Spiritek, un autre regard sur la consommation de drogues
Depuis 1996 à Lille, l’association Spiritek accueille et informe les usagers de drogues sur les risques liés à leurs consommations. Rencontre, sans tabou, avec ceux pour qui la décriminalisation doit se substituer à la répression.
Difficile de vagabonder rue du Molinel sans jeter un coup d’œil à la façade du local d’accueil de Spiritek. Placardées contre la vitre, les affiches aux couleurs vives attirent l’œil : « Tout ce qui monte redescend. Prend le temps d’atterrir, mange bien et repose toi. »
C’est en franchissant la porte que l’on pénètre dans un autre monde. Celui où être toxicomane, par exemple, ne fait pas l’objet d’un jugement. A l’intérieur, l’accueil est convivial. Pas de code d’accès ni de fouille à l’entrée. Pourtant, l’ambiance reste pesante. Certains discutent, de tout mais surtout de leur précarité. D’autres ont le regard hagard et semblent ailleurs.
Ni répression, ni prévention
En France, les décès liés aux drogues sont au cœur du débat public. Et si les plus mortelles – l’alcool et le tabac -, sont légales, les surdoses létales ou les infections causées par des drogues illicites sont également à souligner.
C’est contre ces issues fatales que Spiritek, CAARUD depuis 2006, se mobilise d’une autre manière que celle proposée par la loi. Si bien que lorsqu’un consommateur pousse la porte du local en possession ou sous les effets de drogue(s), il n’est pas question de le condamner. « Ici on voit la consommation de manière pragmatique », explique Audrey Senon, coordinatrice de l’association. « On sait que les gens se droguent et on constate que la répression ne fonctionne pas. S’ils continuent, autant les encadrer et réduire les risques.»
Les membres de l’association privilégient alors le dialogue et tentent de répondre à toutes les questions sur les risques liés aux différents produits. « Au même titre que la répression, nous ne faisons pas de prévention. On n’empêche pas les gens de consommer », précise Audrey. Impossible, donc de percevoir des affiches « anti-drogue » dans les locaux de Spiritek. Il est également peu conseillé de s’y rendre sans être consommateur.
Sur tous les fronts
Afin de réduire au mieux les risques, Spiritek tente de toucher un maximum de consommateurs. Parmi les moyens d’action déployés, il y a tout d’abord l’accueil en local de jour. Collectif mais aussi individuel (sur rendez-vous), il permet de faire un point sur sa consommation. Les actions de Spiritek peuvent cependant s’éloigner du conseil et l’association délivre à qui le sollicite du matériel propre comme des seringues ou des « roule ta paille » qui permettent de sniffer à moindres risques. Chaque année et selon le journal Libération, 60 000 seringues sont distribuées.
C’est également à la nuit tombée que Spiritek intervient, installant parfois son stand dans les soirées de la métropole. On peut y trouver conseils et matériel, ainsi que de nombreuses brochures d’information. De précieuses explications également à dénicher dans certains établissements ou à l’occasion d’événements festifs. De plus, Spiritek forme les personnels de bars, de boîtes de nuit ou encore de BDE (Bureau des élèves), à la réduction de risques en milieu festif.
Et si c’était légal ?
On ne peut que s’en douter, mais l’association tente de montrer que la décriminalisation n’est pas plus dangereuse que la répression : « Mettre les gens en prison, ça ne marche pas, explique Audrey Senon. La criminalisation des drogues et des usagers précarise davantage les populations. »
Des actions fortes, comme l’ouverture d’une stupérette en juin dernier, ont été l’occasion pour Spiritek de montrer que d’autres modèles sociétaux étaient possibles.
Plus d’informations sur https://www.spiritek-asso.com/
Angélique BAILLEUX
Les addictions vues par un spécialiste
Clément CARABIE
ZOOM : Une prise de conscience tardive
Dans le milieu des années 80, l’utilisation des drogues en France est croissante, dont certaines consommations se font par injection. Auparavant, aucune action n’était mise en place pour aider les toxicomanes et il était illégal de donner des seringues propres. Ces derniers partageaient alors une même seringue pour plusieurs personnes.
Face à ce problème d’envergure, des décisions ont peu à peu été prises et des actions mises en place :
- Dans les années 70 est créée l’injonction thérapeutique menant à l’obligation de soins dispensant les toxicomanes de poursuite.
- Le 13 mai 1987, Michèle Barzach, Ministre de la Santé signe un décret autorisant la vente libre de seringues en pharmacie en opposition à la loi de 1970 sur les drogues mettant en avant la répression de l’usage des drogues illicites.
- Le 9 mars 1995, la Commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie présidée par le professeur de médecine Roger Henrion est mise en place à la demande de Simone Veil. Celle-ci prend des mesures qui vont faire drastiquement baisser les contaminations mortelles entre toxicomanes (de 80%) dans les années 90. Parmi ces mesures on retrouve : la favorisation de l’échange et de la collecte des seringues usagées, une demande auprès des doyens des facultés de médecine d’inclure des enseignements consacrés à la prise en charge des toxicomanes et aux dépendances, des lieux d’accueil ouverts aux toxicomanes (car les risques de mourir d’une overdose augmentent considérablement quand on s’injecte de l’héroïne seul dans un endroit privé) etc. Elle demande également une prévention dès la classe de CM2 car la consommation de drogues touche un public de plus en plus jeune et vulnérable, et favorise la complémentarité des traitements en cessant d’opposer le sevrage et les produits de substitution.
En parallèle, de nombreuses associations créées par des toxicomanes ou ex-toxicomanes comme l’Auto Support des Usagers de Drogues ou encore l’Association Michel près de Dunkerque ont vu le jour dès les années 80, afin d’aider et d’accompagner les toxicomanes ainsi que leurs proches.
Léa Lemaire