Collages contre les féminicides : l’illégalité pour dénoncer
Devant l’invisibilisation médiatique et générale des féminicides, certains ont décidé d’agir. Un collectif de collage intersectionnel et inclusif lillois, @collages_feministes_lille sur Instagram, n’hésite pas à nous confronter au problème.
Chaque année, de nombreux hommes tuent leur femme ou leur ex-conjointe. Si en 2018 elles étaient 121 à mourir de la main de leurs bourreaux, elles étaient 149 en 2019.
Pour ce collectif, les féminicides sont invisibilisés dans les médias et trop peu pris au sérieux par la loi. Coller des messages forts sur les murs est donc un moyen de lutter efficacement contre cette invisibilisation. On peut choisir de ne pas médiatiser une histoire, mais en étant confronté à un message grand format collé face à soi, il est tout de suite plus difficile d’ignorer son contenu.
Rendre visible par l'illégalité
Le collectif revendique en effet une reconnaissance des féminicides par l’État en tant que tel, ainsi que des actes concrets en réponse à ceux-ci. En effet, en cette fin d’année 2019, 1 femme était tuée toutes les 48 heures sous les coups de son conjoint ou ex-partenaire. Pourtant, les chiffres ne prennent pas en compte les femmes SDF, les travailleuses du sexe, ni les femmes transgenres tuées par des hommes, ce qui augmenterait à nouveau le nombre de victimes tuées pour leur condition de femmes. Leur but est également de rendre visible les témoignages et de libérer la parole.
Mais ces collages, bien qu’au but honorable, sont illégaux. Avant chaque collage, on rappelle donc les risques encourus, comment réagir si l’on se fait attraper par la police ou en cas de garde-à-vue. Si pour l’instant la police leur demande seulement de défaire leurs collages lorsqu’ils se font prendre, les militantes et militants pourraient écoper d’une amende de 90 euros, avec un surplus de 15 euros par affiche (qui correspond à une feuille A4 dans leur cas). Cela justifie donc qu’un guetteur ou une guetteuse soit désigné avant chaque opération, bien que le collage ne soit pas un motif suffisant pour être emmené en garde-à-vue. Si l’on en vient à envisager une solution illégale pour donner de la visibilité aux féminicides, c’est car « il n’y a pas grand chose d’efficace dans le légal pour faire changer les choses », selon Max, un-e militant-e non-binaire. Max cite d’ailleurs un agent de la BAC leur ayant demandé de « retirer leur collage de filles ».
On retrouve des gens prêts à militer alors qu’ils et elles n’avaient jamais milité avant.
Le collectif mène une lutte intersectionnelle, c’est-à-dire que l’on combat d’autres oppressions touchant les femmes telles que le racisme, le validisme ou encore la transphobie. « La notion d’intersectionnalité est importante, précise Max. On ne peut pas se dire féministe si on ne combat pas toutes les oppressions dont les femmes sont victimes. » Suite aux propos transphobes de Marguerite Stern, la femme à l’initiative des premiers collages collectifs sur Paris pour dénoncer les féminicides, de nombreux collectifs de collages se sont désolidarisés de cette manière de penser.
Le collectif, qui agit en non-mixité choisie, n’accueille pas que des habitués de l’action en son sein. Pour beaucoup, c’est leur première action militante sur le terrain : « On retrouve des gens prêts à militer alors qu’ils et elles n’avaient jamais milité avant », raconte Victor.
Lors des collages, des passants curieux les questionnent et les membres du collectif n’hésitent pas à les informer sur le but de leurs actions. Cependant, les gens ne sont pas toujours aussi cléments et certains passants se montrent moins amicaux, « mais on évite le conflit », explique Victor.
D’ailleurs, les collages disparaissent souvent aussi vite qu’ils sont apparus, arrachés ou déchirés. Est-ce alors une solution viable pour donner de la visibilité à ces femmes assassinées ? Le collectif estime que son action isolée n’est pas suffisante pour faire progresser la cause, mais il s’inclut dans un mouvement social qui a pour but de faire changer les choses. Leur but, le collectif l’affirme, est de déranger pour rendre visible : « Si vous déchirez c’est que vous vous sentez responsables. »
Léa Lemaire
Les collages nocturnes : Comment ça se passe ?
© Gabin Grulet
ZOOM : Que fait l’Etat ?
Dénoncer par le biais du collage n’est pas sans risque. En effet, comme rappelé précédemment, c’est aussi et surtout un acte de désobéissance civile. Mais alors, que se passe-t-il du côté de la loi ? Bien que les collages mettent en lumière toutes les violences sexistes et sexuelles, nous nous penchons ici sur le cas des violences conjugales. On vous explique, en quelques points, les mesures prises par le gouvernement et afin de lutter contre ce fléau.
C’est en réaction aux féminicides, de plus en plus nombreux chaque année (entre 122 et 149, selon les sources) qu’un « Grenelle des violences » s’est tenu du 3 septembre au 25 novembre 2019. Parmi les mesures annoncées par Edouard Philippe après cette grande concertation, on peut retenir :
- L’éducation des élèves et des enseignants à la non-violence et à l’égalité entre filles et garçons, appuyée par des ateliers de prévention et de sensibilisation obligatoires.
- La libération de la parole des victimes. Notamment par le biais du 3919, un numéro gratuit d’appel d’urgence à l’écoute 24/24 et 7/7.
- Une meilleure formation des gendarmes et policiers à accueillir les victimes de violences.
Question budget, le gouvernement prévoit d’allouer 361 millions d’euros aux violences faites aux femmes, sur les 530 millions consacrés à l’égalité hommes femmes.
Angélique Bailleux