Med Ewaz fuit l’Afghanistan en 2012. Alors que l’administration française l’a impudemment abandonné, la société civile, elle, l’a épaulée et accueillie. C’est une simple rencontre, celle avec Marie-France, une bénévole de 70 ans, qui bouleverse le cours de sa vie. En effet, offrir une existence digne aux réfugiés n’est pas une mince affaire. Si l’entrée sur le territoire et l’obtention d’un titre de séjour constituent déjà un bien pénible labeur, intégrer une nouvelle société pour reconstruire sa vie ne l’est pas moins. C’est pour répondre à cette problématique que l’association J’accueille propose l’hébergement citoyen, comme vecteur d’intégration des réfugiés dans la société française.
Zéro degré, il fait nuit noire, mais passé une porte verte rue de Montreuil à Paris l’atmosphère se réchauffe. L’odeur du café se mêle aux rires des jeunes en Service Civique. Sur le mur bariolé de dessins à la craie, est inscrit une citation du poète persan Saadi : « Human beings are members of a whole, In creation of one essence and soul ».
En arpentant les open-spaces et les salles de réunions du coworking, Med apparaît. Med est très peu expressif. Mais Med rigole parfois. Toujours sur le ton de l’ironie. Très vite, il confie : « En 2015, je rencontre Marie-France, celle qui m’a accueilli et offert une nouvelle vie. C’est à partir de cette rencontre que mon histoire commence vraiment. »
"Ils m'ont abandonné."
Né en Iran, Med Ewaz s’installe en Afghanistan avec sa famille à l’âge de 15 ans. À 16 ans il arrête l’école. À 17 il devient interprète en anglais pour l’armée française à Kaboul. Après l’annonce du retrait des troupes françaises par le président François Hollande en 2012, Kaboul est à la merci des Talibans qui exécutent en masse les « infidèles » ayant aidé les militaires français. Med se retrouve alors en danger. « Les services secrets français m’ont dit de demander un visa, car ce n’était plus sûr pour moi », confie-t-il. Mais pendant 1 an, Med n’a reçu aucune réponse de l’ambassade de France. « C’est impossible d’avoir un visa pour venir en France. C’est comme si tu voulais partir dans l’espace avec la NASA, c’est possible mais ta chance est de 0,0001 : ce n’est pas probable », explique-t-il. Et pour cause, seuls 200 interprètes afghans sur les 700 employés par l’armée française ont réussi à recevoir un Visa de la part de l’ambassade.
« C’était l’armée française qui m’avait demandé de travailler avec eux. Mais une fois leur mission en Afghanistan terminée, une fois qu’ils n’avaient plus besoin de nous, j’ai été abandonné. »
Med est désespéré. Traqué, il ne peut plus circuler, tandis que les têtes de centaines de jeunes interprètes tombent. Med fuit alors au Sri Lanka : « J’avais décidé que c’était chiant d’être égorgé », s’amuse-t-il, avec sarcasme. Après quelques mois, il que le gouvernement Sri lankais renvoie en masse les réfugiés, or cela signerait certainement sa mort. Il a 20 ans, lorsqu’il multiplie les appels aux ambassades pour appeler à l’aide. Parmi des dizaines, seule l’ambassade Suisse répond, et accepte de prendre en charge son dossier auprès de la France. Quelques semaines plus tard, Med reçoit son visa.
Il n’avait pas tellement envie d’aller en France. Il avait été abandonné, abandonné à la mort, par la France pour qui il avait porté l’uniforme. Néanmoins cela demeurait sa seule solution : « Je voulais juste avoir le droit de vivre, de respirer, de ne pas être égorgé. Je m’en foutais d’autre chose », s’exclame-t-il. Lorsqu’il évoque son arrivée en France, son visage s’assombrit : « J’ai vécu à la rue. Et puis j’ai réussi à intégrer un foyer pour les jeunes qui ont des problèmes de drogue et de santé mentale, c’était ma seule solution… C’était horrible cet endroit. ». Il n’en dira pas plus.
La France de Marie-France
La vie de Med bascule lorsque l’association CALM by Singa (qui deviendra J’accueille en 2019) lui propose de rencontrer Marie-France, une accueillante bénévole de 70 ans. Med décrit sa première rencontre avec Marie-France comme ayant été immédiatement très fluide, du fait de l’effort fournit par l’association pour unir des bénévoles et des réfugiés ayant des centres d’intérêts et/ou des modes de vie en commun. « Ce qui m’a beaucoup aidé au début, c’est que Marie-France, parlait très bien anglais. Avec l’accent british et tout ! », s’amuse-t-il.
« La France qui m’a laissé à Kaboul, ce n’est pas celle de Marie-France et de J’accueille. Alors je ne lui en veux plus. »
Med se dit éternellement reconnaissant d’avoir pu vivre cette rencontre. C’est elle qui l’a sauvée. « Elle m’a apporté un toit, mais surtout le fait d’avoir quelqu’un, dans un pays où tu ne connais personne : pas d’amis pas de famille, personne. Où tu ne parles même pas la langue. C’est difficile. » confie-t-il. Pour sa nouvelle vie, Marie-France a été un pont, et vers la culture française, elle a été une porte d’entrée. Il sourit : « C’est bidon et stéréotypé, mais à partir du fromage et du vin, tu peux avoir une discussion avec des Français. C’est un pont, pour communiquer. Et c’est Marie-France qui me l’a transmis. » Plein d’ambition, il apprend le français, et parvient à intégrer Science Po Paris en 2018, après trois ans de préparation appuyée par l’association d’insertion professionnelle « Each Ones ».
Fort de cette expérience, il est alors animé par la volonté de mettre celle-ci au profit de d’autres après lui. Ainsi, en 2022, Med quitte son emploi chez American Express, pour travailler chez J’accueille, l’association qui lui a « sauvé la vie ». Ancien bénéficiaire de l’association, il apporte une perspective unique à son travail. Enfin, pour lui, cet engagement est aussi une façon de rendre ce qui lui a été donné : « Ça avait du sens pour moi. Et je me suis dit que maintenant, c’est le moment de leur rendre ce qu’ils m’ont donné ». À l’instant où il termine sa phrase, son téléphone se met à sonner : c’est une « accueillie » qui l’appelle pour lui annoncer qu’elle a réussi à trouver un nouveau logement grâce à son « accueillante ».
Aujourd’hui, Med se sent chez lui en France. « Je connais des bonnes personnes, j’ai fait des études, je contribue à la société. Je paye mes impôts, donc je suis content. » Lorsque vient la question sur sa perception de l’avenir des réfugiés en France, Med est lucide mais optimiste : « J’ai peur mais je pense que la France est trop riche culturellement pour devenir trumpiste ». En effet, il est difficile de ne pas constater qu’il porte en lui un vif espoir : celui de la pérennité de la France juste et solidaire qui l’a accueillie. « Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour cela », conclut-il avec détermination.
Par Emma HUG