Initialement fondée à Paris en 1963, l’association Auxiliaire des Aveugles s’étend dans la région Nord – Pas-de-Calais en 2020. Son but est simple : mettre en contact des bénévoles et des déficients visuels pour des missions ponctuelles (trajets, lecture) ou à plus long terme.
C’est le cas de Carlos, fraîchement retraité, qui a décidé de devenir le bras droit de France-Annick, atteinte depuis ses 8 ans d’une rétinite pigmentaire. Depuis, sa vue baisse constamment, ce qui l’a obligée à aller 5 ans en pension pour apprendre le braille et étudier malgré son handicap. Rencontrer ce duo a permis, sans mauvais jeu de mots, de jeter un regard sur les solutions apportées aux difficultés quotidiennes de ces personnes. Quand les aides étatiques ne suffisent plus, la solidarité s’impose.
Des cheveux blancs, un chemisier bleu marine, et un grand sourire au visage, France Annick Lecoq est ce qu’elle appelle une « bigleuse ». Cette joyeuse retraitée de Tourcoing ne distingue que la lumière du jour, et parfois, quand l’exposition s’y prête, les traits d’une personne. Pourtant, même si le sourire de France-Annick illumine la pièce, tout n’est pas facile tous les jours. « Moi je ne le dis pas, mais d’autres l’affirment : le quotidien est lourd. » Et pour l’alléger un peu, elle a souhaité avoir un binôme lorsque l’association est arrivée dans la région. C’est ainsi qu’elle est mise en contact avec Carlos Rodrigues, qui, bientôt à la retraite, veut s’engager.
Ne connaissant pas ce handicap, il était au début plutôt « mal à l’aise » : il ne savait pas trop quoi faire, où se positionner. Mais « il faut être naturel, faire tomber les à priori : en face, on a une personne comme nous, avec quelques difficultés ». Rapidement, il oublie le handicap : « Un jour, je lui ai dit : t’as vu France-Annick comme c’est beau ? Evidemment, la pauvre ne pouvait rien voir, et ça l’a bien fait rire ».
Leur relation est basée sur la confiance : « Vous imaginez, j’ai accès à sa maison, ses papiers… » La franchise est centrale : lorsque l’un a envie de faire une sortie qui déplaît à l’autre, il faut le dire : « Il ne faut pas qu’il y ait de contraintes, sinon ce ne sera marrant pour personne. » Aujourd’hui, ces deux retraités sont devenus amis, au point où l’humour sur le handicap s’immisce dans les discussions : « Regarde mes belles chaussettes ! » « Ah tu n’as pas mis une blanche et une rouge, aujourd’hui ? ». France-Annick est heureuse d’avoir trouvé un tel binôme : respectueux, toujours à l’écoute de ses difficultés, ils partagent une amitié enveloppante : « J’ai l’impression d’avoir toujours connu Carlos. »
Une solidarité efficace, loin des discours passifs
Dylan Rock, 29 ans, issu d’une famille de non-voyants de naissance, est bénévole depuis maintenant 2 ans. « Très jeune, j’ai appris à “voir autrement” : à observer pour deux, à décrire, à guider, à anticiper les difficultés que d’autres ne perçoivent pas ». Dylan redoute la passivité : « Je crois profondément à la solidarité par l’expérience. Trop souvent, les actions autour du handicap se limitent à des discours ou à des aides symboliques. » Or, les discours d’inclusion gouvernementaux ne permettent pas aux déficients visuels d’améliorer leur quotidien, contrairement à l’engagement réel de bénévoles.
Et pour cause, la solidarité active permet de surpasser des difficultés récurrentes que les pouvoirs publics semblent ne pas voir. Le simple fait de sortir s’avère être une prise de tête qui porte un nom : TLV. Transporte La Vie est rattaché à Ilévia, et permet aux personnes handicapées de se déplacer plus simplement. Le trajet de 3,20€ n’est pourtant pas aussi simple qu’annoncé : les horaires ne sont pas très arrangeants pour France-Annick. La veille de notre rencontre, elle n’a pas pu aller à la gym organisée par l’UNADEV : « pour la énième fois en quelques semaines » TLV lui proposait un aller-retour aux horaires très serrés. Cela l’agace : « Moi, je n’ai pas envie de sortir, d’arriver, et pour le peu que les copains ne soient pas à l’heure, on commence l’animation plus tard, et il faut déjà repartir : ce n’est pas la peine. ». Mais son sourire reprend vite le dessus : « Ça a quand même le mérite d’exister ».
Même se déplacer à pied est un casse-tête : retenir son chemin est essentiel pour ne pas se désorienter. « Des fois, j’essaye dans la rue d’avoir un petit sourire, mais je dois avoir l’air au garde-à-vous tellement je suis concentrée. » D’où l’importance cruciale des bénévoles, qui accompagnent régulièrement lors de leurs trajets les personnes déficientes visuelles pour limiter toute prise de tête.
Si l’association est d’une réelle utilité pour ceux qui y adhèrent, elle n’est aujourd’hui pas très connue. Carlos le déplore : à la mairie de Wattrelos, personne ne la connaissait. C’est pourquoi les missions de sensibilisation, auxquelles participent parfois France-Annick, sont primordiales pour ouvrir les yeux de la société sur les difficultés de ceux qui ne voient pas. Car la prise de conscience de ces dernières par le plus grand nombre ne peut qu’inciter les pouvoirs publics à mieux compenser leurs insuffisances : « il n’est pas pire aveugle que celui qui ne veut rien voir ».
Marie Brunette
ÉDITO
Et si on apprenait à mieux voir ceux qui ne voient pas ?
On croise tous un jour une personne aveugle. Et souvent, c’est la panique. On veut bien faire, mais on ne sait pas comment. Faut-il proposer son aide, ou risquer d’être maladroit ?
France Annick Lecoq, elle, en a connu des maladresses. Un ambulancier qui veut “signer à sa place”. Des gens qui la prennent par le bras sans un mot pour la pousser à travers la rue. Pas de méchanceté, juste ce mélange d’empressement et d’ignorance qu’elle aimerait transformer en compréhension.
Parce qu’aider, ce n’est pas faire à la place. C’est proposer, pas imposer. C’est dire “je peux vous accompagner ?” avant d’agir.
C’est prévenir avant de partir, c’est lui dire “attention, il y a une marche”, ou lui placer la main sur la rampe pour qu’elle sente l’escalier.
Quand on traverse une rue, il suffit de s’arrêter un court instant au bord du trottoir, ou d’avertir par une simple pression sur le bras.
Quand il s’agit d’un siège, poser sa main sur le dossier suffit, elle fera le reste.
Ces gestes-là ne prennent rien, mais ils changent tout.
Et puis il y a ce moment avec le petit garçon. Il regarde France Annick marcher avec sa canne et dit à sa mère :
“Maman, la dame elle cherche un trésor.” Sa mère lui explique calmement, sans détour. Pour France Annick, c’est un bonheur. Parce que l’enfant n’a pas eu peur. Il n’a pas vu une “handicapée”, il a vu une personne qui avance autrement.
Et au fond, c’est ça, le trésor. Apprendre à regarder autrement, avec un peu de curiosité et beaucoup de respect.
La vraie aide, c’est de créer du lien sans infantiliser. D’accompagner, pas de diriger.
Parce qu’une main tendue, quand elle est proposée avec douceur, ça se sent toujours.
Merkel Loucif