Plus que simplement divertir et susciter des émotions, le cinéma nous invite à la réflexion, à l’ouverture d’esprit et à la remise en question de notre système. Mais ce septième art peut-il continuer de jouer ce rôle lorsqu’il n’est pas indépendant ? C’est la réflexion qu’a voulu mener Le Châtillon en poussant les portes du Majestic, cinéma d’art et d’essai anciennement indépendant situé rue de Béthune à Lille.
Maintenir son identité tout en s’adaptant aux réalités économiques : c’est ce que revendique Le Majestic. Anciennement indépendant, il est maintenant intégré depuis six ans au groupe audiovisuel UGC. Pour Loïc Arnaud, responsable accueil cinéma pour le Métropole et le Majestic, où il s’investit depuis une quinzaine d’années, cela a été un choix judicieux de la part de Michel Vermoesen, l’ancien patron des deux cinémas : « Être une salle d’art et d’essai indépendante, en termes de prix c’était très compliqué. » Les deux salles situées en centre-ville ont un certain coût, et au moment du rachat, aucun indépendant intéressé ne disposait de la trésorerie nécessaire. En plus d’avoir les moyens de racheter ces cinémas, l’UGC a été le seul groupe à garantir qu’ils resteraient des lieux d’art et d’essai. Loïc Arnaud affirme, satisfait, que « ça ne change donc pas grand-chose à la programmation » et qu’il préfère que « le Majestic ne soit plus indépendant plutôt qu’il disparaisse ».
Un lieu d’échange et de discussion

Labellisé cinéma d’art et d’essai, le Majestic offre une programmation de films variés et moins conventionnels, en collaborant principalement avec des sociétés de distribution indépendantes. Loïc Arnaud a commencé à travailler dans ce cinéma en tant que médiateur lors des débats et avant-premières. De nombreuses soirées sont organisées au sein du cinéma avec des échanges autour des films, des avant-premières en présence des équipes de films ou encore des séances spéciales avec des associations et des écoles. Le responsable évoque également l’idée de créer des ciné-clubs afin d’encourager les débats.
Ces initiatives font partie des engagements du cinéma avec le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC). « C’est très important car une des fonctions de l’art et d’essai c’est aussi, au-delà du divertissement, de créer du lien social et des lieux d’échanges avec beaucoup de liberté de ton », souligne Loïc Arnaud. Une manière donc pour ce cinéma de continuer de nous faire réfléchir sur le monde qui nous entoure.
Davantage politisé
Récemment beaucoup de demandes du public ont été formulées pour diffuser le documentaire de Médiapart Personne n’y comprend rien sur l’affaire Sarkozy – Kadhafi. L’UGC a refusé de le diffuser, le groupe étant très prudent sur la politique. « Nous au Majestic on leur a dit que c’était notre rôle », explique le responsable accueil. Le Majestic a donc pris la décision, avec le soutien de la Ligue des droits de l’homme, d’organiser une projection spéciale du documentaire, suivie d’un débat. Cela illustre la différence culturelle qui persiste entre les deux cinémas.
« Ce n’est pas parce qu’on travaille à Pathé ou à UGC qu’on aime moins le cinéma que ceux qui sont indépendants et en plus parfois hyper politisés », conteste Loïc Arnaud, « il ne faut pas être manichéen ». Il met en avant qu’UGC est un groupe possédant des salles seulement en France et y payant ses impôts sans défiscaliser. « Je ne travaille pas pour Total ou Amazon. Moi aussi, politiquement, je suis très engagé, mais les enjeux économiques et financiers de l’industrie du cinéma sont importants depuis le Covid. » Ce n’est pas parce que Le Majestic n’est plus indépendant qu’il ne parvient pas à garder sa liberté de programmation et à faire réfléchir. « Mon responsable et les gens avec qui je travaille sont aussi, voire plus passionnés et engagés que les gens avec qui je travaillais dans l’art et essai avant », affirme le responsable accueil. Pour lui, la seule crainte serait un changement de directeur de l’UGC qui respecterait moins l’identité du Majestic.
Lou BROSSE-FAGOT
Q&A : Cinéma Art et Essai, l'antidote à l'uniformisation culturelle ?
Dans l’obscurité des salles Art et Essai, le cinéma s’affranchit des récits formatés. Loin des superproductions calibrées par des logiques de rentabilité, ces écrans deviennent des fenêtres ouvertes sur des récits inattendus et singuliers. Chaque projection est une invitation à suspendre le temps et à se laisser happer par des visions irrégulières tout en éveillant la curiosité et en bousculant les certitudes sur le monde.
Mais qu’est-ce qui distingue ces salles des autres ?
Labellisées par le CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée), elles défendent une programmation exigeante. En France, près de 1200 cinémas portent cette distinction et s’engagent dans la diffusion d’œuvres indépendantes, étrangères, d’auteurs, bien souvent absentes des circuits commerciaux. Ce label garantit un accès à des récits minoritaires et à des démarches artistiques souvent plus rares et audacieuses.
Comment ces films sont-ils choisis ?
Chaque semaine, un collège de professionnels (réalisateurs, distributeurs, critiques…) se réunit pour examiner et recommander des sorties selon leur singularité et leur force artistique. Fictions, documentaires, films de patrimoine : tout le monde a sa place, permettant ainsi une programmation diversifiée et loin de l’uniformisation des récits.
Quel rôle jouent ces salles au-delà des projections ?
Soutenues par l’AFCAE (Association française des cinémas d’art et d’essai), elles accompagnent chaque année une cinquantaine de films à travers des actions de promotion, des débats et des animations pédagogiques. Ces dispositifs permettent de sensibiliser les jeunes publics à des oeuvres méconnues et d’encourager une éducation à l’image.
Franchir les portes d’un cinéma Art et Essai, c’est s’aventurer à la recherche de l’authenticité, de la singularité. À l’heure de la consommation rapide et de l’algorithme, ces lieux rappellent l’importance de la pluralité des récits, prouvant ainsi que le cinéma peut encore éveiller, interroger et tisser du lien collectif.
Jeanne RUFFIN–DUCROCQ
Vidéo : Les lieux intermédiaires, un autre regard sur la culture :
Anjali APPADOO