Les racines de la souffrance psychique au travail
Doit-on se plier aux exigences professionnelles ? Dans ce magasin les employés font la tête, le caissier lance un regard en biais à son collègue. Pas de doute, il y a une tension dans l’air. Un dédain royal pour ses collaborateurs, une légère animosité envers sa hiérarchie, quelque chose ne va pas. La psychologue du travail Marie-Odile Legrand propose une explication à ces tensions devenues banales dans le milieu professionnel.
Quand l’ambiance au travail devient insoutenable, que le réveil est source d’angoisse, une certitude s’impose dans les esprits : il faut s’endurcir pour affronter le monde professionnel. Y aurait-il des forts et des faibles, des gens capables de faire face et d’autres manquant de force de caractère ? Marie-Odile Legrand détruit d’emblée le mythe, « il n’y a pas de forts et de faibles ! » « Cette approche n’est plus beaucoup défendue aujourd’hui mais a été longtemps défendue par le patronat. » Mais alors quelle est la cause de ces difficultés ? « Il y a fort à parier que les acteurs seront malades si les facteurs organisationnels ne sont pas au rendez-vous. » L’attention se détourne donc de l’acteur pour se concentrer sur le décor : combien de clients dans ce magasin, et combien de salariés pour répondre à la demande ? Ces travailleurs, reçoivent-ils les ressources, le temps, l’écoute et la marge de manœuvre nécessaire pour s’épanouir dans leur travail sans que le besoin d’écraser l’autre ne les envahisse ? Pourtant le réflexe commun est d’observer les premiers concernés.
Oser s'imposer
D’ailleurs ces concernés que peuvent-ils faire ? Une solution miracle pour éviter le stress, l’angoisse, et un potentiel burnout ne serait pas de refus. En se basant sur le témoignage de Marie-Odile, nous comprenons que la problématique ne se limite pas à la façon de gérer les relations interpersonnelles, il faut regarder au-dessus. Or, un employé est rarement en position de remanier la structure de son entreprise. En parler au manager, s’ouvrir sur ce qui ne convient pas peut être une solution lorsque l’on est déjà ancré dans une entreprise qu’on ne souhaite pas quitter. Mais rapidement une peur survient, un ennemi tapi dans l’ombre prêt à vous bondir dessus : le licenciement. Un salarié est-il en position de proposer des critiques constructives à sa hiérarchie sans risquer sa carrière ? Le salarié se sent vulnérable et impuissant face à une entreprise qui peut embaucher quelqu’un d’autre à tout moment. C’est un des symptômes d’une société où le chômage touche 7,4% de la population française (hors Mayotte, selon l’Insee).
Le refus face aux abus
Et si on inversait les rôles ? Une nouvelle dynamique est lancée par une partie de la gen z (personnes nées entre 1997 et 2010), et cela commence sur les réseaux sociaux. Alors que @ornaofficiel joue des scènes de travail en représentant des managers ou collègues abusifs, @loewhaley montre comment poser des barrières face à une hiérarchie qui en demande toujours plus. Mettre en garde les nouveaux arrivants contre certains abus, c’est la mission qu’elles se sont attribuée. Les réactions sont massives, les internautes partagent leurs expériences au travail, signalent ce qu’ils trouvent dérangeant dans les propos des collègues ou de la hiérarchie et s’informent de leurs droits. Le pouvoir de dire non est mis en avant, le salarié n’a pas obligation de se plier aux exigences de la hiérarchie ou à une culture d’entreprise abusive. Ce revirement de situation fait redouter à certains patrons d’embaucher des jeunes, leur exigence est assimilée à de la flemmardise. Julia de Funès réagit sur RTL « pour ma génération le travail est une finalité en tant que tel, pour les jeunes le travail n’est pas une finalité, c’est un moyen » « les gens ne veulent pas perdre leur vie à vouloir la gagner ». Lorsque l’affirmation de limites gagne une génération entière, c’est la société et non le salarié qui doit s’adapter.
ZOOM : « Dans le monde du travail, il faut essayer de rester optimiste pour voir qu’il y a mieux le lendemain ».
Cet optimisme, Amine, a réussi à l’avoir à 42 ans après une période dépressive de huit mois au cours duquel angoisse et anxiété s’entremêlaient dans son esprit. Le chômage. Voilà l’élément déclencheur d’une longue période d’incertitude que nous livre l’ancien transporteur de voitures pour l’entreprise CTA (Christian Transport Automobile) en banlieue parisienne.
2022 est l’année qu’il maudit. Cela faisait 20 ans qu’il sillonnait avec fidélité les routes françaises en camion sans jamais se demander ce qu’il ferait en cas de licenciement : « Quand ça t’arrive, tu tombes de haut et tu remets tout en cause». Le chômage que personne n’a vu venir dans la boîte a suscité une vague d’incompréhension. En cause, l’incapacité du fils à reprendre l’entreprise dirigée par son père. Amine, ce père de famille de trois enfants sans diplôme et qualification se disait qu’il ne réussirait pas à retrouver un travail aussi rémunérateur. S’enclenche toute une série de questions autour du manque de perspective, d’avenir et des difficultés économiques : « Il fallait faire des concessions, faire des sacrifices. « On se retenait de partir en vacances parce que l’argent ne rentrait pas. Moi, je voulais travailler, mais, c’était dur de retrouver un emploi car j’étais démoralisé et j’en pleurais la nuit, je le cachais à ma femme et à mes enfants ». Ces mois de déprime sont ceux où les chômeurs tournent en rond entre attentes et incertitudes. France Travail, anciennement Pôle Emploi l’orientait vers des métiers qui ne lui convenaient pas, il se sentait dans une « impasse ». En dehors de l’aspect productif, le rapport au travail a changé dès les années 2000. Certains, comme Amine, y cherchaient une bonne rémunération, une utilité et un épanouissement personnel et étaient hostiles aux lettres de motivations et CV, des méthodes de recrutement qu’Amine juge dépassées : « Ca sert juste à faire stresser les gens ». Temporairement, il s’est ensuite reconverti professionnellement en chauffeur VTC à son compte, a fait marcher son réseau de clients qui, en persistant, l’ont embauché dans une nouvelle société.