La Troupe met en lumière des problèmes sociétaux sous le prisme du théâtre
Des étudiants en arts qui se réunissent au nom de leur passion pour le théâtre, c’est la recette qui compose La Troupe. Organisés en association, ils mènent projets et représentations dont les sujets se retrouvent au cœur de problématiques sociétales. Le propre du théâtre, selon eux.
Tout est parti d’une question. Qu’est-ce qu’un pervers narcissique ? Pablo Lopez a voulu se saisir de ce sujet, et l’expliquer au mieux à travers un texte destiné à être joué. Une définition complexe à saisir, qui a été le fruit d’abondantes recherches. Documentaires, livres, associations, témoignages… Tous les moyens sont bons pour contourner la mauvaise interprétation. « L’important, c’est d’en parler bien », confie Pablo. Il baptise son texte final Le pouvoir des mots. De dramaturge, il enfile la casquette de metteur en scène afin de donner vie à sa pièce. Il s’entoure d’une troupe d’étudiants artistes qui s’organisent officiellement en association en janvier 2020. Ainsi est née La Troupe. Pablo en est le directeur artistique.
Lors de la première représentation du Pouvoir des mots, Pablo avait peur que les gens ne comprennent pas. Peur que l’intention qu’il avait eue en écrivant ce texte ne se transmette pas aux spectateurs. Il souhaitait avant tout établir une définition juste, presque scientifique, du pervers narcissique, et de « pouvoir capter le public en mettant plein d’émotions ». Les retours ont surpassé ses attentes. Non seulement les émotions ont fusé, mais surtout la compréhension du sujet a remplacé la méconnaissance. De plus, la fin ouverte laisse en suspens la pièce, donnant le relais à l’imagination du spectateur. Chacun crée sa propre issue, et continue de ce fait la réflexion proposée par la pièce.
Des thèmes actuels
À travers un tel thème, le jeune dramaturge avoue son envie d’alerter la société. Mais avant la représentation, il n’avait pas réalisé à quel point c’était actuel. Après avoir vu sa pièce, il a recueilli des témoignages de personnes lui confiant que de près ou de loin, elles connaissaient un pervers narcissique, mais qu’elles n’avaient pas su l’identifier comme tel. Et surtout qu’ils ne savaient pas quelle attitude adopter à cet égard.
En parler, montrer que ça existe, et que l’on peut réagir. C’est une des définitions du théâtre selon Pablo et Fantine Devin, présidente de La Troupe. Ils enchaînent sur le théâtre engagé : « Le théâtre qui n’est pas engagé, ça n’existe pas. » La première pièce de La Troupe ne se revendiquait pas comme telle. L’intention n’était pas d’écrire une œuvre engagée. Mais malgré cela, même si l’engagement de la pièce n’est pas nécessaire, il apparaît souvent de manière spontanée, implicite. Les mots écrits pour ensuite être dits sur une scène dissimulent toujours un message.
« Dans l’Antiquité, aller au théâtre était un devoir », Fantine Devin
Fantine a justement rappelé les origines du théâtre, qui remontent à l’Antiquité. C’était alors un devoir que d’assister à des pièces et de s’instruire par ce biais. Le théâtre se faisait révélateur des problèmes de la société. On y montrait des vices afin que le public les intériorise comme mauvais, et à ne pas reproduire. C’est le principe de la catharsis. « Il n’y aurait plus de théâtre si il n’y avait plus de problèmes », affirme la présidente de La Troupe. Elle replace ce rapport entre le théâtre et la société à notre heure actuelle, en disant que cet art a toujours le devoir de montrer, et d’apprendre. Le théâtre pourrait alors maintenir un équilibre dans la société, en mettant certains problèmes au grand jour, en les expliquant, et ainsi aider à les résoudre.
D’ailleurs, la catharsis sera le sujet de la deuxième pièce écrite par Pablo pour La Troupe. En attendant, ils montent un projet pour la semaine du 8 Mai sur les femmes tondues au lendemain de la guerre.
Margaux Dubrulle
Shrie, le projet de La Troupe
Ophélie Nougarède
ZOOM : L’art de dédramatiser des problématiques individuelles
« Même dans la manière de faire théâtre on résout des problèmes », outre les problèmes sociaux que met en lumière le théâtre, Pablo Lopez souligne un autre aspect du théâtre. Le pendant d’un spectacle et de son aspect politique est avant tout la mise en scène de soi. L’initiative individuelle d’être acteur est un biais pour résoudre des problèmes d’élocution, d’expression corporelle ou orale, en somme de confiance en soi.
Dédramatiser la prise de parole en public avec tout ce que ça sous-entend d’anxiété sociale semble nécessaire pour assurer une bonne présentation de soi sur la scène sociale. Il n’est pas vraiment question de thérapie dans le théâtre, mais plutôt d’un cadre ludique. Les règles du jeu sont déterminées à l’avance. La catharsis est ici renversée pour les comédiens effarouchés car le théâtre est à bien des égards une école de l’audace. Or les enjeux sont déplacés, nul besoin de parler en son nom derrière le quatrième mur. La subversion des masques fait sonner les mots d’un autre, et parfois des paroles universelles dans le théâtre militant. Sous les feux projecteurs, le comédien est nettoyé de toutes ses assignations identitaires. Si le théâtre classique a l’avantage du texte, la mise en scène théâtrale n’a rien à envier à la mise en scène sociale. Le théâtre à l’usage des timides, c’est une incommodité transformée en lumière en variant le ton, représentation, interaction et inhibition.
« La vie elle-même est quelque chose qui se déroule de façon théâtrale. Le monde entier, cela va de soi, n’est pas un théâtre, mais il n’est pas facile de définir ce par quoi il s’en distingue. »
Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, Tome 1 La présentation de soi
Emma Pons