Au Café Citoyen, le bistrot devient laboratoire d’idées
Situé sur la place du Vieux Marché aux Chevaux à Lille, le Café Citoyen accueille une multitude d’initiatives citoyennes et sert de refuge à de nombreuses associations. Portrait d’un café militant.
Au sous-sol, face au miroir des toilettes, on ne prend pas le temps de se recoiffer. « Queer vénère », « Extinction rébellion », « Fête ta friche », « Grève générale », « La place des femmes est partout ». Tant de stickers et de slogans qui attirent l’attention et révèlent surtout l’engagement de celles et ceux qui sont passés par là. Militants, consommateurs, souvent les deux.
D’ailleurs, le festival Elnordpadcado s’est lui aussi vu offrir une visibilité au Café Citoyen. Ils sont nombreux parmi les habitués à avoir voulu « barrer la route du conquistador » Lille 3000 en proposant une contre programmation au festival Eldorado qui lui, attirait toute la lumière.
Puis on se sèche les mains, on remonte commander un lait d’orgeat, une bière, un jus de sureau, pourquoi pas accompagné d’un gâteau maison. Ici on boit du café mais pas que. On mange aussi, local et 100% bio mais seulement le midi en semaine. On ne réserve pas. Il faut venir sur place pour connaître le menu qui varie tous les jours. Aujourd’hui, c’est soupe de panais héliantis, daïkon râpé, polenta crémeuse et purée navet miel. La petite courge rôtie, elle, servira de déco.
L’une des employées, Noémie, confie en souriant : « On a un Facebook pour dire qu’on n’utilise pas Facebook. Le but c’est que les gens se rencontrent et que les gens nous rencontrent. » Entre bistrot et coopérative, eux-mêmes ne savent pas vraiment comment se définir. On y boit, on y mange, on y discute (beaucoup), on y débat, on s’y croise, on s’y retrouve. Finalement, c’est un grand laboratoire d’idées.
Le café naît un jour de braderie en 2005. Créer du lien social sur deux étages devient rapidement le leitmotiv de l’équipe. Tom, qui sert un allongé poursuit : « En réalité, le café est presque un prétexte, enfin je veux dire un outil à la disposition des gens qui n’ont ni les réseaux, ni la possibilité d’obtenir des lieux pour se réunir. » C’est ça l’idée de départ, accueillir des initiatives citoyennes diverses afin de pousser à la création, à la discussion et imprégner le café d’une ambiance militante.
L’horizontalité se retrouve jusque dans l’équipe qui compose le service, les huit employés salariés sont (presque) tous associés. L’adhésion du huitième est en cours mais ne saurait tarder.
Ce café plutôt qu'un autre...
Situé à deux pas de la rue de Béthune, l’artère commerçante de la ville, le café citoyen ne perd pourtant rien de son attractivité. Il a même vu augmenter sa clientèle tandis que les grandes enseignes se développaient de l’autre côté de la place. Le côté associatif et le bouche à oreille entre habitués et néophytes y jouent pour beaucoup. C’est aussi le rapport qualité/prix qui pousse les
Lilloises et Lillois à passer la porte du café.
« En terme de restauration, on reste sur une tarification quand même accessible et on s’aligne en dessous de celle des autres bistrots de la rue de Béthune. Tant que l’on n’est pas au-dessus, ça ne nous portera pas préjudice », assure Noémie.
Vu comme assez traditionnel, le Café Citoyen ne porte pas en devanture la marque de son engagement. Alors certains y rentrent par curiosité puis en sortent en ayant découvert de nouvelles associations. Elles sont nombreuses à organiser leur AG (Assemblée Générale) au Café Citoyen. Ce vendredi, c’était la réunion du collectif de peinture lillois « Atelier XI Box », mais tous les mois, c’est plus d’une vingtaine de collectifs qui investissent les étages. Le RAP’L, Les amis de la monnaie locale ou encore des groupes photo, des café-philo… Aucune réservation ni frais supplémentaires ne sont demandés pour organiser une réunion. « Seul impératif : consommer au moins un café chacun pour qu’on puisse continuer à payer le loyer », plaisante Noémie.
Sur un ton plus austère, Tom concède que le militantisme du café n’est pas au goût de tout le monde. « On a déjà retrouvé des croix gammées sur la porte du café. » En effet, s’il peut paraître sectaire pour certains, le café assume une ligne politique bien claire et bien à gauche. D’ailleurs, ce n’est jamais arrivé qu’une association revendiquant une étiquette politique de droite soit venue trouver refuge au Café Citoyen.
Adapter son comportement pour mieux vivre ensemble
Lieu d’échanges permanents, le Café Citoyen côtoie tout de même certaines contraintes au quotidien et particulièrement lors d’organisation d’événements comme des expos photos, des projections ou concerts. Preuve à l’appui, le vernissage de Nina Pugliese, vendredi 24 janvier, coïncidait avec le retour de la manifestation contre la réforme des retraites. Servant comme à son
habitude de QG (Quartier Général) en fin de manif’, le café a eu du mal à accueillir tout le monde sachant que le premier étage était réservé au vernissage. Noémie assure : « Le jeu c’est aussi la mise à disposition de l’espace du café et tout le monde peut y prétendre. »
En effet, il n’est pas toujours simple d’expliquer aux gens qui ne connaissent pas le lieu que l’activité du café est aussi d’accueillir du public et certains événements. Tom réagit : « Finalement ça en fait un lieu de consommation où le consommateur va aussi devoir se comporter différemment. »
Vigilance oblige, mieux vaut venir au café montre en mains car les horaires tordues en ont trompé plus d’un. En effet, le café citoyen est ouvert du lundi au vendredi de 11h02 à 23h58 et le samedi de 14h03 à 1h54, heure locale.
Laura Beaudoin
Zoom sur...
L'exposition de Nina Pugliese : une incitation à la rencontre
Depuis le début de ses études en histoire à Lille, il y a cinq ans, Nina Pugliese est une
fidèle habituée du Café Citoyen. Elle y inaugure sa première exposition.
Du Maroc au Vietnam en passant par le Liban, du haut de sa vingtaine et armée de son 50
millimètres*, Nina Pugliese sillonne les routes du monde pour y poser son oeil de jeune
photographe. Serveuse à l’Écart** pendant plus d’un an, elle profite de sa prime de fin de contrat
pour réunir des pellicules et partir en voyage. Nina y photographie ses rencontres : une manière,
pour elle, d’ancrer les scènes dans sa mémoire. Elle ne rompt pas pour autant pas le lien créé
avec les gérants du Café Citoyen qui lui propose, aujourd’hui, d’exposer sur leurs murs. À travers
ses clichés de voyages, Nina transmet aux visiteurs du café des instants de la vie quotidienne
d’habitants de New-Delhi, Batroun ou encore Fès. Ces scènes entrent en résonance avec
l’atmosphère animée du Café Citoyen où des personnes d’horizons divers se côtoient.
Dans les prochains mois, toujours en quête de nouveauté pour pousser sa créativité
artistique, Nina Pugliese s’installera à Florence, en Italie. En attendant, son récit de voyage des
cinq dernières années est à contempler jusqu’au 29 février sur les murs du Café Citoyen.
Janice Bohuon
Instagram : @ninapugliese
* Longueur d’objectif d’appareil photo qui permet de faire des portraits de personnes
** Un café lillois engagé, à 5 min de la Place de la République