L’art handicapé par son inaccessibilité

Pour améliorer l’accès à l’art pour les personnes en situation de handicap, Régis Kern est à l’initiative de tableaux en impression 3D, dispositif connu pour des personnes mal-voyantes. Mais certains handicapés continuent à ne pas se sentir inclus dans les expressions artistiques. C’est le cas de Josie dans son rapport au septième art, et à la représentation des handicapés détachés de la réalité dans les films.

Le monde de l’art aujourd’hui se retrouve face a une marche qu’elle a du mal a gravir. Elle ne fait que constater son manque d’adaptation pour les personnes en situation de handicap. Même si la loi de 2005 oblige tous les établissements qui accueillent du public à être accessibles pour tous les types de handicap. Mais pouvoir entrer dans un lieu culturel ne garantit pas toujours de pouvoir accéder à l’expression culturelle. 

C’est ce qu’explique le fondateur d’Inkludo, Régis Kern : « Au contact des personnes malvoyantes passionnées d’art, et au travers de l’association L’art au-delà du regard, j’ai commencé à constater qu’il manque des choses que l’on peut toucher dans les musées. » Ce constat Régis Kern le fait notamment au niveau de la peinture, « car les sculptures, on peut les numériser puis les réimprimer en 3D, tandis que cette technologie pour la peinture n’existe pas. » À partir de ce constat, il réalise en 2017 sa première adaptation d’un tableau en impression 3D. « Je ne fais pas de copie conforme des tableaux. » Il fait ce qu’il appelle « un haut-relief ». « Pour la Joconde, je pars de l’image et je la remodèle complètement en 3D. Mais je ne modifie quasiment rien, je simplifie juste quelques détails. Je reste fidèle à l’original. » L’ancien chimiste espère que des pratiques comme la sienne, déjà répandues en Europe, permettront plus d’accessibilité aux œuvres exposées dans les musées . Comme beaucoup, Régis Kern souhaite que ces adaptations permettent aux personnes handicapées de s’approprier à leur façon la culture et de s’y sentir représentées.

Mais se contenter de donner un meilleur accès au monde culturel en l’adaptant aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap leur permet-il de se sentir plus représentés dans les œuvres artistiques, et donc de s’intégrer dans une mémoire collective ?

Avoir accès physiquement aux créations culturelles ne donne pas le « sentiment » aux personnes handicapées d’être spécialement plus incluses et représentées dans l’art et dans la culture. « On est soit pas représenté soit mal représenté, alors l’accessibilité est un bien joli mot. » Pour Fabien, c’est essentiel d’accroître la visibilité des personnes en situation de handicap dans l’art afin de laisser un trace dans l’histoire culturelle de l’humanité. « L’accessibilité pour moi, ça ne veut rien dire et tout dire en même temps », explique Josie. « Même si on fait des rampes, (…) l’art n’est pas accessible car il parle jamais des handicapés. »

« Intouchable, (…) ça ne représente pas les personnes handicapés !  »

Josie est passionnée par le cinéma, mais l’âge et la polio dont elle est atteinte, auxquels s’ajoute la difficulté d’accès au septième art, lui ont passé l’envie de sortir voir des films. Dans les films, on voit rarement une personne en situation de handicap jouer un personnage dont l’histoire n’est pas uniquement centrée sur son handicap. Mais ce qui révolte Josie, c’est que l’on médiatise uniquement les « personnes handicapées qui sortent du lot ». « Au cinéma, on voit des clichés, on a tellement parlé d’Intouchable, mais ça ne représente pas les personnes handicapées. Philippe évolue dans un milieu qui n’est pas celui de la majorité des personnes handicapées, (…) les difficultés sont autres que celles que le gars de ce film rencontre. » Pourtant des artistes handicapés se sont bien représentés dans leurs arts afin de témoigner de leurs douleurs physiques, ou de partager leur condition. Régis Kern y a justement pensé, et a reproduit en impression 3D le tableau d’une personne malvoyante. « Ce tableau représente le fond d’un œil qui est malade, vu de l’intérieur par un peintre qui était en train de perdre la vue. » L’œuvre a été offerte à un hôpital Universitaire d’ophtalmologie pour transmettre un message de soutien aux personnes qui perdent la vue. D’autres artistes comme Frida Kahlo ont représenté leur handicap, leurs douleurs et les épreuves qu’ils traversent en étant handicapé. Mais Josie n’est pas convaincue lors de l’évocation des autoportraits de Frida Kahlo en fauteuil roulant. « Je ne me sens pas représentée dans l’art par des personnes handicapées comme Frida Kahlo, car contrairement à elle, je n’ai pas de talent particulier. »

Autrice : Mathilde NOULHIANNE

Photos : Marta ROGER-GERMANI

Source : Fondation Malakoff Humanis Handicap
Source : Fondation Malakoff Humanis Handicap
3 questions à... Arnaud Dubarre
Arnaud Dubarre est artiste peintre en situation de handicap et vivant de sa passion. Sur les bancs de l’école, il a appris à écrire le stylo aux lèvres, aujourd’hui il peint avec sa bouche au sein de l’association des Artistes Peignant de la Bouche et du Pied.
 
En quoi l’association a-t-elle été essentielle dans le développement de votre pratique artistique ?
 
« Vers mes 18 ans, j’ai connu l’association qui m’a permis d’avoir une bourse d’étude et donc de développer mon style, d’acheter du matériel, de payer des cours, etc. Cela étant, ça m’a aussi permis de vivre de mon travail grâce à la visibilité et aux expositions. Aujourd’hui, j’ai pu acheter une maison, employer des personnes qui me permettent d’être ‘’plus valide’’. J’ai acheté ma liberté. »
 
Qu’est-ce que ça a changé pour vous la peinture dans votre rapport au handicap ?
 
« La peinture ça m’a permis d’avoir une vie sociale, de pouvoir échanger avec les gens grâce aux expositions, d’apprendre. Et ce à travers ma peinture et pas mon handicap. Donc en effet, il y a la peinture en elle-même qui m’a nourri mais aussi tout l’aspect relationnel. Les gens viennent pour voir de la peinture, certes réalisée par des artistes peignant avec la bouche ou le pied, mais ils viennent rencontrer des artistes et parler d’art. »
 
Vous avez un mantra« la vie est une boite de chocolat, la mienne est en couleur pastellisées », pourquoi cette phrase ?
 
« Forrest Gump m’a beaucoup marqué parce qu’au début du film dans la façon dont il marche, j’ai connu ça. Et cette phrase de ‘’la vie est une boîte de chocolat’’ elle fait sens : chaque jour on ouvre un chocolat et on en découvre la saveur, on ne se sait pas à quoi s’attendre et c’est ça qui m’intéresse dans la vie. Et puis aussi parce que je suis tombé amoureux du pastel. Alors ça résume parfaitement ma vision de la vie et mon amour pour l’Art. »

Autrice : Louise PIHET

Vidéo : Louane VERGEAU

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