L’essentiel cinéma indépendant, grand absent de Lille

Depuis 2019, suite au rachat du Majestic et du Métropole par UGC, Lille Cinéphile, collectif engagé dans la défense du cinéma, alerte : Lille est la seule ville française de plus de 200 000 habitants sans cinéma indépendant et sous monopole d’un groupe privé. Antoine Tillard, programmateur et directeur du Méliès, cinéma indépendant de Villeneuve d’Ascq, et membre du collectif, explique la lutte menée pour faire vivre un cinéma mis à l’écart des multiplexes et pourtant élémentaire.

« La culture n’est pas faite pour être rentable. »  Selon Antoine, le problème majeur du monopole par un multiplexe est celui de la monoforme. « UGC est un groupe présent pour faire de l’argent pas pour vendre des films, qui ne sont qu’un produit d’appel. C’est la réalité des gros groupes privés. D’ailleurs c’est facile de le voir: dans n’importe quel multiplex, la première chose que vous voyez c’est le stand bonbon. Pourquoi ? Parce que c’est l’endroit sur lequel ils gagnent le plus d’argent. L’intérêt pour eux est de vendre le maximum de choses à côté du film. » 

Ainsi, la programmation des multiplexes se concentre sur des films porteurs, rentables, même pour les films classés Art & Essai, pourtant censés présenter une diversité cinématographique plus large aux spectateurs. Depuis le rachat du Métropole et du Majestic, Antoine constate un changement de programmation « assez flagrant » : « UGC Métropole et UGC Majestic n’ont plus du tout une programmation diversifiée. Et si il y a des films qui vont être programmés Art et Essai, ils vont être en semaine à 11 heures du matin, sur des séances qui sont de toute façon peu fréquentées. » Il affirme: « La problématique est là : ils sont là pour faire du commerce. Moi, je suis là pour faire de la culture. » 

Exemple de la baisse de diversité depuis le monopole lillois

Selon les observations du CNC ( Centre national du cinéma ), entre 2019 et 2023: 

  • 360 films en moins entre 2018 et 2023 et 303 films en moins en comparant 2019 à 2023.
  • Baisse d’autant plus significative au Métropole (-47,47% en 2018/2023) et au Majestic (-56,47%) qu’au multiplexe (-20%).
  • Les années 2020 à 2022 ne sont pas prises en compte car la baisse observée est liée au COVID. Mais, les années 2018 et 2019 sont considérées comme comparables avec 2023.

Inquiet du futur, Antoine confie: « Quand il n’y aura plus qu’eux, qu’est-ce qui nous garantit qu’ils garderont cette diversité. »

Le travail insuffisant des multiplexes pour la diversité 

« On a tendance à dire que je diabolise les multiplexes. Ce n’est pas vrai, ils ont tout à fait une légitimité. Seulement, je ne suis pas d’accord pour qu’ils prétendent faire le même métier que moi. » Le problème de la rentabilité est dans la nécessité d’avoir un produit fiable et toujours productif. Dans le cinéma, des films similaires sont alors constamment produits. Antoine nous explique les limites de ce fonctionnement: « Il n’y a plus de propositions différentes, qui ouvrent le regard. Le principe est de créer l’imaginaire et de faire en sorte que l’imaginaire du spectateur soit encore intact. Le spectateur n’est pas un imbécile, et pourtant dans beaucoup beaucoup de films, notamment mainstream, on est dans du très appuyé alors que le spectateur est capable de travailler son imaginaire. Et c’est ça qui risque d’arriver : qu’on casse l’imaginaire des spectateurs. ». 

Conscient que le cinéma Art & Essai peut faire peur, le directeur du Méliès argue : «  Le cinéma populaire est dans les lieux comme les nôtres, les cinémas indépendants. C’est les films qui sont faits par des gens qui vivent dans la vie. De dire que le cinéma Art & Essai ou Recherche ce n’est pas accessible, je ne suis pas d’accord. Il faut accepter de se laisser aller, par moments, on peut ne pas aimer, trouver que la proposition n’est pas intéressante mais la créativité c’est quand même quelque chose d’hyper intéressant et d’hyper enrichissant. ».

Façade du cinéma UGC, rue de Béthune, à Lille
Le cinéma Le Méliès, à Villeneuve-d'Ascq

Antoine le sait bien, le cinéma Art & Essai nécessite un accompagnement. Il est essentiel d’avoir un cinéma indépendant qui occupe ce rôle, réhabilitant diversité et culture. « L’avantage, c’est qu’on connaît le public, on sait ce qu’il a envie de voir, en tout cas ce que lui décide de voir, et on peut l’emmener quelque part. » Mettre en place ce lieu culturel pour guider dans l’univers du cinéma Art & Essai, c’est justement le but de Lille Cinéphile. « L’objectif, c’est créer un lieu indépendant, qu’il y ait une vraie proposition, de la médiation et tout ce qui se travaille autour du cinéma comme l’éducation à l’image. De réellement avoir ce lieu de retour du cinéma varié à Lille parce que là ce n’est plus le cas. ».

L’essentiel soutien des politiques 

Pour ce retour, Lille Cinéphile se mobilise via une pétition et des discussions avec les politiques. L’engagement politique est, par ailleurs, indispensable à un retour stable et une indépendance certaine. « La ville de Lille doit s’engager financièrement pour qu’il y ait un cinéma indépendant dans sa ville. Sinon ça ne peut pas se faire. Si on part sur un groupe privé, on va retomber dans les mêmes travers. »

Pour autant, Antoine assure : « Il se passe des choses. Ils ont pris conscience qu’il y avait effectivement un problème et qu’il allait falloir agir. En plus, on sait qu’on est dans un bon créneau de période électorale pour les municipalités. Très clairement, je ne pense pas m’avancer en disant que, s’il y a une proposition d’un candidat à la municipalité qui dit “on fait un retour du cinéma indépendant à Lille”, on aura gagné. » 

Charlotte Chimier

L’apéro-ciné : le symbole d’un cinéma indépendant politique, social et engagé 

L’apéro-ciné c’est le projet et petit protégé d’Antoine Tillard. Lui vous dira que c’est son bébé. Sous sa “dictature”, le Méliès prend les armes pour lutter contre l’isolement, la mono-forme et la marchandisation de la culture. Ce terme, il le revendique. Sa dictature. Entre ces murs, la programmation est une ligne éditoriale, fruit de choix qu’il prend, défend et assume seul. Difficile de parler du cinéma indépendant villeneuvois sans aborder ces rencontres mensuelles puisqu’il l’affirme, « Le concept même du Méliès c’est l’apéro-ciné. Le fait de partager des moments d’émotion ensemble c’est la base du cinéma. »

Ce projet naît en 2009 d’un constat : le public ne connaît pas le programmateur, n’a pas conscience des choix faits et des ambitions nourries. Pour solution, un concept simple : un soir par mois le Méliès ouvre ses portes aux profanes ou habitués du grand écran afin que le programmateur explique et incarne ses partis-pris. Parler avec Antoine c’est se rendre compte que ce cinéma mono-écran est à la croisée de la culture et du politique, au sens de contribution à « la vie de la cité ». Pour lui le cinéma est un jeu de propositions dont l’enjeu est « d’ouvrir le regard », lutter contre la peur de l’inconnu en convaincant les spectateurs de lui faire confiance. 

Alors le mot « cinéma » chez Antoine Tillard, et peu importe les objections littéraires des plus poètes, ça rime avec « partage », « curiosité » et « vivre ensemble », structurant une relation qui en deviendrait presque intime.

Bleuenn Galmiche–Neveu

 

Pour en savoir plus sur le Méliès et ses activités, rendez-vous sur Youtube:

Vidéo: Marilou Liger 

Photos: Eva Tolosa-Joas

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