L’inégalité dans la culture est-elle un frein à la compréhension du monde ?

Les feuilles rouges recouvraient les trottoirs, le vent s’élevait, l’automne était officiellement arrivé et avec, la saison des spectacles. Le vendredi 3 octobre 2025, nous sommes allées à la rencontre de Bérangère Harouet. Bérangère est chargée de la relation avec le public au théâtre le Grand Bleu à Lille. Ensemble nous avons discuté des difficultés de l’accès à la culture, pourquoi il y a des inégalités lorsque l’on parle d’art ? Comment les surmonter ?

Théâtre le Grand Bleu
Billetterie théâtre le Grand Bleu
Le théâtre du Grand Bleu | photo de Lison Braun

Lorsque nous sommes entrées, les rires d’enfants résonnaient encore dans la salle de théâtre du Grand Bleu, les gradins étaient prêts à être remplis, la scène attendait patiemment d’être foulée. Samedi 4 octobre, la pièce reprendra vie, les applaudissements résonneront sur les murs et les sourires se dessineront sur les visages. « Nous recevons deux troupes différentes qui proposent chacune un spectacle différent », nous explique Bérangère, un sourire dans la voix. Deux spectacles, deux thèmes différents, deux perspectives sur le monde et tout cela pour le prix d’un. Au Grand Bleu il est proposé différents spectacles pour tous les âges. Même les bébés à partir de six mois peuvent venir découvrir le monde magique du théâtre. « Dans le hall, des activités pour les enfants sont mises à disposition en lien avec les divers thèmes des diverses pièces. Pour les plus grands, il y a aussi des jeux de société et des coins lectures en libre accès. » Tout est pensé pour proposer un accès divers à la culture.

Bérangère Harouet, chargée de relation avec le public
Bérangère Harouet
Chargée de relation avec le publique
Le 15 octobre 2025 à 19h, une représentation chaleureuse et inclusive a réuni petits et grands autour d'un moment culturel partagé. Près d'une cinquantaine de personnes ont répondu présent, témoignant de l'enthousiasme du public pour des évènement accessibles à tous. | Photo de Lison Braun

Comment populariser la culture ?

Dans l’année, 60 % des spectacles sont adressés au public scolaire. Le Grand Bleu fait des interventions dans les établissements, que ça soit collège ou lycée, métropole ou milieu rural. « On a un projet avec le collège d’Alquines par exemple, on va faire deux semaines d’atelier et à la fin les enfants réaliseront un clip vidéo. C’est en partenariat avec le collectif Mao Mao, ce sont deux femmes qui font de la création visuelle en jouant avec les ombres. Il y a de nombreux collèges qui ne peuvent pas venir en ville, souvent c’est pour des raisons financières, les trajets sont très couteux. Alors on essaye de leur amener la culture. » Le Grand Bleu propose de nombreux spectacles « hors murs », essayant ainsi de donner la même chance à chaque enfant. Les spectacles sont par ailleurs suivis de « bords plateau, c’est un temps privilégié entre les enfants et les acteurs. Ça permet aux enfants de revenir sur leurs émotions, d’exprimer ce qu’ils ont ressenti et de mettre des mots sur tout ça. Avec le théâtre on aborde des sujets sensibles mais importants. Par exemple, on a eu le spectacle Fiesta, c’est un petit garçon qui voulait souhaiter son anniversaire mais qui va décéder avant de pouvoir. Le but est de créer des espaces de dialogues où l’on prend en compte les ressentis des enfants. »

Comprendre le monde grâce à l’art

L’art est une clef importante pour la compréhension du monde, elle permet d’apprendre et de comprendre la société dans laquelle nous évoluons. Comme disait Paul Klee, l’un des peintres majeurs du XXe siècle : « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. ». Néanmoins cette clef de compréhension n’est pas accessible à tous, budget, trajets, éducation, personne n’est égaux. Le Grand Bleu pense à l’inclusion : « Amener le théâtre aux enfants, c’est le désacraliser », explique Bérangère. Selon elle, ça permet de montrer que peu importe d’où on vient, on peut y accéder. Qu’il ne faut pas avoir peur de ne pas respecter les « codes implicites ». Ainsi, pour penser l’inclusivité au maximum, le Grand Bleu propose aussi des spectacles traduits en direct en langue des signes ou des guides audiovisuels pour les personnes malvoyantes. La démocratisation de la culture est une nécessité pour élever une société. Il est de ce fait nécessaire de continuer à penser à l’inclusivité. Il a été démontré qu’il était possible de collaborer et d’amener le savoir à ceux qui n’y ont pas accès. Un cheminement qui donne une belle perspective pour l’avenir.

Constance Pruvost

ZOOM sur une culture accessible à tous les jeunes : Lille vise le label « 100 % Éducation artistique et culturelle »

Depuis 2005, la Ville de Lille, avec ses communes associées Lomme et Hellemmes, s’engage en faveur d’une culture accessible à tous les jeunes. Dans le cadre de son Projet Éducatif Global (PEG), elle déploie une politique volontariste afin que chaque élève, dès le premier degré, ait accès à la culture et à la pratique artistique.

Cet engagement s’articule autour de plusieurs disciplines : musique, danse, théâtre, lecture, architecture-patrimoine et sciences. Ces plans sont portés par des intervenants municipaux en lien avec les enseignants, et proposent chaque année des projets aux enfants, tant sur le temps scolaire que périscolaire.

Des « classes culture » permettent aux élèves de découvrir des lieux culturels tels que l’opéra ou le musée, d’explorer les métiers de la culture et de se familiariser avec les œuvres et artistes. Ce dispositif contribue à lever les freins sociaux et géographiques qui peuvent limiter l’accès à la culture.

La Ville de Lille souhaite obtenir le label national « 100 % EAC », délivré pour cinq ans par le Haut Conseil de l’Éducation Artistique et Culturelle. Ce label reconnaît les collectivités qui garantissent à 100 % des jeunes de leur territoire une éducation artistique et culturelle sur tous les temps de vie (scolaire et périscolaire). Il permet de légitimer l’action de la collectivité, de valoriser les acteurs impliqués et de renforcer les dispositifs existants.

À travers cette démarche, Lille cherche à réduire les inégalités : un enfant issu d’un quartier populaire ou d’une zone rurale doit pouvoir bénéficier des mêmes opportunités culturelles qu’un autre. Le label agit ainsi comme un vecteur d’égalité des chances, grâce à la pratique artistique et aux rencontres avec les œuvres et les artistes. La culture ne doit pas être un privilège : elle doit être un droit, accessible à tous.

Marine Lemaitre

Réalisé par Daphné Carlier 

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