Du 3 au 5 octobre, le festival des Livres d’en Haut s’est installé au Bazaar St So et a invité des lecteurs de tout âge à entrer dans l’univers littéraire. Des petits aux grands, des ateliers d’écriture aux tables rondes : des activités, il y en avait pour tous les goûts ! C’est dans cette effusion de mots que se sont exprimées les revendications. Le festival, axé sur la politique, la sexualité et le féminisme, a mis en lumière des auteur.es qui, par l’écriture, revendiquent des droits parfois trop oubliés.
C’est au beau milieu de cette douce odeur de livre neuf que Laurine Roux, Louise Mey, Diane Truc et Bérénice Pichat emmènent leurs lecteurs auprès de leurs personnages féminins, des guerrières aux multiples facettes. À travers leurs récits, elles leur prennent la main pour les mettre face à un problème systémique : les dominations masculines. Chacune d’elles est concernée par cette question mais aucune ne rend les armes ! Laurine Roux lutte contre le poids que transmet la société de génération en génération et tente de s’émanciper de ces anciennes identités. Louise Mey montre, à travers un texte déchirant, l’étroitesse de la condition féminine et les violences auxquelles elle est confrontée. Diane Truc écrit et dessine une femme forte, trop forte pour son genre, qui doit laisser les muscles à la gent masculine. Bérénice Pichat, quant à elle, raconte une domestique en fuite constante afin d’éviter le conflit et l’opposition face à un maître instable. Leurs récits diffèrent, pourtant, le but est le même : montrer des femmes qui subissent mais qui se battent. C’est en s’émancipant qu’elles parviennent alors à montrer une nouvelle figure féminine.

Un esprit vengeur dans un corps opprimé
Spontanéité. Les quatre autrices n’ont pas trouvé d’autres mots pour expliquer leur source d’inspiration. Leurs livres s’écrivent à travers elles, et les personnages naissent de leur colère. Laurine Roux partage avec beauté la haine qui la pousse à écrire. Pourtant, elle n’écrit pas pour une cause ni contre une autre. Elle écrit uniquement pour calmer un bouillonnement intérieur. Depuis toute petite, elle garde en elle le traumatisme de Barbe bleue, seigneur d’un conte éponyme qui séduit et épouse des femmes pour les assassiner par la suite. Pour elle, ce personnage incarne tout ce qu’on peut détester du patriarcat qui place les hommes au sommet tandis que les femmes en sont leurs victimes. Cette rage qui l’anime, elle en accable ses personnages afin de créer des archétypes du salopard. Ce sentiment essentiel à son écriture porte ses fruits : une œuvre brutale qui fascine et terrifie. De cette violence naît une héroïne, une jeune femme qui tranche des têtes. Mais avant de désigner une figure de courage, ce mot évoquait pour elle tout autre chose : dans son enfance, « l’héroïne » n’était pas le féminin du mot héros mais une drogue dévastatrice. A travers ses écrits, Laurine Roux se réapproprie à juste titre ce terme. Les rôles s’inversent, la violence passe de l’autre côté. Un côté où les hommes en sont les victimes.

Lire pour s’armer
« Il faut être prête à accepter la violence et à la rendre » Louise Mey
« Les hommes violents ne sont pas des ogres, ni des monstres, ce sont des hommes ordinaires. » Louise Mey s’ancre dans le réel. « Toutes les femmes ont connu des moments de terreur. » C’est avec gravité qu’elle partage un quotidien dramatique. Celui que connaissent des milliers de femmes. Elle promeut un modèle de lecture de femmes en colère, de femmes qui bravent les coutumes. Si depuis petite on interdit la colère et la vengeance au profit de la tendresse, Louise Mey marque un tournant dans ce système. Le déclic, elle l’a eu en regardant Wonder Woman, quand un sentiment de toute-puissance l’a envahie. Enfin, on observe une femme puissante qui refuse de se soumettre. Cette femme, on peut la devenir. Pour ce faire, il faut « être prête à accepter la violence et à la rendre ». Casser les codes, s’extirper de notre éducation pour ne plus subir.
Comment aller à l’encontre d’un système qui nous veut impuissante ?
Lire, se cultiver, savoir ce qu’on vaut, ce qu’on veut. Prendre ce qui est inculqué et en faire une force. À travers l’écriture, des mots sont mis sur l’injustice. On ouvre les yeux de ceux qui ne veulent pas voir. Il ne faut plus s’habituer au cruel : c’est par des mises en scène douces qu’on montre les violences psychologiques subies. C’est par cette contradiction que les esprits s’activent, constatent et se révoltent.

« Lisez. » C’est avec ce simple mot que Bérénice Pichat nous incite à la révolte. Désamorcer le réel par la fiction. Éduquer les hommes, par la lecture, sur les souffrances qui leur sont inconnues. En lisant, on se désintéresse de soi pour porter son regard sur autrui et, enfin, le comprendre.
Jade Yanelli
Photos : Gaspard Proudhon
FOCUS : Désapprendre la domination masculine
Ce que la littérature écrit, que le cinéma illustre, que la publicité vend, que l’école transmet et que la société idéalise, c’est bien la domination masculine. Un système qui se glisse si facilement dans notre quotidien, présent à chaque instant de nos vies, tellement ancré dans nos inconscients que, nous-mêmes, femmes, ne l’apercevons plus, ne le remettons plus en question. Depuis des années, le mouvement masculiniste se développe, cherchant à redorer le blason d’un pouvoir dit « masculin ». Mais il n’a rien de nouveau : il s’inscrit dans une société patriarcale nourrissant une haine viscérale des femmes, nous arrachant même à notre humanité. La simple volonté d’exister, de vivre comme des êtres libres et égaux, mérite-t-elle qu’on nous ôte la vie ?
À travers l’histoire, nous avons été tenues à l’écart des espaces de pouvoir et de reconnaissance, privées du droit à la parole. Militer demeure l’un des rares moyens qu’il nous reste pour nous faire entendre, et pourtant, on cherche encore à nous le retirer. Dans un monde se voulant juste, mais rempli d’injustices, il devient primordial de se réapproprier, grâce à cette force collective de résistance, notre pouvoir d’agir. Un pouvoir qui passe avant tout par la transmission et par l’éducation. Car si les réseaux sociaux façonnent aujourd’hui les représentations des jeunes générations, ils reproduisent souvent les mêmes inégalités et les mêmes discours de haine, notamment à l’égard des femmes, sous couvert de liberté d’expression, séduisant ainsi les hommes prêts à confondre égalité et violence.
L’éducation demeure un levier essentiel : c’est par elle que nous apprenons à agir dans la société. Seules les nouvelles générations, par leur ouverture d’esprit, pourront briser les codes d’une domination enracinée depuis des siècles. Car si la domination masculine s’apprend, l’égalité aussi, et elle doit devenir la norme, non l’exception.
Jeanne Sorge
Vidéo : Hugo Petit
Mise en page : Damien Lecornué