Aider les autres et être rémunéré, est-ce de la solidarité ?

by Eve Ordoqui
Créée en 2016 dans le but de favoriser les livraisons de courses alimentaires à domicile, l’application Yper et son fondateur Cédric Tumminello se veulent porteurs d’entraide et de solidarité. Deux facteurs essentiels au bon vivre en société qui sont néanmoins remis en cause par les commerçants utilisant l’application, peu convaincus par les réels bénéfices apportés par Yper.

Depuis la pandémie du COVID, de plus en plus de consommateurs évitent les magasins et supermarchés, et choisissent le numérique pour recevoir leurs courses à domicile. Une nouvelle tendance favorisée par l’essor des plateformes numériques, par la facilité de recevoir ses commandes sur le pas de sa porte, ou bien car les consommateurs n’ont simplement « pas le temps » de vivoter entre les rayons selon leurs dires.

C’est cette dernière raison qui a poussé Cédric Tumminello à se lancer dans le projet, afin de répondre à une demande conséquente de personnes « n’ayant plus le temps de se déplacer », auxquelles il s’identifie. « Quand on a des enfants en bas âge, que l’on débauche tard, que le drive est fermé… La livraison à domicile c’est parfait. »

Cette livraison se distingue des autres. À travers Yper, ce ne sont pas des professionnels qui la prennent en charge, mais des particuliers appelés « shoppers ». Pour la plupart, c’est une fois leur quotidien de travailleur achevé qu’ils enfilent ce costume et se rendent disponibles, prêts à livrer.

bouteilles de vin de La Cave d'Aurélien, partenaire d'Yper ©Louise Basson
bouteilles de vin de La Cave d'Aurélien, partenaire d'Yper ©Louise Basson
bouteilles de vin de La Cave d'Aurélien, partenaire d'Yper ©Louise Basson
bouteilles de vin de La Cave d'Aurélien, partenaire d'Yper ©Louise Basson

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé 

« shoppers », un statut qui pose question

Ils réalisent le trajet « commerces-consommateurs » et présentent des avantages pour les commerçants, à en croire le fondateur d’Yper. « La livraison par un particulier permet aux commerçants de déléguer une partie assez importante de leur travail, et d’éviter les contraintes d’assurances et les frais personnels auxquels ils seraient confrontés si eux-mêmes devaient livrer par leurs propres moyens. » Un gain de temps pour les responsables de magasins, qui peut leur permettre de terminer leurs journées de travail plus tôt. En revanche, ce schéma ne s’avère pas payant d’un point de vue financier. En effet, que ce soit Aurélien, caviste lillois ou bien Corentin, primeur rue Gambetta, les deux hommes s’accordent sur le fait que le coût d’utilisation d’Yper « reste assez élevé ».

Les frais d’utilisation conséquents servent notamment à rémunérer ces fameux « shoppers » qui en profitent pour « arrondir leurs fins de mois », même si la rémunération est encadrée. « Les shoppers ne peuvent accumuler plus de 4000€ à l’année», nous apprend Cédric Tumminello. « C’est une barrière qui leur permet de garder ce statut de particulier. » Un statut important aux yeux du fondateur de l’application mais qui pose question, rappelant notamment le statut d’auto-entrepreneur des livreurs œuvrant pour les sociétés internationales comme Uber Eats ou Deliveroo, à travers lesquelles les livreurs ne possèdent pas de couverture sociale.

Aurélien Chuteaux, propriétaire de La Cave d'Aurélien, utilise Yper quelques fois par mois
Aurélien Chuteaux, propriétaire de La Cave d'Aurélien, utilise Yper quelques fois par mois ©Louise Basson
Thibault Defour, fleuriste au magasin Oh Les Fleurs!, utilise Yper plusieurs fois par semaine ©Louise Basson
Thibault Defour, fleuriste au magasin Oh Les Fleurs!, utilise Yper plusieurs fois par semaine ©Louise Basson

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé 

Solidaires ou motivés par un salaire ?

Si ce statut de particulier est remis en cause pour son côté précaire, il reste important aux yeux de certains, selon les créateurs de l’application. « Nous avons régulièrement des retours de consommateurs qui affirment qu’être livrés par des non-professionnels est plus agréable, que l’entente y est plus cordiale, et que la solidarité se fait davantage ressentir. »

En effet, c’est cette notion d’entraide qui est mise en avant par l’application. Son créateur témoigne : « Nous recevons régulièrement des retours de livreurs qui affirment être très heureux de pouvoir rendre service et de prendre un peu de leur temps pour aider les autres. » Un avis qui diverge avec celui de Thibault, fleuriste, qui utilise l’application à raison de deux ou trois fois par jour mais qui pointe du doigt le fait que les « shoppers » soient très pressés, « avec la volonté de faire le maximum d’argent possible en peu de temps ».

L’application Yper permet donc à n’importe quelle personne de pouvoir en aider une autre, en mettant en place une rémunération incitant les livreurs à multiplier les trajets. Une pratique qui ne colle pas vraiment à ce que représente la solidarité, que nous pourrions définir comme l’aide à une personne sans l’assurance quelconque d’une récompense en retour. Sans cette rémunération, trouverions-nous autant de particuliers prêts à livrer à l’issue de leur journée ? Rien n’est moins sûr…

Titouan Verron 

Ubérisation : ces plateformes devenues notre quotidien

En savoir plus sur l’ubérisation du travail :

Depuis la crise du Covid-19, l’ubérisation de l’économie en France se voit comme la révolution même du travail. En effet, elle présente peu d’obstacles pour entrer sur le marché et fait bénéficier des heures de travail flexibles. Mais sous ses airs d’un travail plus libre les travailleurs ne se frotteraient-ils pas à une nouvelle forme de précarité ?

Être son propre patron, travailler quand on veut et où on veut. C’est ce que promet le statut d’auto-entrepreneur que proposent les entreprises de la gig economy.

Mais la gig economy, c’est quoi ? C’est tout simplement l’économie à la tâche. Une forme de travail qui se développe de plus en plus depuis la crise du Covid de 2020, elle est notamment appelée « économie de la flemme ». La croissance de la gig economy a entraîné la multiplication des plateformes de livraisons en ligne.

Cependant, une nouvelle forme d’économie se développant sur Internet rime avec une mauvaise régulation du travail. Sous la flexibilité de l’auto-entrepreneur ou du livreur particulier, se cache un vrai gain pour les entreprises. Elles se voient notamment exonérées des charges patronales. C’est une manière pour eux d’échapper à toutes les règles du Code du travail. En prenant ce statut, les travailleurs ne possèdent aucune couverture sociale, pas de congé maladie, ni de congé annuel ou de retraite : s’ils ne travaillent pas, ils ne sont pas payés. Et concernant la sécurité du livreur, ou de l’emploi, elles sont quasiment inexistantes.

Néanmoins d’autres entreprises telles que Lille Bike tendent à faire de leurs livreurs des salariés.

À Lille Bike : « On déteste l’ubérisation » nous dit Grégoire Caillibotte membre de l’entreprise. En activité depuis 2015, le service de livraison à vélo cherche à se professionnaliser depuis 2 ans. Lille Bike a alors décidé de faire passer ses livreurs en contrat CAE, afin de bénéficier d’une protection sociale. Cependant, le salaire des travailleurs n’est toujours pas fixe.

Naëlysa Boubtita

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