Jeu de société, enjeu de société : quand les bars jouent cartes sur table
À Lille, les bars à jeux forment un petit cercle souvent très prisé. Gérants, habitués et curieux se retrouvent autour de plateaux de jeu dans ces lieux où convivialité rime avec évasion. En plein essor, le bar à jeux est un lieu ouvert, de découvertes, de rencontres, de partages amenant ainsi un brin d’humanité aux échanges. Mais, au-delà des simples moments de jeu, ils répondent à un vrai appel collectif. Du besoin de déconnexion au renforcement des liens sociaux, ces établissements sont des temples du lâcher prise.
Dans une époque où les interactions sociales semblent parfois aussi fragiles que les pièces d’un jeu de Jenga, le besoin d’évasion, de déconnexion et de réconfort devient précieux.
Au 12 Rue de Pas dans le Vieux-Lille, l’atmosphère est conviviale. Comme tous les soirs, Vincent, le responsable ludothèque et évènementiel du Dernier Bar avant la Fin du Monde, ne se contente pas de servir ; il prend aussi plaisir à converser avec ses clients : « On veut que les gens se sentent à l’aise, et prennent du plaisir à jouer et discuter. » Depuis sa création en 2015, ce bar n’a cessé d’évoluer. Initialement conçu pour réunir les passionnés de pop culture et de l’univers « geek », il s’est peu à peu métamorphosé en un lieu d’évasion et d’échanges.
Pièce maîtresse dans la création de lien social
Si certains ne mentionnent que brièvement ce mal lorsqu’on leur parle de l’influence de leur bar à jeu, l’impact social de ces lieux est indéniable.
Ils donnent à certains la possibilité de s’exprimer plus librement qu’ils ne le feraient dans un bar classique : « Notre force, c’est de proposer à la fois un service de consommation et une dimension ludique. » Ce type de pratique séduit notamment une clientèle qui peine à trouver satisfaction dans d’autres endroits consacrés à la sociabilisation : « Moi qui suis un ancien introverti, cet entre-deux du salon et du bar me va à merveille ! C’est beaucoup plus intimiste que de grands bars où il est parfois difficile de communiquer », confie Thomas, habitué du Dernier Bar avant la Fin du Monde. Ces établissements, par essence, favorisent l’interaction. Qu’il s’agisse d’un simple jeu de cartes ou d’une aventure stratégique complexe, chaque partie invite à la communication, à l’entraide et parfois même à la compétition amicale. Dans ces moments, les silences deviennent rires, les barrières tombent, et même les plus introvertis se prennent au jeu.
L’engouement autour de cette pratique ne semble pas prêt de s’effriter. Pour Quentin Chevin, responsable de la vente et service aux clients « au beau jeu » : « Tout le monde commence à aimer les jeux. C’est plus aussi ringard qu’avant puisque les personnes ont pris conscience du plaisir que jouer peut procurer.»
En effet, la crise du COVID19 a exacerbé le désir collectif de jouer, de se rassembler et d’élargir son cercle social. Une tendance que les propriétaires de ces établissements n’hésitent pas à confirmer. Pour répondre à cette demande, de nombreux espaces ont vu le jour, offrant aux individus en quête de sociabilité, la chance de se rencontrer et d’échanger physiquement, loin de l’univers des réseaux.
Se déconnecter pour mieux se reconnecter
La société tire un constat alarmant sur le temps passé devant les écrans, au point de ne plus savoir où donner de la tête. Les yeux trop souvent rivés sur nos écrans, il est parfois nécessaire de retrouver un peu de spontanéité dans une société chevillée par les échanges virtuels.
Entre deux parties, Audrey, cliente du Dernier Bar avant la Fin du Monde, jette un coup d’œil à ses messages avant de renchérir avec sourire : « C’est la première fois de la soirée ! Mais j’adore venir ici car on oublie son téléphone pendant le jeu. Les gens se regardent, échangent, rigolent, et c’est un peu magique. »
Et même si les bars à jeux ne se présentent pas explicitement comme des sanctuaires anti-écrans, ils y participent activement. Jouer à un jeu de société, c’est d’abord prendre le temps de s’arrêter, de rire sans émojis en passant du temps avec des proches ou même des inconnus. Les interactions ne se mesurent plus en notifications mais par des rires, des regards complices ou des stratégies.
Pour beaucoup, cette pause loin de l’agitation numérique devient une véritable nécessité. Benoît, qui travaille comme assistant d’éducation dans un lycée, a les yeux rivés sur les consignes du jeu Endeavor : « Quand je viens ici, je ne pense pas à parler travail. Chaque soir, j’ai hâte de m’attaquer à un nouveau jeu, parfois complexe comme celui-ci. C’est aussi pour cela que l’on vient, on réfléchit beaucoup mais c’est satisfaisant, c’est le jeu ! »
Vecteur de bien-être
Les bars à jeux constituent une échappatoire à cette pression constante de performance qu’impose la société, tant dans les milieux professionnels que personnels. Bulles de répit ou bien sas de décompression, la liste pour qualifier ces espaces est encore longue.
Une fois le seuil d’entrée franchit, « On oublie tous nos problèmes. Même si on perd, ce n’est pas grave », souligne un fidèle du bar Au beau jeu.
Dans une ambiance chaleureuse où le seul moment déplaisant est celui qui marque la fin d’une partie, perdre est l’occasion de repartir une nouvelle fois, le sourire aux lèvres. Un retour à la légèreté salutaire dans une société où l’on valorise trop souvent la réussite à tout prix. Les bars à jeux sont victimes de leur succès avec au menu, convivialité, détente et amusement. À travers cette approche ludique, ces lieux réussissent à aborder avec subtilité, certains enjeux sociaux actuels. Alors que vous soyez à la recherche de nouveaux amis, d’un moment de répit loin des écrans ou simplement d’un refuge face aux pressions du quotidien, ces bars ont trouvé la formule gagnante alliant amusement et relaxation. Jetez les dés et vous verrez !
Titouan Gaborieau
Zoom : Les différences entre ludothèques et bars à jeux
Lille compte plusieurs bars à jeux. Pour ce qui est des ludothèques, c’est une autre histoire ! Mais d’abord, c’est quoi la différence ?
Pour le Larousse, une ludothèque est un « local comportant une collection de jeux, de jouets qu’un organisme met à la disposition du public, en particulier des enfants. » Il peut aussi s’agir de « l’organisme en lui-même ». Un bar à jeu n’a pas de définition officielle mais peut être considéré comme un bar classique où les jeux ont une place centrale et sont présents en nombre. On peut y jouer en payant la location du jeu pendant la durée où l’ont est au bar.
Ces définitions permettent de différencier ces deux lieux de part les services qu’ils proposent et le public touché. Quentin, salarié de Au Beau Jeu, témoigne : « on a tous une manière différente de consommer les jeux de société et ce n’est donc pas le même public dans les ludothèques et dans les bars. » Une ludothèque est en effet plus prisée du public familial. La palette de jeux qu’elle propose, ses horaires, son lien avec les écoles et la possibilité d’emprunter des jeux pour quelques semaines n’y sont pas étrangers.
Ce n’est donc pas du tout la même ambiance et les motivations pour aller dans un endroit plutôt que l’autre, même si elles restent tournées autour de l’envie de jouer, diffèrent aussi. Dans un bar, c’est le passage d’un bon moment autour d’un jeu avec des ami.e.s qui est recherché quand une ludothèque est vraiment plus dédiée à l’apprentissage d’un nouveau jeu ou à un moment en famille.
Liv Roinel