À Lille, un réseau de prostitution est en place. Que l’on prône l’abolition ou la légalisation du travail sexuel, il n’en est pas moins que cette activité perdure. Les aides médicales et sociales peuvent alors constituer un premier pas vers la protection de ces travailleuses du sexe, souvent soumises à de fortes violences.
Rien qu’au nom, c’est déjà le bordel. Le terme « travail du sexe » est issu de l’anglais « sex work ». C’est la militante féministe Carol Leigh qui initie cette notion à la fin des années 1970. Elle considère le mot « prostituée » stigmatisant, là où le « travail du sexe » donne à penser un secteur plus qu’une activité isolée. Il permet ainsi de penser les travailleuses comme un groupe capable d’actions et de solidarité.
Le macadam, zone à haut risque
Belle-de-nuit, pute, courtisane, fille de joie. Les travailleuses du sexe sont en première ligne de l’expression des violences physiques et psychologiques faites aux femmes, à commencer par les mots. Mises en marge socialement et reléguées géographiquement dans les pourtours des villes, elles sont peu visibles ; les violences qu’elles subissent aussi. L’aide médicale et sociale est entravée dans ces lieux que personne ne veut voir. « Quand on vient à Lille pour la première fois, les prostituées ne sont pas visibles. Leur activité est très bien cachée », note Gabriel, posté devant un hôtel de la ville. Le travail sexuel soulève des questions d’éthiques et de domination du corps de la femme dans un système économique qui pousse à tout monnayer. La violence envers les travailleuses du sexe en est renforcée. Effectivement le proxénétisme en tant que système productif qui exploite le corps s’ajoute à la liste des violences physiques et psychologiques que subissent ces femmes. Gabriel poursuit, les mains enfouies dans les poches de sa doudoune : « Oui, c’est violent ». « On voit des filles en train de se bagarrer avec les clients ». L’étude européenne de la London School of Hygiene montre qu’exercer la prostitution en réseaux et sous la contrainte expose les femmes à des risques sanitaires élevés : elles ont très peu d’informations sur la santé, et l’accès aux soins est limité du fait de l’emprise des proxénètes. « Sans capote » indique l’annonce en ligne d’une travailleuse du sexe.

Travailleuse du sexe de dos, Mathilde Noulhianne
Une aide médicale qui tapine pour se faire voir

Dessin, les travailleuses du sexe face aux risques,Mathilde Noulhianne
À Lille, les travailleuses du sexe se concentrent dans les alentours de la Porte de Gand. C’est à l’abri de la lumière du jour qu’elles tentent de se sortir un salaire. Dans le froid à l’orée de la nuit, elles se partagent le trottoir et n’accordent qu’une minute à ceux qui ne sont pas clients. Layla est frigorifiée. Pressée, elle lâche : « J’ai pas le temps, faut que j’y aille. » La précarité du système dans lequel elles travaillent les poursuit. « Elles sont tellement sales, elles n’ont pas d’argent », note un employé d’un hôtel de Lille. Le risque majeur reste les infections sexuellement transmissibles. La chercheuse en santé publique Mc Grath-Lone réalise une étude en 2014 et rapporte que les femmes exerçant un travail sexuel sont plus exposées que la population générale aux troubles gynécologiques. Dans la capitale des Hauts-de-France, un réseau de solidarité est mis en place pour tenter de réduire les risques. La situation est quasi invisible, les aides peinent à se faire une place.
Fille facile mais fille avant tout
En maison de tolérance ou sur le bitume, le métier est dur ; physiquement, mentalement. L’aide médicale et sociale est un moyen de protéger la santé et la dignité des travailleuses du sexe. Loin d’apporter une réponse aux problématiques systémiques que soulève la prostitution, elle tend à aider à mieux vivre ensemble. Gabriel remarque que plusieurs fois par semaine, « les associations donnent des cafés et des préservatifs ». Parce que les Nééra des temps modernes sont des femmes avant tout, elles ont théoriquement droit à des services médicaux au même titre que quiconque. Or comme le relève la CEESP, on note qu’elles ont un rapport au soins moindre du fait de leurs craintes des institutions. À Lille, des organisations s’engagent pour retisser des liens de solidarité entre ces femmes et une société dont elles sont en marge. Elles « écoutent et sont présentes ». « Des petits camions d’aide sont parfois au bout de la rue, c’est bien qu’ils soient là pour les filles », note un homme rencontré aux abords de la Porte de Gand. Dans une société fragmentée, la protection des travailleuses du sexe par l’aide sociale ressort comme un moyen d’adoucir un quotidien brutal.
Pour des raisons de protection des sources d’informations journalistiques, les prénoms des interlocuteurs ont été modifiés.
Marta Roger-Germani
Zoom sur... : La prise en charge de la protection des Travailleurs du sexe (TDS) de l’autre côté de la frontière
En Belgique, une loi a été ratifiée en 2023 pour changer le statut des travailleurs du sexe. Cette loi leur a permis d’obtenir un contrat de travail et d’autoriser le proxénétisme lorsque ces “patrons” respectent un cahier des charges strict visant à imposer le respect et la protection de leurs employés. Pour Quentin Deltour, membre de l’association Espace P, c’est une première mondiale et “l’aboutissement de 35 ans de lutte” auprès des gouvernements. Les membres de cette association viennent en aide à ces travailleurs marginalisés depuis 1988. C’est d’abord dans le but de faire de la prévention à une époque où le SIDA fait rage que des médecins se regroupent pour “aller sur le terrain” à la rencontre de celles que l’on appelle parfois “filles de joie” car en Belgique, dans ce métier, 95% des travailleurs sont des travailleuses.
Aujourd’hui, le travail d’Espace P s’est étendu. L’aspect médical “n’est qu’une manière d’aborder les TDS” en leur proposant des tests pour les MST ou des vaccins gratuits. L’objectif est de leur proposer ensuite, des conseils administratifs ou juridiques pour les aider dans les difficultés du quotidien qu’elles peuvent rencontrer. Le métier de TDS regroupe pour une grande majorité des personnes en difficultés ou précaires qui peuvent subir des agressions et Espace P vise à leur offrir un cadre sécurisant et l’aide de professionnels. Quentin Deltour affirme que la Belgique a réussi “à faire changer le paradigme autour de la prostitution” mais pour lui il reste encore beaucoup à faire et notamment en France qui a un “grand retard sur ces questions avec des lois qui n’ont fait qu’aggraver la situation des TDS”.
Louane Vergeau
Photos et illustrations réalisées par Mathilde Noulhianne
Vidéo : Quelles sont les lois qui encadrent le travail du sexe en France ?
Vidéo réalisée par Léa Terrec