Quand les encres coulent, le plastique danse
Posted On 14 mars 2024
0
119 Views
Pratique purement esthétique pour certains ou biais de transmission de valeurs pour d’autres, le tatouage a toujours été une manière symbolique de s’exprimer. « J’aime me faire tatouer parce que je trouve ça très beau, mais aussi parce que dans vingt ans, je me souviendrai du moment que j’ai vécu. On oublie trop souvent qu’on vit. » Les tatouages de Mélissa n’ont pas forcément de significations profondes, mais ils décorent son corps des instants de vie. Ce besoin de reconnexion avec son propre corps est cependant parsemé d’embuches : pour obtenir ces ornements, il existe de nombreuses règles d’hygiène à respecter.
En effet, dans un but sanitaire, le tatouage est un métier qui génère une consommation de plastique énorme. Les artistes professionnels sont soumis à des formations d’hygiènes et de nombreuses réglementations. Tout doit être stérile ou du moins à usage unique pour assurer de bonnes conditions de cicatrisation et éviter les infections. Quand Arthur (@arthurorigolo) n’est pas en cours dans son école d’art, il tatoue à l’Atelier.3. « C’est trop bien comme sujet, c’est le thème de ma thèse ! » A travers ses dessins insouciants de fleurs et d’oiseaux, il est conscient de l’impact environnemental de son art. « Dans le monde du tatouage, le plan de travail se compose pour la plupart des artistes de caps pour l’encre souvent en plastique, de protection de leur machine, et d’une bonne quantité de sopalin afin de nettoyer. »
En se démocratisant, la pratique du tatouage a permis aux individus de le considérer comme un véritable symbole de libération. La peau devient tableau, où l’on peint l’image de soi que l’on désire. L’univers du tatouage se transforme cependant, porté par une conscience écologique : ce besoin de reconnexion avec la nature et soi-même entraîne une remise en question personnelle et des alternatives se développent. Même si elles nécessitent encore des améliorations, il est possible pour les tatoueurs et tatoueuses de doter leur salon de protections en fécule de maïs, de caps en papier et d’encres véganes et biologiques qui ne pollueront pas les eaux.
La pollution humaine est une problématique systémique qui touche tous les domaines, et dont le tatouage n’est qu’une infime partie. Héloïse s’est lancée dans l’univers du dessin à l’encre en tatouant quelques amis au handpoke, une technique ancestrale de tatouage à la main. « Personnellement, je ne trouve pas que l’univers du tatouage soit le plus polluant. Ce n’est pas mon point de vue qu’en tant que tatoueuse mais c’est aussi mes idées politiques. Ça ne s’applique pas que dans le monde du tatouage, ça s’applique pour tout ».
Tant pour les artistes que pour les personnes tatouées, l’inquiétude écologique devrait devenir une inquiétude dans n’importe quel domaine, et les alternatives écologiques, une priorité. Dans notre société hyperphagique et avide de consommation, produire génère forcément une pollution. Le tout est alors de savoir la quantifier, la maîtriser, et la minimiser, pour permettre un monde plus durable et des comportements plus respectueux.
À ses débuts, les encres étaient élaborées à partir de mélanges naturels Le noir, provenant de la suie ou du charbon, fut le premier pigment utilisé.
Ainsi, le premier corps tatoué jamais retrouvé est la momie Ötzi, vieille de 5300 ans. Présentant 61 traits sur l’ensemble de son corps, ses tatouages auraient été faits à partir de charbon, selon les archéologues, qui privilégient la piste curative pour expliquer leur présence.
Pendant l’Empire romain, la recette de l’encre a évolué. Inspirés par les Grecs qui marquaient les esclaves, les Romains utilisaient de l’écorce de sapin égyptien, du bronze corrodé, du vinaigre, des galles et du vitriol pour marquer leurs soldats et éviter qu’ils ne fuient.
Les Maoris de Nouvelle-Zélande utilisaient, eux, des pigments provenant de ressources locales, tels que le kauri gum et le charbon, pour réaliser le ta moko, leurs tatouages traditionnels. Ces substances étaient mélangées avec de l’huile pour créer des encres épaisses et durables.
Si d’autres populations possédaient également leur propre recette, l’utilisation de pigments naturels ne garantissait pas de rester durablement sur la peau. C’est pourquoi des nouvelles techniques ont été élaborées au XIXe siècle, au dépens de l’environnement.
Ces nouvelles encres traditionnelles développées à base de pigments non-organiques, pouvaient contenir des métaux lourds tels que le plomb, le cadmium, le chrome et le mercure. Lorsque ces encres entrent en contact avec l’eau, elles peuvent être à l’origine de la contamination d’écosystèmes aquatiques. De plus, la production, la distribution et l’élimination de celles-ci peuvent contribuer à la pollution atmosphérique et terrestre.
Aujourd’hui, si la composition actuelle des encres dites “synthétiques” est considérée comme plus stable et plus sûre sur le plan sanitaire, elles n’en restent pas moins dangereuses pour l’environnement. En effet, certains composants synthétiques peuvent être difficiles à dégrader, entraînant une accumulation de déchets plastiques lors de la fabrication et de l’élimination des encres.
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.
pour plus d'infos