Julian Laporte coiffe les sans-abri pour leur “redonner confiance en eux”
Julian Laporte, coiffeur-barbier, arpente les rues de Lille pour offrir une coupe aux sans-abri. L’occasion, une fois par mois, d’entretenir un lien privilégié avec ceux qu’il nomme les « oubliés ». Des maraudes pas comme les autres. Rencontre.
« Cela peut paraître bizarre, mais le fait d’être plus présentable aux yeux de tous leur donne de la force et embellit leur journée. » Le coiffeur-barbier Julian Laporte pose son regard clair sur la situation des sans-abri et a décidé d’apporter sa pierre à l’édifice. En s’inspirant du mouvement Coiff’in The Street, il crée l’association Des Héros Ordinaires en 2018. L’ancien chef de poste de sécurité s’ennuyait. Pogonophile, amateur de barbe, il devient coiffeur-barbier, métier qui a de prime abord peu en commun avec l’humanitaire. Et pourtant, avec son style rétro et sa barbe de caractère, Julian a le cœur sur la main. Des tatouages chargés d’histoire couvrent ses avant-bras, tandis que ses mains sont chargées d’espoir.
Coiff’in the street : mouvement lancé par Kevin Ortega à Marseille en 2014. Des coiffeurs décident alors d’apporter leurs services gratuitement à des sans-abri dans la rue.
Des Héros Ordinaires : association d’une quinzaine de coiffeuses, coiffeurs et bénévoles, qui offrent leur services aux personnes les plus démunies. Créée par Julian Laporte en 2018.
Coiffer les sans-abri
Une fois par mois, Julian quitte son ordinaire salon de La Chapelle d’Armentières pour battre le pavé avec son équipe. Aujourd’hui, son association s’est fait une place au soleil, et d’autres associations contactent les « Héros ordinaires » afin de leur prêter des locaux. Un moyen d’être au chaud, et de passer un moment plus convivial. Le bienfaiteur arbore une casquette des « Bearded Villains », non pas un groupe de rock ou de motards redoutés, drôle d’idée pour un amateur de soul et de jazz des années 60. « C’est un club créé à Las Vegas qui organise des actions en faveur des plus démunis. » Julian transgresse ainsi les a priori sans omettre que sur la scène sociale, les apparences comptent. Avec son équipe, il organise des maraudes pour offrir des sacs d’hygiène, de la nourriture, des vêtements chauds, une coupe de cheveux et de barbe.
Lors des premières maraudes certains refusaient notre service. Par gêne, voire honte. »
« Lors des premières maraudes certains refusaient notre service. Par gêne, voire honte. » Son travail, c’est de redonner de l’estime aux sans-abris, en renouant le lien social dont ils sont souvent exclus. S’il ne demande rien en retour, le barbier reçoit quelque chose de ses interventions : « Je me rends compte que je peux apprendre auprès de personnes dormant dans la rue chaque nuit. » Ce partage qui l’anime, il l’incarne en un exemple. Willy, 70 ans, est un fringant habitué des services des « Héros ordinaires », le premier. Tout sourire, le barbier l’évoque : « Nous sommes toujours heureux de nous revoir chaque mois. Lorsque j’arrive, tous savent que Willy est le premier à passer, et souvent ils lancent des cris pour le charrier de son statut de chouchou. »
Je suis toujours heureux de pouvoir aider ceux que je considère comme les oubliés de la société. »
Ceux qu’il nomme les « oubliés » se redécouvrent. Les apparences sont parfois salvatrices et n’ont rien de futile. Leurs barbes n’ont pas à roussir des autres. Julian est conscient de revaloriser la perception de leur apparence. La question de l’allure se noue entre l’esthète de métier et ceux qui font l’objet d’un rejet intériorisé. Or l’acceptation de l’apparence physique est tributaire de normes sociales. Elle implique aussi l’assentiment des autres. Les mains professionnelles des Héros ordinaires retournent en toute humilité aux sources primaires de l’intégration sociale. La nécessité d’une image corporelle conforme à un horizon de valeurs est tout à fait liée à la disqualification des “invisibles”. « Nous avons pu aider certains de nos sans-abri à se relancer dans la vie active, en leur trouvant un travail mais aussi un logement. » Ces externalités positives demeurent lourdes de présomption, et cela, en partant d’une coupe de cheveux et d’une barbe soignées. Julian Laporte et son équipe de héros ordinaires sont donc des citoyens, qui nous rappellent qu’il n’est nul besoin de cape pour être capable de retisser le lien social et tout simplement de faire du bien.
Emma Pons
Interview d’Antoine Lesot: récit d’un coiffeur aux États-Unis
Vidéo: Xi Huang
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Sans-domicile, sans-abri : entre chiffres et initiatives
Le recensement des personnes « sans domicile fixe » n’est pas possible. Les instituts de statistiques ne prennent en compte que les personnes qui vivent dans des logements d’accueil. Le nombre exact de sans-abri et de sans-domicile est donc impossible à savoir. Mais certaines associations bénévoles se mobilisent pour compter ceux que l’on appelle les “invisibles”.
Les rapports de l’ONU indiquent qu’à l’échelle internationale, le nombre de sinistrés a significativement augmenté. En Europe, c’est la Fondation Abbé Pierre (FAP) et la Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri (Feantsa) qui tentent de comptabiliser les sans-abri. Les définitions de ces catégories d’individus sont complexes et ne sont pas les mêmes pour tous les pays. Cependant, on sait aujourd’hui que près de 11 millions de ménages en Europe sont privés de logements.
En France, ce sont des instituts de statistiques qui comptent le nombre de sans-abri et de sans-domicile. Les deux notions sont différentes et leur définitions influencent fortement les calculs. Un sans-domicile est une personne qui passe la nuit dans un lieu non prévu pour l’habitation ou dans un service d’hébergement, selon l’INSEE. En revanche, un sans-abri est une personne qui vit dans la rue ou dans tous lieux qui ne sont pas considérés comme un hébergement.
Enfin, dans le Nord et le Pas-de-Calais, les individus prennent des initiatives pour venir en aide aux personnes sans logements ou en situation de précarité. Plusieurs associations militent pour que des places en hébergement soient garanties toute l’année, et aident les personnes démunies. Par exemple à Tourcoing, des lycéens ont mis en place l’opération « Sakado » qui consiste à donner un sac à dos rempli de vêtements chauds, d’un nécessaire de toilette et de petites attentions (chocolats, livres) pour les sans-abri. Il est donc possible d’agir pour aider les personnes qui subissent la pauvreté à travers diverses actions.
Louise Monard–Duval