La cause des femmes ? Oui. Les femmes immigrées ? Oubliées.
Du 25 novembre au 6 décembre, à la Fabrique du Sud, l’atelier des femmes fortes met en lumière les ombres délaissées de la semaine internationale contre les VSS à travers une exposition présentée dans toute la France. Ce groupe de 15 femmes exilées, à travers l’art de la photographie et de l’écriture n’a qu’un objectif : rendre visibles les violences vécues afin qu’elles disparaissent. Accompagnées par Fatoumata Diabaté et le centre de Frantz Fanon, ces femmes ont eu la force de révéler leur intimité et leur douleur avec des œuvres percutantes.
L’exposition remplie d’émotion, mêlait informations multiples et témoignages désarmants :
Aisha est pakistanaise, mariée de force à un Français, elle le rejoint en 2018 avec leur enfant de 8 mois, contre son gré. Ils vivent avec les parents autoritaires de son mari qui la privent de tout sauf d’être soumise. Son titre de séjour tarde à arriver, les coups de sa belle-mère et de son mari s’intensifient. Elle se révolte. C’est sa sœur, depuis l’Angleterre, qui alerte la police. Aisha et son fils sont mis à l’abri dans une chambre d’hôtel où ils passeront plusieurs années, ils ne sont pas seuls. La peur et la souffrance les. En 2021, elle pénètre à la Cimade (association loi de 1901 sensibilisant sur les réalités migratoires) pour envisager sa régularisation. Entretemps, le mari profitant de son isolement et de son ignorance du français, a déclaré le divorce avec clauses abusives et reconnaissance de dette de 60 000 euros. Elle ne comprend rien et signe tous les papiers. Aujourd’hui, Aisha a un droit de séjour en tant que mère d’enfant français, mais elle ne parle pas français et ne peut bénéficier d’une formation Pôle Emploi. Elle reste désocialisée, vulnérable et délaissée par un système qui l’ignore.
52% des immigrés sont des femmes.
On pourrait penser que Aisha n’a juste pas de chance. Malheureusement, la vérité est bien plus inquiétante : 52% des immigrés sont des femmes et la majorité d’entre elles subissent le même sort. Et pourtant, les seuls immigrés dont on entend parler dans les médias sont des hommes. Si on montre une femme avec son bébé on risque d’émouvoir l’opinion en faveur des exilés. Cela dégraderait l’image de monstre dépeinte des immigrés au quotidien.
Être une femme c’est dur, mais être une femme étrangère c’est double peine. Les violences sont des causes de départ, des épreuves durant le trajet, et des conséquences à l’arrivée.
Se débattant entre excision, mariage forcé parfois précoce, violences et exploitations, violence du regard des autres, absence de droits, non accueil, elles sont souvent contraintes et obligées de raconter leurs histoires. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas sous la contrainte qu’elles prennent la parole. Ces 15 femmes de l’Atelier des femmes fortes, hurlent leur douleur tue pendant leur parcours, et dénoncent leurs conditions de vie dans toute la France. Partageant le rôle de photographe, écrivaine, modèle, elles ont produit des photos accompagnées de phrases brèves, qui font l’effet d’un poing dans le ventre. “Même le chien est mieux traité que moi”, est écrit sur l’une des œuvres. L’atelier des femmes fortes est un espace autant thérapeutique que politique. « Parler c’est revivre » nous dit l’une d’entre elles. L’objectif est de dénoncer pour se sentir libérée d’une culpabilité qui ne leur appartient pas.
La Cimade, association accompagnant les immigrés dans leur régularisation, a pu nous fournir des informations essentielles à la compréhension des difficultés d’intégration pour les femmes immigrées.
La femme est forcée de livrer son intimité et son histoire.
Aujourd’hui en France, l’accueil des immigrés est très réglementé. Malgré la volonté d’égalité de genre, les femmes sont trop souvent mises aux oubliettes dans ce processus d’intégration au pays d’accueil. Le titre de séjour est délivré en fonction des ressources économiques et souvent refusé aux personnes travaillant à temps partiel. Sans surprise, 80% des postes à temps partiels sont occupés par des femmes. La bonne maîtrise du français est aussi un des critères principaux à l’obtention d’un titre de résidence, empêchant les femmes enfermées et aliénées par leur mari de s’émanciper. Lors d’une demande d’asile, le conjoint violent est souvent convoqué, la femme est forcée de raconter son histoire et de livrer son intimité à un personnel indifférent et parfois irrespectueux.
Des difficultés compliquant davantage l’intégration sont aussi à souligner.
S’intégrer semble être mission impossible. Peu de gens les aident ou n’osent même pas les regarder. Alors que des milliers de femmes se mobilisent contre les VSS, il n’est mentionné nulle part que les femmes immigrées ont 9 fois plus de chances de subir des agressions sexuelles que les Françaises.
Les femmes françaises se battent pour être égales aux hommes. Les femmes immigrées ne sont même pas l’égal des femmes françaises. Le chemin est encore long.
De nombreuses actions sont mises en place durant cette semaine internationale contre les violences faites aux femmes. Mais l’invisibilisation des femmes immigrées est encore trop importante. Alors à travers l’art, un moyen de protestation pacifique, elles prennent place dans la société et espèrent inspirer plus d’une personne. Conscients qu’avec résilience et persévérance, le monde évolue et s’améliore, la Cimade nous dit « Prendre connaissance de cette exposition, c’est déjà en pousser un peu la porte… Et pourquoi pas, l’occasion de rejoindre le combat. »
Lien utile :
Autres asso de femmes qui se battent :
https://www.excisionparlonsen.org/
Adzo POILLION
"Fatoumata Diabaté : Portrait d’une photographe engagée au service des femmes en exil"
Née au Mali en 1980, Fatoumata Diabaté est une photographe dont l’art se base sur des thèmes sociaux comme les femmes et la jeunesse maliennes. Elle partage sa vie entre Montpellier et Bamako et collabore avec plusieurs galeries. Portraitiste à l’origine, elle est l’une des premières femmes ayant intégré le Centre de Promotion pour la Formation en Photographie de Bamako (CFP) visant à professionnaliser les photographes du Mali.
A défaut de pouvoir changer le monde, Fatoumata tente de changer son monde grâce à son art. Elle considère que si chacun revoit sa perception du monde et des femmes, un grand changement est possible. Profondément touchée par les attaques qui ont frappé son pays en 2012, Fatoumata est particulièrement révoltée par les atrocités commises sur les femmes et les enfants. Elle s’engage pour la cause des femmes en occupant la présidence de l’Association des femmes photographes du Mali depuis 2017. “L’attaque envers les femmes me touche particulièrement, la femme c’est la vie, si on nuit à la femme, on nuit à la vie.” me
confie-t-elle.
La plus grande fierté dans son travail de photographe ? Tout ce qu’elle a accompli, que tout se valait, car tout partait de sa passion qu’est la photographie. “J’exerce ce métier parce que je suis passionnée”. La photographe a également fondé l'”Atelier Mots”pour les femmes exilées qui sont en France. “J’ai pu rencontrer des femmes qui dégagent une force considérable et rendre
hommage à leur histoire grâce à des accessoires, des décors particuliers.” nous dit-elle. Pour elle, il est essentiel non seulement que les femmes soient écoutées, mais aussi qu’elles se sentent pleinement légitimes à l’être : “Il ne faut pas nous rabaisser, nous diminuer, soyons grandes, nous sommes des grandes femmes. Il n’y a pas de petite femme.” insiste-t-elle. Son engagement fort lui a notamment permis d’être sélectionnée par l’UNESCO afin de figurer parmi les 10 femmes créatrices de l’Afrique de l’Ouest dans une campagne digitale.
Inès RASSON-SELLAH