À Lille, face à la « mixité sociale » et la gentrification de « l’éco-quartier » des Bois-Blancs, le quartier populaire des Aviateurs n’aurait aucune chance. Au dépens des immigrés et des familles précaires, la Ville et l’État, ainsi que le privé, ont choisi leur solution pour imposer leur volonté politique — tout raser, ou presque…
Sur la pointe de l’île des Bois-Blancs, la verdure contraste avec un terminal de conteneurs sur l’autre rive. Construite dans les années 1960, l’ancienne cité industrielle des Aviateurs abrite immigrés et familles précaires. La cour de l’école maternelle et le terrain de jeu du quartier sont vides, seule une mère joue avec son fils. Juste à côté, un conteneur fait office de déchetterie improvisée avec une pile de déchets, de meubles, de matelas.
Les six barres d’immeubles ? Délabrées. Les boîtes aux lettres ? Défoncées par la police pour débusquer les cachettes de stups. Les portes de certains logements ? Barrées empêchant les squats. Tout rouille. Tout pourrit. C’est une cité abandonnée…
Avant la destruction, l’abandon
Pourquoi cet abandon ? En 2019, après avoir lancé un projet de rénovation urbaine avec l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) et la MEL, le bailleur social public LMH (Lille-Métropole-Habitat) revend les bâtiments au groupe privé Vilogia. Dès cette année, trois des six barres d’immeuble seront démolies, le reste rénové.
Depuis l’annonce, le quartier est figé dans le temps. Une partie des habitants est relogée, tandis que l’autre ne voit que rarement les agents de maintenance du bailleur. Tout est plus ou moins laissé comme tel. Certains habitants ont l’impression de ne plus être les bienvenus : « On gêne, on fait tache dans le paysage. » Il a fallu que Deûl’Air, une association de défense des locataires, soit créée pour les faire entendre.
« Il s’agit très clairement d’un projet de remplacement de populations, selon Marc Leblanc, adhérent à Deûl’Air. On disperse les populations les plus défavorisées sans se soucier de leur avis ni de leur attachement à un quartier ou de leurs relations sociales. »
Des habitants qui vivent dans le quartier depuis plus de vingt ans se retrouvent relogés à l’autre bout de la ville. Ainsi, une mère célibataire a par exemple été relogée dans un logement social à La Madeleine, alors que ses enfants resteront scolarisés au Collège Lavoisier.
« Certains sont correctement relogés, par exemple les locataires qui ont participé à nos côtés aux rencontres avec le bailleur Vilogia », constate Deûl’Air. La mobilisation des locataires semble améliorer leur situation ou, en tout cas, limiter les dégâts.
Arthur Betton
Effacer, effacer, effacer
D’autres inquiétudes surgissent aussi, notamment écologiques. « Si on peut en rénover 3, pourquoi pas 6 ??? », s’interroge une affiche militante accrochée dans la rue à propos de son bilan carbone. Une politique contradictoire avec la gentrification du quartier des Bois-Blancs, labellisé « éco-quartier » et accueillant l’incubateur de start-ups Euratechnologies.
Finalement, c’est la justification qui ne passe pas. Véritables mots d’ordre de l’ANRU, la « mixité sociale » sert d’explication à ce projet et 420 autres en France. Marc Leblanc voit dans ces discours une manière de « se donner bonne conscience ». Sollicitée, l’ANRU n’a pas pu faire suite ; Vilogia n’a pas souhaité répondre.
« L’objectif de la mixité sociale est louable : mélanger les habitants, précise Faustine Balmelle, élue à la Ville de Lille et à la MEL dans le groupe Lille Verte (Génération.s), sauf que ce n’est qu’aux pauvres qu’on le demande. Est-ce qu’on le fait dans les quartiers riches ? Non. Surtout qu’aux Aviateurs, c’est du social à 100 %, mélanger demande nécessairement de diminuer cette part. »
« Bien sûr, la mixité sociale est souhaitable, mais quand il s’agit d’un quartier comme les Bois-Blancs, la mixité se joue à l’école, dans les commerces, dans les associations, dans les services publics. Chacun aime plutôt vivre à côté de gens qui lui ressemblent, un voisin avec qui on peut partager des goûts culturels, partager ses loisirs, échanger sur des soucis d’argent et tout ce qui fait la vie quotidienne », analyse Marc Leblanc. « Un quartier capable de mélanger les milieux sociaux dans un club de foot ou dans un centre social peut avoir des zones d’habitations homogènes sans problème. »
Au-delà de ce discours rhétorique, c’est aussi une question des profils des habitants de quartiers populaires. « Les “populations dangereuses” (les “apaches”, les “loubards des banlieues”, les “jeunes arabes”) restent le fantasme des “gens bien”, développe Marc, décrivant une majorité précaire de livreurs à domicile et d’agents de nettoyage, le trafic de drogue qui gangrène partiellement nos quartiers renforce ces sentiments et justifie un mépris de moins en moins masqué. »
Lukas Barbier
Un nouveau ministre du “délogement et de l’immobilier”
« On vit une période de bascule dans la question du logement social », comme Marc Leblanc, militant de l’association Deûl’Air, nombreux sont ceux qui luttent face à l’abandon des élus locaux devant une politique rigoureuse de l’État détruisant les logements.
Cette politique ne passe pas inaperçu notamment depuis février 2024, seulement quelques jours après la parution d’un rapport de la fondation Abbé Pierre sur le mal-logement, lorsque le député Renaissance Guillaume Kasbarian est nommé ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé du Logement.
Les organisations impliquées sur le terrain sont unanimes dans leur mécontentement face à la désignation d’un soutien d’Emmanuel Macron, comme Deûl’Air qui suspecte alors l’arrivée d’une politique encore plus hostile pour les mal-logés.
Quelques mois après son arrivée, durant les manifestations liées aux retraites, Guillaume Kasbarian déclarait sur X : « Il est peut-être temps d’arrêter de distribuer autant d’aides à ceux qui n’ont aucune conscience de ce qu’ils coûtent aux contribuables. »
En juillet 2023, alors député, il s’était rendu célèbre avec la loi « anti-squat », en proposant de tripler les sanctions contre les squatteurs. Dans la foulée de l’adoption de ces mesures, l’Organisation des Nations Unies alertait sur leur susceptibilité « d’augmenter le risque de sans-abrisme. »
Surnommé « ministre du délogement et de l’immobilier » par l’association Droit au Logement, le ministre signait il y a quelques années une tribune où il proposait de revenir sur la trêve hivernale pour sortir certains propriétaires de situations difficiles.
Alors que 15 millions de personnes sont concernés par la crise du logement selon la fondation Abbé Pierre, la solution reste alors inconnue, face à des actions et politiques de l’État toujours plus méprisantes selon certaines associations.
Audrey Rania Alain Honliasso