Deux conseillères départementales de la Mayenne, Marie-Laure Le Mée et Stéphanie Lefoulon, observent depuis longtemps le manque de femmes dans les conseils municipaux des petites communes. Pour elles, il s’agit d’un frein réel à la démocratie locale. À partir de mars 2026, la loi du 21 mai 2025 étend la parité à toutes les municipalités de France. Celle de moins de 1 000 habitants, qui jusque-là n’étaient pas concernées, éliront leurs conseils municipaux selon un scrutin de liste paritaire, avec alternance femme-homme. Une réforme majeure qui vise à encourager l’engagement des femmes en politique, notamment dans les zones rurales, et à rendre la représentation locale plus équitable.
Dans les communes de moins de 1 000 habitants, les conseils municipaux ne comptent que 37,6% de femmes.
Un changement nécessaire, parfois contraignant
C’est tout l’enjeu du nouveau mode de scrutin qui s’appliquera en 2026 : faire de la politique un véritable enjeu de représentation.
La contrainte devient ici un levier d’égalité. La présence accrue de femmes dans les conseils municipaux permettra une meilleure représentation, un regard différent sur la vie locale et, à terme, une évolution des mentalités. Le système se transformera de l’intérieur, non plus par exception, mais par évidence.
Selon Léa Chamboncel, « la diversité des expériences produit de meilleures décisions. Plus de femmes, cela veut dire une meilleure attention aux services publics du quotidien, aux enjeux de care, de mobilité, de santé. Une manière de gouverner souvent plus collégiale. Et surtout, des petites filles qui verront des femmes diriger leur village, et sauront que c’est possible. »
Le réseau « Elles aussi », en partenariat avec les associations des maires ruraux de France, des maires de France et d’Intercommunalités de France, a élaboré un guide pratique de candidate dans le but d’inciter les femmes à se porter volontaire.
Pour de nombreux élus, la parité n’est pas qu’une contrainte légale, mais une véritable conviction. Certaines communes avaient déjà fait ce choix bien avant que la loi ne l’impose. À Désertines, village mayennais, le maire Bruno Lestas avait constitué une équipe paritaire pour représenter ses 488 habitants. Selon Stéphanie Lefoulon, la parité relève encore aujourd’hui d’« une sensibilité de maire » que d’une orientation politique.
Des améliorations encore possibles
Si la loi marque un progrès, elle révèle aussi un déficit démocratique persistant.
Léa Chamboncel confie : « La parité n’est pas un supplément d’âme démocratique, c’est un principe fondamental. Et il n’y avait aucune raison que les communes rurales soient les dernières zones blanches de la représentation des femmes. » Malgré des progrès en matière d’égalité, elles ne sont que 11 % à présider des métropoles ou communautés, qui sont les vrais
lieux de pouvoir localement.
Faut-il s’attendre à des conséquences importantes avec le nouveau mode de scrutin ? Pas forcément, car les représentants des petites communes au sein des intercommunalités sont souvent les maires eux-mêmes.
Or, la grande majorité des maires sont des hommes, ce qui se répercute mécaniquement sur la composition des conseils communautaires.
« En Mayenne sur neuf présidences, une seule est occupée par une femme », précise Stéphanie Lefoulon. La parité demeure insuffisante dans les conseils communautaires, alors même que ces instances exercent des responsabilités essentielles dans la gouvernance locale. « Ce sont des territoires où les décisions très concrètes – services publics, mobilité, associations, solidarités – sont prises par des équipes souvent très masculines. Étendre la parité, c’est affirmer que l’égalité ne s’arrête pas aux zones urbaines », affirme Léa Chamboncel.
Lise Clavreul
Photos : Sidonie David
Parité retardée
« La France reste un pays où le monopole masculin de la politique est à peine entamé, se situant ainsi en dehors d’une certaine modernité démocratique. » écrivait Mariette Sineau en 1992. On comprend que la parité et la démocratie, selon elle, ne font qu’un, et que la France ne manque pas de déroger à cette règle. Trente ans plus tard, cette phrase est toujours d’actualité. Il aura fallu attendre 2025 pour que la parité s’impose enfin dans les communes de moins de 1 000 habitants.
En se penchant sur le cas de nos voisins ibériques, on constate qu’eux n’ont pas attendu 2025 pour faire de cette idée une obligation. Depuis 2007, la Ley Orgánica impose que les listes électorales comptent au moins 40 % de chaque sexe. Cette loi part d’un principe simple : un déficit de femmes en politique est un déficit démocratique. En Espagne, la Constitution de 1978 place l’égalité comme devoir public. L’article 9.2 exige de l’État qu’il crée une égalité “réelle et effective”. La loi de 2007 sur la parité est donc l’aboutissement logique d’un projet démocratique.
Là-bas, la représentation équilibrée relève de la Constitution ; ici, elle reste une idée fragile qui doit encore se justifier.
Cette loi a féminisé les assemblées locales, mais sans effacer toutes les inégalités. Les postes de décision restent souvent masculins. La parité corrige la façade ; la culture du pouvoir par un patriarche, elle, résiste encore.
La France rattrape son retard juridique, mais peine à combler le fossé symbolique. Ici, la parité n’est pas qu’une contrainte administrative : c’est une mise à l’épreuve de notre modernité démocratique. Le vrai changement ne viendra pas de la loi seule, mais de la manière dont elle transformera nos représentations du pouvoir. C’est là toute la leçon du miroir espagnol.
Milla Houchon-Diez
Vidéo : La parité politique depuis 1944
Vidéo : Mila Petrov