Les drags Queens sortent des caves pour performer sur les plus grandes scènes mondiales pendant que certains États et pays leur interdisent d’exister. Mais derrière les perruques, paillettes, talons, se cachent des histoires singulières, marquées par les LGBTophobies. Les Kings, Monsters, Créatures, Queers peinent à émerger. Où sont-iels ?
« Pour qui c’est le premier drag-show ici ? Toi, ma chérie ! Ah, bon courage ! » Enbystial lance le bestial show, il est 20h et une seule personne lève la main à la question de la grande dame aux yeux peints sur scène. Une seule, parce que le drag lillois maîtrise sa scène, connaît son public. Rares sont-ils, aussi engagés, engageants, presque aussi performants que celleux qui performent.
Pour beaucoup, le drag, c’est suivi de « Queen », dans la lignée de RuPaul’s Drag Race, émission américaine pionnière créée en 2009 aux États-Unis. Alors, dans l’imaginaire collectif, un peu hétéro, les drag Queens, ce sont ces hommes gays qui se déguisent en femmes, crient, baisent, dansent, se droguent. C’est beaucoup plus grand : reprendre des codes de genre et les performer, les rendre absurdes, engagés et créer de nouvelles identités. Existent des personnages complètement différentes qui transcendent les arts scéniques et stylistiques.
Trois jours après le show, je rencontre Loar. Même bar, assis·es à une table qui occupe la place où elle performait, voilà 72 heures, au bestial show. « Loar, c’est une extension de moi, elle rassemble ma féminité, mais aussi tous mes démons, là où les gens m’ont dit ‘tu es bizarre, trop étrange’, j’ai pris tout ça, et maintenant je suis encore plus bizarre, c’est un doigt d’honneur à tous ces gens. » Loar, c’est une drag créature, tendance Queen, elle sort des sentiers battus, prend des codes féminins et les tord en mille, elle est entourée des grandes têtes du drag lillois qui host (mot anglais qui signifie « hôte » utilisé pour parler d’un.e drag qui organise et invite d’autres performeur.euses sur un événement) celles qu’on connaît nationalement : Star Girl, La harpie, Karmia… Mais où sont les kings ? Difficile de sortir des scènes ouvertes, explique Loar. « En fait, c’est comme si dans la société, il y avait une mini société des personnes LGBT, et puis au milieu, il y a les drag, encore une mini société, et là, se reproduisent des schémas de domination, sauf que ce sont les femmes qui sont au-dessus. »
Retourner à la scène locale
Au niveau international, la franchise Drag Race France est la première à inviter des drag Kings dans sa première édition de 2022, quelques minutes à l’écran, arrière-plan. En France, Juda la vidange est le premier king à être invité sur une radio nationale, dans l’émission Zoom Zoom Zen sur France Inter. C’était le 14 février 2024.
Loar avance : « Une amie m’avait dit : les hommes font du drag par admiration pour les femmes, les drag Kings, c’est pour critiquer les hommes. » L’art qui critique les hommes peine à émerger. Grande partie des performances Kings exposent les violences patriarcales que vivent les personnes sexisées, les critiquent, parodient, les renversent.
Les drag Queens, dans une forme classique, représentent des idéaux féminins exacerbés : attirantes, belles, envoutantes. Elles répondent, souvent à leur insu, à un fantasme masculin ancré. Ainsi s’affrontent ici des genres d’un nouveau genre, toujours combinés, même dans des espaces militants, à des dynamiques patriarcales de normalisation des caractères sexués. La norme dans l’art, comme l’écrit Julie Beauzac, diplômée de l’école du Louvre et à l’origine du podcast plusieurs fois récompensé « Vénus s’épilait-elle la chatte ? », « a contribué à normaliser la domination masculine et la blanchité comme la référence unique et neutre ».
Les drag Queens avancent sur les grandes scènes, s’ouvrent à nos parents, grands-parents, ami·es hétérosexuel.les et cisgenres, mais n’oublions pas d’autres formes d’un art pluriel présent.es sur des scènes plus locales.
Par Eloïse Adamo
3 questions au Drag King lillois Nixe Amère
Comment es-tu entré dans le monde du drag ?
D’abord j’ai commencé avec un stage de burlesque. Puis parallèlement j’ai découvert le drag comme pratique. Et je suis tombé.e sur une performance du drag king Louise de Ville en soirée par hasard. J’ai été convaincu.e et à mon deuxième stage de burlesque j’ai commencé à y ajouter un peu de drag.
Qu’est ce que ça t’apporte de te mettre dans la peau d’un personnage ?
Au départ, ça m’a beaucoup aidé.e à me sentir légitime dans la communauté LGBT. J’étais une meuf bi avec une longue histoire de relations hétéros avant alors le fait d’avoir un personnage public qui suivait la culture queer m’a permis de me faire une place dans tout ça. En plus, je fais de la scène depuis toujours (notamment du théâtre) et j’avais arrêté à un moment. Alors le drag ça m’a redonné cet exutoire.
Pourquoi drag king-queer et pas drag queen ?
Quand j’ai commencé le drag, je ne voyais pas de meuf cis faire du drag queen donc je l’ai même pas envisagé comme un possibilité. Du coup quand j’ai construit le personnage de « Nixe Amère », j’ai plutôt utilisé les stéréotypes de la « masculinité toxique ». Puis plus tard avec mon coming-out non binaire, la question du genre s’est élargie et j’ai voulu jouer des codes de masculinité avec mon drag. Je me suis beaucoup questionné.e sur ce qu’était la masculinité et puis au final, je me suis dit que comme le personnage que je présentais était un drag king, je pouvais réinventer ce qui est considéré masculin. Par exemple, je me suis rendu.e compte que je préférais ne pas aplatir ma poitrine puisque ça tendais à me faire complexer, et comme je considère que c’est censé être émancipateur, je me suis dit c’est con. Aujourd’hui j’ai décidé que mon drag pouvait avoir de la poitrine.
Par Juliette Jaffrot