À Lille et ses alentours, des étudiants consacrent chaque semaine quelques heures à accompagner des enfants et des adolescents en difficulté scolaire. Derrière cette initiative, l’AFEV, Association de la Fondation Étudiante pour la Ville, qui depuis plus de 30 ans fait du mentorat un outil concret pour réduire les inégalités éducatives. Ici, ce sont les étudiants qui s’engagent. Jérémy Henriot, responsable du mentorat, veille à assurer le lien entre les structures scolaires et les partenaires extérieurs.
Au-delà du soutien scolaire, le mentorat vise à favoriser l’ouverture d’esprit, et familiariser les jeunes avec le monde de l’enseignement supérieur. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas la tristement célèbre plateforme Parcoursup qui engendre le plus de difficultés dans ce processus. « Il y a de plus en plus d’isolement chez les jeunes, c’est très difficile pour un ado de 15 ans d’aller seul dans des espaces étudiants de ce genre. » À travers l’accompagnement individualisé, l’étudiant bénévole guide le jeune dans ces endroits nouveaux. Cependant, cela ne fait qu’atténuer un problème plus profond pointé ici : l’isolement des jeunes. Cette difficulté est inquiétante et renforcée par un facteur émergeant ces dernières années post-Covid, celui de la fracture numérique. « Les jeunes accèdent à Internet, mais leur usage réduit leur mobilité et limite les expériences concrètes hors de leur quartier ou village. »
L’Afev comme les autres associations observe cette fracture sans avoir le pouvoir d’offrir une solution systémique à long terme. Pour Jérémy Henriot (Notre photo), ces problématiques sont souvent mal perçues. « Ce ne sont pas les mêmes causes mais les mêmes conséquences. » Le ton est affirmé. Les différences entre jeunes ruraux et urbains tiennent sur une ligne fine. En ville, certains restent enfermés dans leur microcosme, entre communautarisme, manque de transport et faible lien avec le centre. Dans le rural, la concentration des activités dans les centres impose des déplacements difficiles, et l’accompagnement se fait parfois à distance.
Il est souvent dit que ces jeunes attendent d’être pris par la main, qu’ils ne se rendent pas compte de la réalité des difficultés auxquelles ils sont confrontés. Selon Jérémy, rien n’est plus faux : « Les élèves disent souvent qu’ils ont le sentiment d’être abandonnés, ils ont conscience de ça. » Si l’Éducation nationale peine à mettre en œuvre des projets annexes au programme scolaire, les associations offrent un accompagnement individuel, complémentaire. Pourtant, le monde associatif dépend largement de subventions publiques, souvent conditionnées par des objectifs quantitatifs déconnectés du terrain, un « fonctionnement d’entreprise » est déploré dans ce système pourtant indispensable et les salariés se placent comme tampon entre une sorte de « logique administrative » et la réalité humaine et sociale.
Alors, des solutions existent, mais elles sont systémiques et demandées à corps et à cris par les associations depuis plusieurs années. Le manque de « partenariat tangible » entre les structures associatives et l’enseignement supérieur est dénoncé. Certes, le dialogue existe, mais lorsque des sujets autres que le soutien scolaire sont abordés, la reconnaissance d’un besoin associatif est écartée. Pourtant, Jérémy soutient que les deux institutions sont complémentaires et devraient avoir l’opportunité de travailler ensemble plutôt que de se frôler.
Elsa Jensen-Prunet
Crédit Photo : Martin Grosdemange et Etienne Rycek
ÉDITO. La faim justifie les moyens
Pour lutter face à la précarité alimentaire, le gouvernement avait décidé en 2020 d’instaurer le repas à 1€ au Crous pour les étudiants boursiers ainsi que pour les « non-boursiers en situation de précarité particulière ». Pourtant, en 2025, cette mesure reste largement insuffisante. En effet, encore 34% des étudiants déclarent régulièrement sauter un repas par manque d’argent. Face à une telle insécurité alimentaire, une proposition de loi visant à généraliser le repas à 1€ pour l’ensemble des étudiants a été votée le 23 janvier 2025 à l’Assemblée nationale. Problème, cette loi n’est pas encore passée devant le Sénat et pourrait ne jamais entrer en vigueur.
En septembre dernier, la Région Hauts-de-France a pris une décision lourde de conséquence. La distribution de 100 repas gratuits pour les étudiants boursiers les plus précaires a été remplacée par le Fonds Régional Social d’Urgence. Alors que se nourrir constitue un besoin primaire, cette mesure est une profonde régression. Le Conseil régional tente de se justifier en mettant en avant la réussite du repas à 1€. Or, selon l’UNEF Amiens Picardie (Union Nationale des Etudiants de France), cette décision ne fait qu’accroitre la précarité alimentaire.
Les associations qui organisent des distributions alimentaires, à l’image de COP-1 Solidarités Etudiantes, jouent un rôle essentiel qui ne cesse de se renforcer. Pour autant, ces organismes évoluent sur une ligne de crête. En effet, dans un climat de disette budgétaire, la pérennité de l’aide qu’elles apportent est menacée.
Etienne Rycek