Mission impossible autour de la gratuité des transports en MEL
Alors que Dunkerque, Douai ou encore Montpellier ont misé sur les transports gratuits, la Métropole Européenne de Lille dit non à une mesure qui aurait pu alléger le porte-monnaie de ses étudiants. Une mesure jugée impossible selon la MEL et Frédéric Héran, économiste des transports car bien trop coûteuse. Mais quelques pistes peuvent être envisagées pour réduire à l’échelle personnelle ce coût.
C’était il y a 6 ans, et déjà, Dunkerque mettait en place l’usage du bus gratuit dans toute son agglomération. Une décision populaire qui séduit les étudiants dunkerquois en témoigne Maxence, 20 ans, étudiant en droit : « C’est pratique et en plus, ça ne nous coûte rien ! » De quoi donner envie à certains étudiants lillois rencontrés : « C’est assez cher je trouve, autant les billets que les abonnements » indique Maëlle, 18 ans, usager du métro payant 27€ par mois pendant tout le long de son année universitaire – soit 270€ sur la période septembre- fin juin.
Pourtant, la gratuité des transports pour les étudiants (18-25 ans) est une mesure qui a bel et bien été étudiée par la Métropole Européenne de Lille ces dernières années. Malgré tout, elle apparaît inenvisageable pour des raisons économiques comme l’évoquait Damien Castelain, président de la MEL, au micro de France Bleu Nord, le 10 janvier 2022. « La gratuité totale c’est 135 millions d’euros en fonctionnement. C’est inaccessible. » En ce qui concerne la gratuité pour les moins de 25 ans, elle constituerait une perte de recettes (évaluée en 2021) s’élevant à hauteur de 30 à 35 millions d’euros. Deux raisons économiques qui impliquent que le Président de la MEL a rejeté catégoriquement une telle mesure.
Une question de priorités financières et politiques
Interrogé sur le sujet, Frédéric Héran, enseignant-chercheur à l’Université de Lille, spécialisé dans l’économie des transports, explique cette incompatibilité avec Lille. « La Communauté Urbaine de Dunkerque est riche puisqu’elle abrite de nombreuses grosses entreprises qui payent des taxes. Les recettes des bus étant faibles (8%), ils s’en sont passés et ont fait payer le surcoût d’investissement en renonçant à un autre projet (l’Arena). Mais Lille ne peut se le permettre. Les recettes sont bien plus importantes, plus d’1/4, ce qui fait qu’on ne peut y renoncer. De plus, Lille est relativement riche mais tout de même moins que Dunkerque. »
Frédéric Héran est catégorique en assurant que « si le problème est le revenu des étudiants […] et si l’effort de réduction des transports publics doit être fait alors il doit être soutenu par les politiques. » Selon lui, augmenter les bourses – régionales et étatiques–, indépendamment du revenu des parents, serait bien mieux par exemple. Aussi, il met en garde sur le risque de sédentarité des jeunes que pourrait provoquer la gratuité avant de remettre totalement en question son efficacité quasi-nulle sur le plan environnemental.
Des réductions «bon plan» pour les étudiants
Des solutions existent.
En 2016, Ilévia met en vigueur une tarification sociale permettant aux habitants de la MEL ayant un quotient familial (CAF) inférieur ou égal à 716€, de bénéficier d’une réduction sur leur abonnement.
Depuis une loi de 2009, l’entreprise pour laquelle vous travaillez est dans l’obligation de prendre en charge 50% de l’abonnement du trajet domicile-travail. Dans la fonction publique, le taux de remboursement s’élève à 75% depuis 2021. Idem pour les étudiants en alternance.
Une autre réduction – récente mais pas des moindre – concerne « l’abonnement annuel V’Lille » qui, du 1er jusqu’au 31 octobre, est gratuit. Enfin, 27€ par an sont versés aux usagers en guise de dédommagement des perturbations essuyées depuis la rentrée.
Kireg Hébert
Louise Boudier
Montpellier : un laboratoire de la gratuité des transports en France
Bien que la MEL ait écarté l’idée de la gratuité totale des transports, 36 villes en France, dont Montpellier, ont fait le pari inverse. Ce débat fait l’objet d’une réflexion approfondie par les experts de l’Observatoire des villes des transports dans “La gratuité des transports : une idée payante ?”. Cet ouvrage examine à la fois les bénéfices escomptés, concernant l’augmentation significative du nombre d’usagers, mais aussi les défis financiers et les effets secondaires à long terme. Ainsi, deux camps se dessinent parmi les spécialistes de la mobilité : les anti et pro-gratuité.
Montpellier constitue un exemple concret de cette expérimentation ambitieuse, lancée fin 2020 et portée par le maire Michaël Delafosse. Elle met d’abord en place une taxe sur les entreprises pour financer cette politique, la rendant viable économiquement. Le financement de la gratuité, point central du modèle montpelliérain, repose sur plusieurs axes : favoriser la transition écologique pour lutter contre le réchauffement climatique, tout en mettant en œuvre une fiscalité spécifique pour compenser les pertes de revenus, en particulier pour les étudiants et les familles modestes touchées par l’inflation.
L’ouvrage met également en lumière l’augmentation de la fréquentation due à la gratuité des transports, notamment parmi ceux qui avaient renoncé à utiliser les transports en commun à cause de leur coût, préférant la voiture. Cette politique permet donc de réduire la pollution de l’air et ses effets néfastes sur la santé publique. Cependant, le livre souligne que la polarisation entre pro et anti-gratuité est en réalité superficielle. La mise en place de cette politique dépend des spécificités de chaque métropole, rendant sa généralisation difficile sans une réforme en profondeur du financement des transports, comme le démontre le cas de la MEL.
Yamina El Hadj Ali