les femmes qui fréquentent ces lieux.”
Quelles causes à ces différences de traitement ? La littérature existante sur le sujet suggère que la sous-représentation des femmes SDF dans l’espace public se répercute sur les politiques sociales, dont elles sont absentes. D’une part, “car les femmes sont majoritaires dans les centres d’accueil et les logements temporaires”. D’autre part, car elles ont plus fréquemment recours que les hommes à un “réseau informel”, trouvant refuge chez de la famille ou des amis, afin d’éviter l’exposition en rue.
D’après Stessy, travailleuse sociale abej SOLIDARITE, cette instabilité caractéristique des publics féminins peut constituer un frein à leur prise en charge associative : “Les femmes bougent beaucoup, donc on les perd très rapidement.” Vincent Morival, directeur du pôle accueil de l’association, sait sa fenêtre de tir restreinte : “Certaines trouvent refuge chez un homme. On ne les voit plus jusqu’à ce qu’elles s’enfuient ou qu’elles rompent.” Il poursuit : “C’est à ce moment qu’il faut qu’on soit disponible pour répondre rapidement.”
Essayer la non-mixité
A plusieurs reprises, la travailleuse sociale souligne la vulnérabilité des femmes sans domicile : “La plupart du temps, elles se cachent. Lorsqu’elles font la manche, elles sont très mobiles, pour éviter les agressions.”. Pour Florence Veen, l’adaptation des comportements à une menace est symptomatique de “la violence de rue”. Elle décrit l’expérience féminine de la rue comme profondément marquée par “une insécurité face à la violence, notamment sexuelle” qui constitue “une source d’anxiété supplémentaire”.
Dès lors, quelles réponses apporter à ces problèmes ? Stessy, qui a travaillé un temps en hébergement d’urgence, lance, avec humour : “Supprimer les hommes !” Sans supprimer les hommes stricto sensu, le secteur associatif s’est emparé du sujet et opère sa mue : “Il existe des structures d’accueil 100% féminines vers lesquelles nous redirigeons certaines femmes qui se présentent à l’accueil de jour”, indique Vincent. Pour ABEJ SOLIDARITÉ également la non-mixité constitue une partie de la réponse aux problèmes des femmes.
C’est justement de cette réflexion “proprement féministe” qu’est né “Les portes du soleil”, premier foyer non-mixte de l’association, ouvert il y a un peu moins d’un an. Plus qu’un refuge, “Les portes” constituent pour certaines de ses résidentes une possibilité d’émancipation de la figure masculine. “Quand elles ne souhaitent plus vivre chez leur partenaire, il leur reste un point de chute. Elles peuvent venir aux Portes.” Encore en phase d’expérimentation, le dispositif semble porter ses fruits. “On accueille des femmes que l’on voyait auparavant à la halte de nuit ou en hébergement d’urgence, pour qui l’accompagnement n’avait jamais tenu, car un homme finissait, d’une manière ou d’une autre, par reprendre le pouvoir sur elle.” D’après Florence Veen, cette approche corrobore les résultats d’une étude d’Elodie Blogie, à savoir “l’importance de proposer des espaces non-mixtes” pour pallier le manque d’attractivité des établissements d’aide”. Certaines femmes évitant de s’y rendre “par peur de rencontrer des individus ayant déjà fait preuve de violence à leur égard.”
Du reste, l’association prend en charge les traumatismes des femmes accueillies via un suivi psychologique personnalisé – assorti ou non de la participation à un groupe de discussion non-mixte. Selon Vincent Morival, pour beaucoup d’entre elles, l’accompagnement psychologique a pour objectif de rompre le cycle des violences : “Nous leur disons : ce n’est pas parce qu’on ne connaît que la violence qu’il n’est pas possible d’en sortir”.
Si abej SOLIDARITÉ se fait un devoir de protéger les femmes sans-abri, la liberté doit continuer de primer. Le directeur du pôle accueil déplore les règlements infantilisants en vigueur dans quantité de structures. “Imposer des heures d’entrée et de sorties, ça fait un peu papa avec sa gamine. Nous, on se bat contre tout ça”.
Axelle Caudevelle
Zoom sur : La figure du sans abri ou l’illustration d’une errance institutionnelle
Clochard, sans-abri ou SDF, autant de termes pour qualifier les personnes dont le logement est instable, ou absent. Sont-elles bien comme présentées par le sens commun ?
Une classe homogène, des individus sans attaches sociales, qui choisiraient l’errance par oisiveté ou en résistance à l’ordre établi ?
Jacques Rodriguez, sociologue et maître de conférence à l’université de Lille, décrit cette figure du SDF comme légitimant leur « contrôle social ». Selon lui en effet le profil généralisé des sans-abris aurait pour conséquence une prise en charge répondant à deux objectifs ; le premier, économique, pour lutter contre « l’oisiveté » et un second, social, concernant « l’errance » de ces personnes.
Les institutions censées répondre au problème seraient alors au contraire responsables d’un renforcement de leur situation d’errance. Le système de prise en charge, mal adapté à la réalité sociale de chaque sans abri, instaurerait une dépendance aux institutions d’accueil et d’aides.
C’est ce que nous confirme Guillaume, pour qui l’obtention d’un domicile est un défi de chaque jour du fait d’un accompagnement irrégulier dont dépend sa capacité à les contacter.
« J’appelle tous les jours* , mais il faut être dans les premiers à chaque fois. Sinon, il y a entre 100 et 200 personnes en attente ».
Si les maraudes ou lieux d’accueil mis en place apportent un confort matériel parfois salvateur, le manque d’accompagnement personnel et péren ajoute ainsi une insécurité relationnelle à leur précarité matérielle. Les personnes dans la rue sont soumises à des relations éphémères qui recentrent la vie de l’individu à l’instant présent, sans réelle capacité de réintégration sur le long terme.
* le 115, numéro national pour les sans abris
Victor Cayeux
Vidéo : Témoignage d'Alain sur la question des femmes et du sans-abrisme
Emma Charles