Le 11 novembre dernier, pour commémorer la fin de la Première Guerre mondiale, soldats, familles et bénévoles ont perpétué la mémoire des “morts pour la France” à Lille. La mémoire de guerre est également mise à l’honneur au sein du musée de la résistance à Bondues tout au long de l’année. Néanmoins, l’enthousiasme n’est souvent que temporaire et la mémoire de guerre semble de plus en plus en plus désinvestie par les jeunes générations.
Ce lundi 11 novembre, le ciel bleu de Lille, qui oscille si souvent avec le gris, se mélange parfaitement à la vingtaine de drapeaux tricolores qui surplombent la place Rihour. Le mémorial aux morts, taillé dans sa pierre blanche se dresse quant à lui au-dessus des roses rouges qui parsèment les sols pavés. Ce jour-là, la mémoire n’est pas seulement présente dans les esprits, elle transparaît sur le visage animé de la foule présente. Pourtant, une fois les festivités finies, le calme revient et le souvenir se tarit de nouveau.
Se souvenir pour l’avenir
Transmettre est un devoir qui incombe d’une génération à l’autre. Comme le dit un officier : « Quand on célèbre comme ça une action de mémoire, ça fait partie de la formation de la jeunesse. Pour moi, il y a une vertu éducative et pédagogique. Le fait que des enfants aient chanté la Marseillaise, c’est important. Donc, on travaille pour l’avenir, on travaille pour nos jeunes. Aujourd’hui on ne célèbre pas les morts. » L’’histoire ne se suffit donc pas à elle-même. Ce qui a existé ne l’a vraiment été que si les sociétés se chargent de faire perdurer le souvenir des événements passés.
Cela passe par l’implication de la jeunesse. C’est à elle que le souvenir doit être transmis. Une transmission qui ne se fait pas par les morts mais bien entre vivants. Et c’est par la participation et l’engagement que la mémoire peut perdurer. Ainsi elle subsiste dans le présent alors même qu’elle réside dans le passé. « Cela nous permet de célébrer la “vertu sacrifice”, qui est quelque chose dont on n’entend plus beaucoup parler. C’est être capable de donner sa vie pour des valeurs qui sont plus fortes que soi. » Ainsi, la mémoire peut revêtir une dimension symbolique avec des valeurs qu’il est important d’honorer.
L’école est en dessous de tout”
Tout le monde ne se sent pas pour autant concerné par le devoir de mémoire, c’est ce que souligne la maman d’Elian : « j’ai deux autres enfants, deux ados qui n’ont pas daigné se lever pour venir ce matin. Ça donne le sens des priorités des jeunes je pense ». Ce désengagement s’explique par des adolescents qui sont de moins en moins sensibilisés à leur histoire. Un phénomène qui peut être rattaché à un problème de formation scolaire entre autres. L’officier précise : « ce n’est pas des valeurs dont j’entends parler, ni dans les médias, ni dans la famille ni même à l’école d’ailleurs ». Le passé n’est plus suffisamment évoqué, les agents socialisateurs ne mettent pas la priorité sur la mémoire de guerre, hormis lors des événements majeurs, négligeant son importance le reste du temps. C’est une sorte d’invisibilisation par l’éclat : l’héritage historique est associé à certaines dates emblématiques ce qui empêche une prise de parole, un intérêt régulier à son égard.
Pierre Dutilleul est bénévole et guide au musée de la résistance à Bondues, il est souvent chargé d’accueillir des classes : « L’école est en dessous de tout. Quand je parle des Juifs, quelquefois il y en a qui disent “Ah ouais, on a insulté les Juifs, ils le méritaient’’. Ces propos sont inqualifiables ». L’école ne serait donc plus assez sensibilisante, elle ne jouerait pas son rôle d’éducation à la mémoire. Toutefois, cet avis doit être nuancé surtout quand on sait que cette dernière est l’institution qui s’investit le plus dans le domaine. En effet, selon le ministère de l’Education nationale, en 2023 ce sont plus de 12 millions d’élèves qui ont participé à des activités ou des cérémonies liées aux commémorations de guerre.
La famille, rien que la famille mais toute la famille
La famille joue également un rôle prédominant dans l’éducation de l’enfant, parce que sa socialisation dépend largement de l’influence parentale. A ce titre, Pierre Dutilleul s’est donné pour devoir d’éveiller la conscience des jeunes : « Moi, en tant que citoyen, en tant que père je n’aimerais pas que les drames du passé recommencent ». Il surenchérit en affirmant que « les enfants ont des parents qui ne leur expliquent plus rien. On ne discute plus avec son gosse. C’est terminé. Ici il y en a qui ne savent même pas faire la différence entre De Gaulle et Pétain. » La méconnaissance de l’histoire serait donc avant tout liée à un dysfonctionnement de la relation qui lie les parents à leurs enfants, où la transmission de la mémoire n’est plus socialement indispensable.
Cependant, il ne faut pas faire de généralités. Elian a 10 ans et s’est rendu avec sa mère à la cérémonie, « c’est important pour moi de venir ici. Les costumes m’impressionnent et les soldats ont beaucoup de médailles. » Les arrières grand-parents d’Elian ont participé à la Seconde Guerre mondiale et cela fait plus d’un demi-siècle que sa famille se donne à cœur de faire perdurer leurs mémoires. Comme le dit sa mère : « on a leur mémoire à honorer, on lit les livres qu’ils ont écrit. C’est un moyen de se rappeler d’eux, de ce qu’ils ont fait ».
Ainsi, les institutions familiales et scolaires jouent un rôle essentiel dans cette sensibilisation, mais elles doivent continuer à évoluer pour répondre aux enjeux contemporains de transmission de la mémoire. C’est à la société de reconcevoir son rapport à la mémoire pour ne pas sombrer dans les écumes du passé.
Jules Le Roux
Un autre point de vue : Des faluchards ancrés dans l’histoire
Lundi 11 novembre, la cérémonie de commémoration de l’Armistice est terminée, la place Rihour se vide. Il ne reste qu’un groupe de personnes portant un béret de velour noir, décoré de rubans de couleur et de pins, qui dépose une dernière gerbe devant le mémorial. Marc Antoine fait partie de ces faluchards, étudiants qui gardent l’esprit paillard en perpétuant la tradition de la faluche. À l’origine, « faluche » est le nom du béret porté par plusieurs organisations estudiantines, notamment les bitards, les basochards et les faluchards. Au fil du temps, elle a été associée presque exclusivement aux faluchards, bien que d’autres folklores la portent.
Selon vous, qu’est-ce qui peut expliquer la perte de la mémoire ?
C’est un sujet qui me touche particulièrement et qui est lié à la perte de sens, le fait que les dernières personnes qui ont vécu durant la première guerre mondiale ne sont plus que mémoire. On voit aussi les limites du système scolaire. Le système scolaire, c’est la seule chose qu’on a en commun. Parce que c’est obligatoire et c’est respecté. Peu importe ce que tu as à communiquer, si tu veux que ce soit su de tous les ados et tous les adultes plus tard, il faut que ça passe par le système scolaire.
Le gouvernement parle de réintroduire le service national universel, seriez-vous prêts à vous engager pour la France ?
Je pense que c’est une question qui dépend du contexte. S’engager, ça peut être, par exemple, lorsque je donne mon sang. Est-ce que c’est pour autant que je pourrais aller sur un champ de bataille ? À l’heure actuelle, on parle de remettre le service national universel comme une forme de service militaire. En réalité, ça n’a aucun sens puisqu’on a une armée de métier. Tout dépend de ce que tu entends et du besoin que tu as. S’engager est une réflexion qu’il ne faut pas prendre à la légère.
Amy Villette
Mémoire de guerre : un devoir d’éducation
Réalisation : Eden Bernard