Les librairies indépendantes face aux enjeux contemporains
La concurrence qui règne entre les grands groupes et les petites librairies indépendantes, risque bien d’anéantir ces dernières. Néanmoins, ces petites librairies subsistent toujours, grâce notamment à un secteur du livre se portant relativement bien et à l’élaboration de solutions encourageantes.
Les récits façonnent nos vies. L’imaginaire se construit à partir des histoires que l’on lit au fil de notre existence. Qui ne souvient pas du sentiment qu’il ressentait lorsqu’il rentrait dans sa librairie ? Là où, lui où ses parents achetaient leurs livres. Alors la disparition de ces commerces, c’est comme la disparition de notre personnalité.
Un marché inégal
La vente de livre se porte bien. En effet, le nombre de ventes augmente d’année en année. Il s’est vendu, en 2019, 419 millions de livres, selon le Syndicat National de l’Edition, soit une augmentation de 3,8 % des ventes par rapport à 2018.
La bande dessinée rencontre un grand succès avec les livres loisirs et pratiques. Le secteur se diversifie avec l’apparition des e-books (201,6 millions d’euros de chiffre d’affaire en 2017) ou des livres audios. Néanmoins, on remarque que de plus en plus de livres sont vendus à très peu d’exemplaires. En effet, sur la décennie 2007-2016, on observe une augmentation de 50 % du nombre de livres différents ayant fait au moins une vente. Il existe donc une plus grande diversité de livres qu’avant. Mais 90 % des livres sur le marché ne se vendent qu’à moins de cent exemplaires, et 68 % d’entre eux à moins de dix. Une part infime de livres rencontrent donc un succès auprès des lecteurs. Malheureusement, ce phénomène tend à s’accroître car le monde de l’édition ouvre ses portes à un nombre plus important d’écrivains. Il existe même l’autoédition.
Une concurrence déloyale entre librairies indépendantes et grands groupes
Le nombre de ventes de livres effectuées par les grands groupes comme la Fnac, Amazon, Cultura ou les différents hypermarchés augmente. Ils asphyxient les petites librairies indépendantes. Ces dernières ont vu leur nombre de clients diminuer drastiquement au cours des dernières années. Le développement de la vente par Internet n’améliore pas leur cas. Amazon domine de la tête et des épaules ce secteur où un nombre incalculable de livres sont vendus. Les boutiques indépendantes se reposent majoritairement sur une clientèle fidèle. Depuis mai 2020, et le déconfinement, les librairies de proximités retrouvent des clients qui souhaitent profiter de cette proximité et du contact humain. Le confinement les a paralysés mais le déconfinement leur a permis de fidéliser une nouvelle clientèle, bénéfique pour leur commerce.
Des solutions pour résister à la concurrence
La situation des libraires indépendants n’est pas sans espoir. Afin de résister, certaines librairies possèdent leur propre site internet comme par exemple librairiesindependantes.com, créé en 2017 et qui rassemble plus de 1000 d’entre elles. Elles choisissent de s’unir pour s’imposer dans le secteur du e-commerce, dominé par Amazon. Ce n’est malheureusement pas le cas de toutes. Mais les libraires ne s’appuient pas uniquement sur cela. En effet, elles se différencient des grandes enseignes et profitent de leur dimension sociale, de leur proximité avec les clients, des rencontres organisées avec des auteurs et de leurs conseils de lecture personnalisés.
Privilégier ce type de commerce, est un mode de vie que de plus en plus de Français semblent adopter. Connaître l’origine des livres et des auteurs ou retrouver le goût de l’authentique, sont des désirs de plus en plus importants pour les lecteurs. “Notre plus gros atout c’est l’humain !” déclare Lylia Aït Menguellet, gérante de la librairie Meura. En effet, ceci semble impossible en achetant les livres sur Internet. Payer parfois plus cher, pour un service plus personnel semble être un moyen de soutenir ces libraires qui doivent lutter contre une pression perpétuelle exercée à leur égard.
Romain Tible
ZOOM
Le numérique, une opportunité à saisir pour les libraires ?
Si le bon vieux livre classique peut parfois paraître démodé aux yeux des jeunes lecteurs, cela s’explique par l’apparition d’un nouveau marché : le livre numérique, aussi appelé « ebook ».
Selon un rapport du ministère de la culture sur l’économie du livre, les livres numériques représentent près de 9 % des ventes de livres aujourd’hui en France. Un chiffre en constante augmentation depuis 10 ans. En effet, on trouve aujourd’hui la quasi totalité des ouvrages sur les grandes plateformes comme Amazon ou la Fnac. Pourtant, seulement 5 % des Français ont opté pour le ebook en 2019. Un chiffre qui laisse de l’espoir aux librairies indépendantes, qui tentent de se réinventer en proposant d’autres plateformes alternatives comme le site leslibrairies.fr ou epagine.
Ce « combat » mené entre autres par le syndicat de la librairie française vise à adapter la librairie classique au monde du numérique. En effet, en 2011, le syndicat de la librairie française a obtenu la prolongation de la loi sur le prix unique des livres aux ebooks. Les liseuses Kindle (Amazon) conservent toutefois le monopole de vente sur leur support de lecture.
Si le ebook présente de nombreuses facilités, il est également source d’opposition entre grands groupes et libraires indépendants. Un conflit qui ne date pas d’hier mais qui laisse des traces physiques. En 2020, le célèbre quartier Latin de Paris déplore la fermeture symbolique de nombreuses librairies qui ont participé à la légende de ce quartier mythique. Si le ebook se veut moderne et pratique, le goût de l’authentique et l’odeur d’un livre sont des sensations qui ne se dématérialisent pas.
Guillaume Triaire
Interview de Lilya Aït Menguellet de la Librairie Meura
La librairie Meura existe depuis 1946, spécialisée en sciences humaines et littérature et située dans le quartier Saint Michel (ancien quartier des facs).
- Quel type de clientèle fréquente votre librairie ?
« On n’a pas tant d’étudiants que ça parce que structurellement le marché universitaire se réduit. C’est une clientèle plutôt de curieux j’ai envie de dire et c’est ce qui est intéressant : on a un panel de clients très divers. »
- Comment se faire connaître ?
« On fonctionne beaucoup par le bouche à oreille, par la prescription universitaire quand même. On essaye d’être présent sur les réseaux évidemment. On participe autant que possible à des manifestations extérieures : des colloques, des journées d’études, des congrès. On noue des partenariats avec des structures extérieures qui invitent des écrivains ou qui créent des événements, des librairies éphémères. Il faut réfléchir en termes d’animations pour proposer des choses qui sortent du lot. »
- Y a-t-il une menace des commerces en ligne qui se développent notamment Amazon ?
« Les librairies indépendantes font de la vente en ligne, il n’y a pas d’opposition entre la librairie physique et le commerce en ligne. Ce n’est qu’une étape de développement. Il y a évidemment une menace de ces commerces qui bénéficient d’avantages et de moyens que nous n’avons pas. Nous nous démarquons par le fait que nous sommes des magasins physiques. Il y a encore beaucoup de personnes qui aiment flâner dans une librairie, acheter des livres et profiter d’un conseil personnalisé. Le libraire a une connaissance personnelle et subjective du fond, c’est ce qui nous permet de lutter contre l’uniformisation qu’on retrouve sur tous les sites de vente en ligne. Notre plus gros atout c’est l’humain ! »
- Quel rapport entretenez-vous avec les autres librairies indépendantes ?
« Il y une association des libraires indépendantes de la région qui est très active et qui réunit l’essentiel des librairies indépendantes, ce qui nous permet de ne pas être isolé dans notre métier. En novembre a lieu le festival passion d’automne où les libraires organisent un certain nombre d’évènements. On est dans une situation un peu particulière parce que c’est à la fois de la concurrence et de la confraternité mais c’est ça qui est intéressant. »
Julie Subitte