L’immersion Van Gogh, une expérience sensorielle ou l’art d’impressionner ?

Après Marseille et Toulouse, l’exposition immersive Van Gogh s’est installée dans les locaux d’Euratechnologies à Lille jusqu’a fin mai. Conçue par une équipe de 10 designers, elle mêle art et divertissement, attirant en moyenne 40 000 visiteurs par mois. Mais quelle impression en ressort ? Celle d’une société du spectacle permanent, qui accepte de se laisser impressionner par l’imaginaire numérique, ou celle d’un regain pour l’art tout en tirant profit de sa mise en scène ?

L’exposition Van Gogh commence par une présentation classique qui plonge le visiteur dans l’univers du peintre « maudit ». Cette rétrospective dessine le portrait de l’impressionniste néerlandais. On découvre son style, ses œuvres majeures, son inspiration tirée de l’art japonais, son quotidien à Arles avec la reconstitution de sa chambre. Ensuite, la salle immersive nous plonge directement dans les étoiles et les couleurs de l’artiste. Le réel cède la place au virtuel et au mapping. Les œuvres, projetées à 360 degrés sur les murs et le sol transforment l’espace en un tableau géant. A chaque coin de la pièce les tableaux prennent vie, forment le cadre d’une nouvelle toile impressionniste avec en son sein des visiteurs en perpétuel mouvement. À cet instant, le visiteur bascule dans l’admiration et l’émotion pure de l’art. La technologie visuelle et sonore apporte une plus-value et suscite un regain d’intérêt pour l’art. C’est le cas d’Arthur, 14 ans : « Je connaissais Van Gogh de nom. J’ai trouvé intéressant de le découvrir par des vidéos et de l’oral. C’est plus facile pour les jeunes que de regarder un tableau et d’en comprendre le sens. » L’art mineur se retrouve ainsi au service de l’art majeur. La technologie devient une manière de redonner à l’art classique ou contemporain une dimension accessible et sensorielle, surtout lorsque les musées peinent à élargir leur public. Toutefois, l’émerveillement ne dissimilerait-il pas une capitalisation de l’art qui nous inciterait à consommer l’art comme un divertissement instantané.

Une industrie culturelle rentable ?

Loin des musées publics, l’exposition est orchestrée par Exhibition Hub, une entreprise privée basée à Bruxelles, spécialisée dans la création d’événements immersifs à travers le monde. Mathilde, manageuse d’Exhibition hub nous informe que « l’entreprise a signé des contrats avec la famille Van Gogh pour pouvoir monétiser la renommée de l’artiste ». Le rachat des droits d’auteur repose sur une stratégie marketing bien rodée, centrée sur la promotion, la billetterie et la rentabilité. 

Chambre de Van Gogh en trois dimensions, photo : Florian Nizon

En s’appuyant sur des noms d’artistes reconnus, ces expositions s’inscrivent dans une logique de monétisation de l’art. Par exemple, pour accéder à la partie réalité virtuelle, il faut débourser trois euros supplémentaires. C’est le ressenti de Mina dans la boutique souvenir : « Il y a un manque de transparence. Quand je vais voir un artiste, je vais voir ses œuvres, pas des photocopies au prix de 20 euros. En fait, c’est du business. » Au-delà de la question économique l’expérience immersive cherche à nous impressionner et Van Gogh semble le peintre idéal. Impressionner, c’est susciter notre imaginaire, mais paradoxalement, c’est aussi le troubler et nous priver d’une part de notre propre interprétation.

Sommes-nous immergés ou submergés ?

Les outils de réalité virtuelle, photo : Florian Nizon.

On pourrait penser que l’immersion procure la même sensation que dans Mary Poppins, où les personnages du film plongent dans un des tableaux dessinés à la craie sur le trottoir. Or ici, le plongeon semble imposé. L’expérience devient presque hypnotique, happant le spectateur dans un tourbillon de couleurs et de sons. 

Traditionnellement, dans un tableau on retrouve du relief une profondeur de champs. Chaque trait suscite l’imagination. Ici, le pinceau est remplacé par l’ordinateur. Tout semble codifié, orchestré, la musique favorise l’émotion, le mouvement oriente notre regard, et l’absence de dimension trouble notre perception de l’espace. Le visiteur, plongé au cœur des toiles, se retrouve paradoxalement éloigné de l’origine de l’œuvre et de l’auteur, comme si une barrière invisible s’érigeait entre lui et la peinture. L’espace est certes envoûtant, mais invite plus à la relaxation qu’à la contemplation.

Les expositions immersives marquent un tournant dans notre rapport à l’art. Entre démocratisation et marchandisation, émerveillement et mise en scène elles semblent nous plonger dans un dilemme entre authenticité et adaptation. L’art est subjectif car il reflète notre perception du monde notre sensibilité. Rien ne pourra remplacer la sensation de voir la nuit étoilée pour la première fois. Mais l’art invite aussi à la réflexion et la curiosité. La question n’est pas de savoir si le virtuel peut remplacer le réel, mais si une harmonie entre les deux est possible.

Etienne Laurenceau

ZOOM

Voir avec les Mains, une Nouvelle Façon d’Explorer l’Art 

Entre 2022 et 2023, le Palais des Beaux-Arts de Lille a proposé une expérience inédite : l’art sensoriel. Les visiteurs ont ainsi pu toucher des reproductions d’œuvres célèbres, une initiative visant à rendre l’art plus accessible, notamment aux personnes malvoyantes, tout en enrichissant l’expérience du grand public. Cette démarche s’inscrit dans un projet collectif mené au sein de six musées régionaux français : Montpellier, Lyon, Rouen, Lille, Bordeaux et Nantes, membres du réseau FRAME (FRench American Museum Exchange).

Traditionnellement interdit dans les musées, le toucher joue pourtant un rôle fondamental dans notre perception du monde. L’exposition Prière de Toucher, l’art et la matière remet en question cette règle en permettant aux visiteurs d’explorer les formes, textures et volumes des œuvres d’une manière plus intime. Accompagnés par des médiateurs culturels, les participants ont ainsi pu découvrir sculptures et bas-reliefs par le biais du toucher, enrichissant leur rapport à l’art.

Mais l’art sensoriel ne s’arrête pas au toucher. Certains musées développent des dispositifs multisensoriels intégrant le son, l’odorat ou même le goût. Par exemple, le Centre Pompidou a organisé des expositions où plusieurs sens sont sollicités simultanément pour une immersion totale. Cette approche ne s’adresse pas uniquement aux personnes en situation de handicap, mais à tous ceux qui souhaitent redécouvrir l’art autrement, en dépassant les barrières traditionnelles entre l’œuvre et son spectateur.

Aude Arriail

VIDÉO : À Euratechnologies, l’exposition Van Gogh fait le pari de la technologie pour attirer de nouveaux visiteurs

par Emile Binet et Tiffaine Congratel

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