Du 20 au 24 novembre, le Festival des solidarités internationales a fait son grand retour à Lille. Pour cette 21e édition intitulée « Quand les cultures font bouger le monde », l’événement a rassemblé associations et visiteurs autour d’une vingtaine d’ateliers. Une expérience qui se veut fédératrice, et qui a permis d’interroger le règne de l’individualisme dans notre société.
Sous les charpentes métalliques de la Halle aux Sucres lilloise, l’appréhension des intervenants d’un des premiers événements du festival s’est rapidement dissipée quand les micros se sont allumés. Animateurs radios d’un soir, ces jeunes ont réalisé une émission en direct sur Radio Campus et Radio Boomerang. Un exercice déjà difficile qui s’est de surcroît déroulé dans un cadre particulier. En effet, le studio d’enregistrement s’était transformé en une scène surplombant une trentaine de spectateurs. Au fil de l’émission, les chroniqueurs ont donné la parole aux lauréats des bourses de solidarité de l’an passé. Référence à leurs uniformes vert sapin et à leur action environnementale, l’équipe des « Vertimbrés » des Scouts et Guides de France font partie des associations venues rendre compte de leur expérience. Pour Antonin, membre de ce groupe, son séjour à l’étranger a été formateur. « Mon voyage au Sénégal m’a permis d’avoir une nouvelle vision du monde« .

Titouan, Antonin et Saskia (membres des « Vertimbrés ») lors de l’événement « Les jeunes prennent la parole » (Photos Marguerite Lecas)
« Pour demander une bassine pour laver le linge, on faisait avec des grimaces ou des gestes ; dans le supermarché, on faisait avec Google Traduction. Mais on s'en sortait toujours ! »

« Les Vertimbrés » confient avoir été surpris par la facilité avec laquelle ils ont réussi à susciter l’engouement chez leurs interlocuteurs sénégalais, « qu’il s’agisse de planter des arbres, de reconstruire un toit ou même de faire une thèque ». Une chose est sure, la langue n’a pas fait obstacle aux projets de ces jeunes engagés. Camilia, ancienne chargée de communication pour « La Goutte d’eau », raconte son aventure au Vietnam : « On n’était pas toujours avec les jeunes (qui parlaient anglais), notamment à l’hôtel. Pour demander une bassine pour laver le linge, on faisait avec des grimaces ou des gestes ; dans le supermarché, on faisait avec Google Traduction. Mais on s’en sortait toujours ! » Le témoignage de Camélia permet de comprendre qu’une société interculturelle n’est pas nécessairement obstacle au partage et à la solidarité.
La réciproque est en tout cas vérifiée
Comme l’Histoire a de nombreuses fois pu le montrer, un Etat uniforme n’aspire pas davantage au vivre-ensemble. Si le festival célèbre la solidarité à l’étranger, la plupart des associations présents ont également des branches d’initiatives locales qui participent à la vie de la métropole européenne de Lille. L’occasion de questionner l’opposition entre travaux locaux et implications outre-mer, mais également la pertinence des interventions humanitaires en Afrique et en Asie dans un contexte – encore aujourd’hui – post-colonial. Les lauréats de la bourse de solidarité de 2024 présentés lors de l’émission seront donc confrontés au défi de réaliser leurs projets dans une démarche veillant à en éviter les écueils d’un assistanat déconnecté et en privilégiant des partenariats durables, respectueux des réalités locales.
Ici, la curiosité rassemble
La soirée s’est clôturée par un cocktail, l’occasion de montrer que l’ouverture se fait aussi dans le partage de bons moments. C’est d’ailleurs dans cette veine que se sont déroulés les deux grands bals de solidarité avec la Palestine et l’Ukraine, les 22 et 23 novembres derniers. Ces évènements festifs ont su réunir bénévoles, jeunes engagés, familles et visiteurs. Au-delà des soirées-évènements, le Festival des solidarités internationales constitue une occasion de faire des découvertes. Il s’agit là de raconter les cultures, les générations, les arts. Sont célébrés l’Europe, l’Afrique, les enfants, les anciens, la peinture, le théâtre, etc. Mais selon Clémence Lambert, coordinatrice du Festival des solidarités internationales en Haut-de-France, « à Lille, l’atmosphère qui plane sur le festival est vraiment particulière ». Et en effet, chaque soir le froid de l’hiver a tenté d’écourter les dernières conversations qui tardaient sur le pas des portes des salles de spectacle, sans succès. Lille était en fête, Lille était solidaire.
Mila Houssin.

Membre de l’association La Goutte d’Eau (lauréate de la bourse de solidarité 2023) en action au Vietnam. (Camilia Siala, @lgde_vietnam)
EDITO
Le piège de l’humanitaire : quand l’aide sous-tend la bonne conscience.
Sénégal, Cameroun, Togo… Voilà quelques destinations privilégiées par des jeunes en quête de sens, convaincus de le trouver dans l’humanitaire. Pourtant, cette activité a priori louable et popularisée, passe majoritairement par des organismes à but lucratif qui la dénaturent.
En 2012, l’écrivain nigérianoaméricain Teju Cole formule le terme de « white saviorism », en français « complexe du sauveur blanc ». Bien qu’il ne concerne plus seulement les « blancs », ce concept réverbère des préjugés paternalistes et coloniaux selon lesquels il est du devoir des européens de « sauver » ceux désignés comme défavorisés. Médiatisé par les réseaux sociaux depuis quelques années, ce terme désigne l’habitude des occidentaux de se rendre dans des pays a priori sous-développés pour faire de « bonnes actions ». Sur place, les volontaires, séduits par la facilité d’accès au programme, affichent leur quotidien exemplaire sur les réseaux sociaux. Pourtant, de nombreux locaux et réseaux bénévoles décrient l’utilité discutable de ces véritables clients d’une solidarité commercialisée. D’apparence honorable, cette pratique aux tendances misérabilistes et trompeuses révèle souvent un manque de compétence et une mise à la marge des cultures et projets locaux.
Alors, non, ne décrions pas l’humanitaire. Il est encore pertinent de mettre la main à la patte, mais à quel prix ? Certainement pas les sommes vertigineuses proposées par les organismes de tourisme déguisé en bénévolat. Des formations sont nécessaires à l’humanitaire, surtout pour espérer un impact durable sur les communautés locales appelant au soutien. Avant de traverser la planète, interrogeons nous sur la véritable efficacité de ces programmes et leurs enjeux.
Dounia Louvard
Vidéo : L’art, vecteur politique au service des jeunes
Maelle Piriou