Les minorités trouvent leur voix À l’intersection
Quand Anas Daif lance son podcast À l’intersection en avril 2020 son but est clair : donner la parole aux minorités ethniques sous-représentées dans les médias. Retour sur la naissance et les objectifs de ce projet avec son créateur.
Il est 12h30, nous rejoignons Anas Daif lors de sa pause déjeuner dans les locaux de l’École Supérieure de Journalisme de Lille où il étudie. Avant de trouver sa voie, l’étudiant originaire de Paris passe par une prépa littéraire puis s’essaye au droit Anglo-américain avant de s’épanouir en licence d’info-communication. Anas confie que malgré tout, il a toujours eu ce rêve de journalisme bien qu’il le jugeait inatteignable : “J’avais même pas mis un pied dans le journalisme que je me disais que ce n’était pas fait pour moi.” Ce qui le freine, c’est la peur de ne pas être à la hauteur, d’échouer. Une peur qu’il arrivera à balayer en intégrant la prépa égalité des chances de l’ESJ et du Bondy Blog : “C’était une chance de réussir, alors je me suis dit saisis-là.” Le voilà aujourd’hui en deuxième année de master dans la première école de journalisme de France.
Anas revient sur la création d’À l’intersection, né du constat que les médias ne parlaient pas assez des problématiques des différentes diasporas en France. Après un premier “épisode pilote” l’étudiant se questionne : quels sujets choisir, comment les traiter ? “J’étais un peu perdu dans la ligne éditoriale.” C’est dans sa réflexion qu’intervient l’élément déclencheur : les violences policières d’avril 2020. Ayant grandi dans un quartier populaire, Anas écoute les éditorialistes et journalistes s’exprimer sur le sujet. “Ils n’ont jamais mis les pieds dans une banlieue”, on sent encore la frustration dans sa voix. C’est à ce moment que le podcast prend tout son sens : “J’ai compris ce qu’était À l’intersection : donner la parole aux personnes concernées et transformer ma frustration en contenu journalistique”.
Que s’est-il passé en avril 2020 ?
Dans la nuit du 18 avril 2020 à Villeneuve-la-Garenne dans les Hauts-de-Seine (92) un motard est grièvement blessé à la jambe après avoir été percuté par la portière d’un véhicule de police. Les habitants des quartiers populaires dénoncent une bavure policière tandis que la police défend la thèse de l’accident. Une opposition que l’on retrouve également sur le terrain avec des nuits de vives tensions entre habitants des quartiers populaires et policiers partout en France.
À l’intersection c’est aussi un travail pédagogique, loin de celui de donneur de leçon. Bien que l’étudiant imagine initialement son podcast comme une production militante, il explique qu’après réflexion, attaquer aurait été contre-productif. “Le racisme c’est aussi une question d’ignorance.” Il faut alors dire les choses telles qu’elles sont en nuançant et en apportant des concepts sociologiques afin de pouvoir parler à tout le monde.
Quant aux accusations de communautarisme ou de division de la société, Anas répond avec une pointe d’humour que des gens s’en occupent déjà. Son but à lui “c’est de rendre compte et mettre en lumière les dynamiques raciales“.
Un besoin de représentation
Quand au risque d’enfermer les minorités dans des milieux médiatiques restreints et de les maintenir loin des gros médias, il reconnaît sans langue de bois : “Oui c’est bien ça le risque, de rester dans une bulle.” C’est pourquoi Anas voit plus loin et réfléchit encore aujourd’hui aux solutions pour que ces différents points de vue soient entendus sur les grands plateaux télé, émissions de radios ou grands journaux. “La mission que je me donne c’est celle du journaliste : informer les gens et raconter leur réalité.” Anas rappelle aussi que cette sous représentation impacte fortement la construction identitaire des minorités. Ne pas se sentir représenté dans l’espace médiatique crée dissonance et frustration, autant de freins dans la quête de son identité. “On a l’impression d’être des citoyens de seconde zone“, confie Anas, lui-même fils de parents marocains.
Ce que souhaite Anas Daif pour les années à venir ? “Que des podcasts comme À l’intersection n’aient plus besoin d’exister pour faire valoir les voix des minorités.”
Cliquez ici pour retrouver les podcasts À l’intersection d’Anas Daif.
Margaux Croizon
Zoom : la lutte contre la sous-réprésentation des minorités à la télévision
Le combat contre la sous-représentation des minorités dans les médias est plutôt récent. Néanmoins, il dispose aujourd’hui d’une considération et d’un statut auxquels il ne pouvait jusqu’alors pas prétendre. Au milieu des années 2000 et à l’initiative de différentes associations, les chaînes de télévision se sont elles aussi tournées, de manière relativement inédite, sur le problème. TF1, le groupe France Télévisions ou encore M6 ont fait part d’une volonté de diversité (au sens social du terme) dans leurs différents programmes. Producteurs et réalisateurs sont appelés à des castings davantage représentatifs de la population et moins stéréotypés. France Télévisions met en place un Plan d’action positive pour l’intégration (PAPI) en 2004 qui se traduit notamment par des séminaires de réflexion, des rencontres et de la sensibilisation. Dans le sport également, TF1 recrute davantage de personnes issues de la mixité. Cette liste exhaustive, traduit un engagement certes tardif des différentes chaînes mais aussi et surtout les prémices d’une prise de conscience du phénomène.
Pour la plupart des chaînes de télévision et malgré quelques exceptions, il aura fallu attendre les émeutes urbaines de 2005 et l’affaire Zyed et Bouna pour pouvoir observer une réelle volonté d’agir. Pour rappel, les deux adolescents avaient tenté de fuir un contrôle de police en se réfugiant dans un local EDF et y avaient perdu la vie, électrocutés par un transformateur présent sur le site. S’en était suivi de violentes émeutes à travers le pays dénonçant notamment les bavures policières. Le mouvement BlackLivesMatter qui a fortement touché l’année 2020 mettra-t-il lui aussi un coup d’accélérateur au combat pour la diversité à la télévision ?
Baptiste Barthel
Vidéo réalisée par Lucie Barbier