En 2025, dans un paysage musical saturé où percer devient un véritable défi, les artistes rap doivent redoubler de stratégies pour se faire remarquer. Maxpeyyy, jeune rappeur en pleine ascension, et Sylvain Desplanques, directeur du FLOW et président du Buzz Booster, éclairent cette réalité complexe, explorant les différentes solutions auxquelles recourent les artistes en quête de lumière… et leurs limites.
En décembre 2024, le journaliste musical Brice Miclet révèle sur X les tarifs de treize médias rap pour promouvoir les artistes. Le principe ? Faire payer de la visibilité à des jeunes talents en quête d’audience, en faisant payer un post Instagram ou X. Cette promotion cachée, en plus d’être illégale, pose un sérieux problème déontologique, brouillant la frontière entre journalisme et marketing.
Alors que les réseaux semblaient être la clef pour permettre une démocratisation de l’accès à la visibilité, la mise en lumière de cette pratique démontre qu’une nouvelle barrière se dresse entre les artistes émergents selon leurs moyens. Car si ces business marchent, c’est qu’il y a des artistes prêts à payer. Cela illustre la difficulté d’accès au milieu, ironique quand le rap, né pour contourner les circuits classiques, se retrouve soumis aux lois du marché.
Sylvain Desplanques, directeur du FLOW (centre européen de culture urbaine à Lille) et président du Buzz Booster (tremplin national d’artistes hip-hop), souligne le problème soulevé par ces révélations : « Pour moi il n’y a rien qui va dans cette histoire. Les artistes doivent trouver la manière de se révéler par leur talent, leur entourage etc. Ces médias donnent en plus une mauvaise prestation car je ne connais pas de rappeurs qui ont percé en payant tel ou tel média. »
Tremplins et compétitions pour émerger
Si l’option de payer pour gagner en visibilité pose un dilemme, d’autres voies, plus conformes à un idéal artistique où le talent prime, existent. C’est le cas d’initiatives comme les tremplins, qui sélectionnent les artistes sur dossier pour leur offrir des opportunités de se produire et de rencontrer des acteurs clés de l’industrie.

Bien que cette méthode de découverte artistique ne soit pas nouvelle, le Buzz Booster en est un exemple concret dans le paysage rap depuis maintenant 15 ans, à une époque où le rap peinait à obtenir la même reconnaissance que le rock, la pop ou la techno.
Sylvain Desplanques explique que leur démarche vise également à dépasser les clichés associés au rap et à faciliter son accès aux scènes institutionnelles, en encourageant une large représentation des artistes en termes de styles, d’ancrage territorial et de genre. Il explique : « C’est aussi un choix politique car on veut que ça ressemble à tout le monde, tout en prenant en compte les évolutions du style musical qui se diversifie de plus en plus. »
Cette évolution du genre se traduit également par l’adoption de formats populaires ailleurs, à l’image du télé-crochet, avec le succès notable de « Nouvelle École » sur Netflix, mettant en compétition de jeunes talents.
Des places limitées
Mais ces initiatives restent à nuancer : les places sont précieuses et peu sont les artistes qui peuvent bénéficier de ce type d’accompagnement. Le problème de fond reste la saturation du marché. “Rien qu’à Lille, tu soulèves une pierre, tu trouves dix rappeurs.” souligne Sylvain. Cette année au Buzz Booster, 1500 candidatures ont été déposées, mais seuls 75 artistes accèdent aux sélections régionales, et 11 à la phase nationale… pour une seule victoire finale.

Maxpeyyy, artiste émergent, nuance ainsi l’importance de ces tremplins, soulignant l’opacité des sélections et la frustration de ne pas toujours comprendre les critères de qualification. « Ces concours sont une belle opportunité pour monter sur scène, mais ils ne doivent rester qu’une étape. Miser uniquement sur eux, c’est prendre un risque. Il vaut mieux avancer par soi-même, bâtir sa propre communauté et tracer son propre chemin. »
Visibilité en ligne : un impératif ?
Sylvain rappelle la nécessité de chercher de la visibilité sur les réseaux à l’heure actuelle, “aujourd’hui t’as beau être le meilleur sur scène, il faut aussi être fort sur les réseaux sociaux car plus rien ne se fait sans”.

Maxpeyyy partage cet avis, tout en soulignant la pression de cet impératif crée : « Mon kiff, c’est de faire de la musique, mais je suis obligé de gérer les réseaux, même si ce n’est pas ce qui me plaît le plus, j’ai l’impression que l’image est quasiment plus déterminante que la musique. C’est pour ça que je me suis entouré de community managers ».
Ainsi, si les plateformes numériques peuvent offrir une visibilité sans précédent, elles exigent également une gestion stratégique qui peut éloigner les artistes de leur vocation première. En 2025, percer dans le rap relève ainsi d’un numéro d’équilibriste, où il faut jongler entre promotion et création musicale sans compromettre son identité artistique.
Justine Clastre
FOCUS :
La musique urbaine en France
Depuis son importation des États-Unis dans les années 70 et son expansion dans les années 80, la musique urbaine ne cesse de progresser en France, jusqu’à devenir le deuxième style musical écouté en France selon la dernière enquête de l’Institut des Métiers de la Musique. Le rap y a notamment trouvé un terrain très fertile. Ce type de musique est au centre de plusieurs enquêtes et sondages qui attestent de sa progression fulgurante dans les oreilles des français.
Alors qu’elle représentait moins de la moitié des 200 titres les plus streamés en 2016, la musique dite urbaine dépasse aujourd’hui les 60 %. Cette évolution traduit un goût des français de plus en plus important, surtout chez les jeunes (18-25 ans) qui seraient un sur deux à écouter du rap selon un sondage réalisé en Pays-de-la-Loire en 2018. Un second sondage, cette fois dans les Hauts-de-France, ne démontre aucun clivage de genre dans cette écoute, contrairement à l’opinion publique, il y a autant de filles que de garçons qui écoutent de la musique urbaine.
Le sondage réalisé pour l’étude de la Sacem en partenariat avec Redbull démontre également une prédominance du rap français dans les écoutes françaises, il représente près de 73 % des écoutes de musique urbaine. Ce pourcentage d’écoute peut être mis en relation avec un autre chiffre, celui de l’écoute sur les plateformes de streaming qui s’élève à près de 85 %, loin devant les supports physiques (CD, vinyles). Cet écart peut cependant s’expliquer par la prévalence des 18-24 ans chez les sondés puis celle des 25-30 ans, plus friands des solutions d’écoute en ligne.
Méline Morlighem