Au sortir de la trêve hivernale, l’heure est à la question du choix de se loger différemment pour les Français. Louer et habiter autrement sont-ils encore des envisageables, quand bien même le système est monopolisé et saturé par une législation et un accès à la propriété inégal.
Louer différemment. C’est bien le sujet qui ressort lorsqu’on parle d’abord de crise du logement. Au moment où la France compte 40% de locataires (en 2022 selon l’INSEE), les interrogations portent sur l’opacité et l’immuabilité du système traditionnel. Ce dernier reflétant réellement un monopole démesuré des agences immobilières et des propriétaires. Au-delà de ce constat, pourquoi semble-t-il impossible d’innover et de créer de nouvelles solutions de location/logement.
Agences et "maxi-propriétaires"
Le constat aujourd’hui est celui-ci : pour espérer avoir un logement, la plupart des locataires se tournent vers des agences. Rien qu’à Lille par exemple, on compte pas moins de 196 agences immobilières pour près de 142 000 biens immobiliers. Le nombre d’agences a d’ailleurs drastiquement augmenté au sein de l’Hexagone depuis 2021. Par ailleurs, le marché de l’immobilier est face à une inégale répartition de la propriété en France, en particulier chez les jeunes ménages selon une étude de l’INSEE. En effet, il existe en France ce qu’on appelle des « maxi-propriétaires ». Ils représentent seulement 3,5% des ménages mais possèdent à eux seuls la moitié des logements loués par des particuliers en France. L’autre possibilité de location, c’est de passer directement par un particulier, ce qui relève plus du parcours du combattant que d’une promenade de santé (cf. graphique ci-dessous). Pour des locataires dits lambdas les justifications et garanties dépassent bien souvent la limite du raisonnable.
Infographie détaillant les critères pour louer un bien. Réalisé par Arthur Betton.
Participer à plusieurs pour se loger
Pour se loger, l’idée de cohabiter fait sens. Quoi de mieux que disposer d’un bien également réparti, où l’idée de contraintes et de rapports verticaux entre propriétaires et locataires n’existe plus. L’habitat participatif émerge donc au sein des idéaux, d’ailleurs disposant d’un statut juridique depuis le 24 mars 2014 avec la loi Alur. À Lille, un peu moins d’une dizaine d’habitats participatifs sont en projets, dont trois en travaux : deux à Bois-Blanc et un à Fives. Ces solutions plus concrètes apparaissent dès lors viables tout en s’écartant du système classique. Contacté par mail, Éric, membre du collectif « Les cailloux verts » (projet à Fives) explique ses motivations. « Ça nous permet d’habiter ensemble un lieu intergénérationnel et convivial dans le respect de chacun.On cultive la bienveillance et on apprend à décider collectivement. » Néanmoins, ce système est plus axé vers une optique de « propriété collective ». À nuancer donc.
Un système à bout de souffle
Innover et se loger différemment apparait dès lors comme une démarche quasi-exceptionnelle, tant les règlementations sont strictes. Les solutions apparaissent annihilées. Le cas concret des yourtes illustre ce concept de légifération poussée. Pour installer un habitat de ce type, il est obligatoire d’effectuer une déclaration préalable de travaux ou un permis de construire, de prévoir un réseau d’assainissement ou encore d’obtenir une autorisation municipale, qui sera à renouveler tous les ans. Et encore, il ne s’agit là que d’un exemple. Ce qui est intéressant de se demander donc, c’est la mainmise de l’État sur le choix d’habiter de manière différente et plus autonome. Le système traditionnel serait-il à bout de souffle, justifiant alors cette dernière cartouche ?
Hugo Bauer
Photo Arthur Betton
Pourquoi est-ce si difficile de trouver un logement ?
Vidéo par Lukas Barbier
Édito : De quelle garantie parle-t-on ?
Il y a ceux pour qui le logement est un tourbillon d’incertitudes fait de baux courts et de recherches interminables et ceux, au contraire, pour qui le logement devrait assurer sans faute une source de revenus stable. C’est ainsi que j’appréhende la question du garant. Imaginez : vous sortez à peine d’un véritable parcours du combattant pour trouver un appartement correcte et abordable. Soudain votre futur propriétaire (que vous ne connaissez que depuis quelques heures), se met à vous questionner sur l’épargne de votre grand-mère. Ou pire, de votre sœur, si, comme c’est le cas pour mes voisins du dessus, celle-ci est investisseuse en cryptomonnaie au Portugal.
Quel peut donc être le sens de cet étrange rituel ? Difficile de croire que votre propriétaire s’inquiète sincèrement de la santé de votre mémé ou qu’il envisage de monter un projet d’investissement offshore avec votre sœur depuis les îles Caïmans. La réponse est ailleurs. C’est faire du logement un bien marchand comme les autres. Un bien dont les bénéfices sont prévisibles et certains et qui permet donc d’assurer un patrimoine à long terme. En somme, le garant, c’est la garantie du bénéfice du propriétaire.
La finalité du marché de l’immobilier (il est d’ailleurs intéressant de relever qu’on parle de « marché ») est-elle alors toujours d’assurer un logement à tous. Le logement ne devient-il pas plutôt une rente ? Si tel est le cas, rien d’étonnant alors à ce que l’indifférence règne devant l’explosion du sans-abrisme.
Pourtant, d’autres garanties existent elles aussi. Le droit au logement assuré par l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU. Ne pourrait-on pas imaginer un monde où les locataires exigeraient à leur propriétaire des garanties de logement décent à un prix abordable ? Si cette proposition peut nous paraitre absurde, il apparait nécessaire de réaliser que l’actuel système de garants l’est tout autant.
Vincent AMAR