Football, le pari de mettre le pied sur le ballon et le racisme
Imitations du singe, menaces de mort, insultes racistes, les matchs de foot sont le théâtre d’actes discriminants de plus en plus « libérés». Au fait de pratiquer sa passion et de venir observer son sport favori, s’ajoute le besoin de sensibiliser contre ce problème et sanctionner les coupables. La perspective de traiter le fléau du racisme depuis la racine exige d’opérer un changement profond d’une société en dérive et redonner sens à un humanisme déclinant dans un système devenu obsolète. Hasene Meziane, arbitre, Quentin Gilles, coach de l’équipe senior en D2 de Thumeries AG et Nicolas Catteau, milieu défensif pour cette même équipe comblent les trous dans le gazon pour le Châtillon.
Sous la pluie, l’équipe de Thumeries AG contre celle de Lille Carrel dispute un match de foot au score serré. Hasene Meziane, arbitre, suit du regard le ballon et les joueurs qui ont le pied dessus. Lorsqu’il a été attaqué par des propos racistes et menaçants durant un match entre Bayonne et la Chapelle d’Armentières, il confie qu’«il y a eu des sanctions», avec un sentiment profond d’affaire non aboutie à sa juste mesure. L’arbitre arrête le match et deux mois plus tard, la Commission du district le convoque ainsi que les deux équipes présentes ce jour-là. La sanction est prononcée : obligation de jouer plusieurs matchs à huis clos.
Le monde du football s’indigne contre les actes racistes mais ne parvient pas à endiguer le problème. Si les joueurs et les syndicats sont en capacité de porter plainte, elles aboutissent rarement. «C’est aux clubs et à la hiérarchie de mettre en bonne et due forme un règlement plus strict […], les coachs ont aussi obligation d’être intransigeants», affirme Quentin Gilles.
Par ailleurs, dans un communiqué publié en 2006 à l’intention des clubs, l’UEFA promet dans les tribunes la présence de services d’ordre, bien que leur liberté d’action soit restreinte.
Alors pourquoi ne pas taper dans le ballon économique des supporters avec des amendes élevées ? Une solution qui paraît efficace aux yeux du coach de Thumeries AG. Quant à Nicolas Catteau, il soutient que la conscience commune changera si les poursuites judiciaires aboutissent rapidement sur des peines sévères — par exemple, de la prison sans sursis — et sont soutenues par les fédérations, les syndicats de joueurs et par les clubs.
Autres mesures possibles, mais peu probables selon Quentin Gilles, trier les supporters sur le volet avec des critères de comportement précis ou, comme mis en place dans la NBA, interdire à vie l’accès aux terrains de jeu et aux tribunes en cas de propos racistes.
Malaise et mal-être social
« Les propos racistes, c’est plus à l’extérieur du terrain […]; ça représente la société actuelle », souligne Hasene Meziane, convaincu que le problème et la solution ne peuvent venir que des supporters. Les réseaux sociaux et les rassemblements de masse, comme lors des matchs sportifs, sont devenus des lieux de catharsis des relations sociales dégradées. Cette société de défiance souffre d’une crise de l’égalité importante et d’un individualisme constant, au mépris du vivre-ensemble, causes importantes d’un profond délitement du lien social.
La pression exercée par le poids d’un système sclérosé, d’un lien social empoissonné à toutes les échelles crée un phénomène où la société paralysée se recroqueville sur elle-même, se plie à la conformité et se déchaîne par le biais de la violence à la fois verbale et physique. Les incivilités, les propos racistes et discriminants, sans oublier la brutalisation physique, se sont inscrits dans une sorte de « normalité » et de « violence légitime » — pour reprendre les termes de M. Weber — au sein de la société actuelle.
Eléonora PALAIOLOGOS-HOUDEAU
Les acteurs du monde du foot proposent des solutions au racisme.
Yamina EL HADJ ALI
Zoom :
Un racisme au-delà des écrans...
Le 12 octobre dernier a eu lieu la deuxième édition de l’Eleven All-Stars, un match de football organisé par le streamer et youtubeur français AmineMaTue. Cet événement aura rassemblé de nombreuses personnalités d’Internet au sein des deux équipes. L’incident se produit lors du match retour à Madrid, opposant la France et l’Espagne. C’est au bout d’une soixantaine de minutes que le match s’interrompt lorsque le joueur français Brawks se dit visé par des injures raciales. Décrivant un supporter qui lui aurait fait des gestes de singes, il rentre aux vestiaires ainsi que toute l’équipe de France en signe de protestation. Alors qu’au moins un supporter est exclu du stade, le match reprend après que Brawks ait pris la parole, dénonçant le comportement raciste et affirmant que cela n’avait « pas sa place dans le sport », sous les acclamations des supporters. Il a ensuite affirmé qu’il souhaitait que le supporter soit suspendu de stade pour au moins un an.
En France, de nombreuses sanctions anti-racisme existent déjà pour essayer de réduire le nombre de débordements, nombreux encore dans ce sport. Il existe, par exemple la possibilité de donner « match perdu » à un club, mais sans que de véritables barèmes soient mis en place. Le président de la FFF, Philippe Diallo exprimait en octobre 2023 que « Nous ne sommes pas sans action. Aussi bien chez les professionnels que les amateurs, il existe des règlements et ils sont appliqués ». La FIFA, se vantant souvent que « le football unit le monde », a annoncé mettre en place, lors de son 74e congrès, cinq piliers pour lutter contre les phénomènes discriminatoires, notamment la possibilité de faire un X avec ses bras pour dénoncer un geste ou une parole raciste.
Louise BOUDIER