Rendre le modèle éducatif accessible à tous, une volonté aux multiples problématiques
L’école accueille chaque année des élèves aux profils divers. Chacun porte des caractéristiques qui leur sont propres et l’adaptation au milieu scolaire n’est pas toujours évidente. Des enfants aux profils inadaptés au système scolaire s’en voient finalement exclus. Elouan Ouari témoigne de son parcours et Philippe Masson, sociologue de l’éducation, apporte des pistes sur une école plus inclusive.
Le décrochage scolaire semble s’amplifier depuis le début de la crise sanitaire : baisse de motivation, incompréhension des consignes et perte de lien avec les enseignants sont, entre autres, à l’origine de ce problème. Cependant, ce constat n’est pas récent. Les difficultés émanent du mode d’apprentissage instauré par le système éducatif qui ne convient pas à tous.
Elouan Ouari, 17 ans, est, aujourd’hui, étudiant en première année à l’école d’architecture Malaquais à Paris. Sa mère, Sylvia Vandini, raconte le parcours scolaire de son fils, perçu en classe comme un élément perturbateur. Des difficultés de concentration, un déficit attentionnel associés à de l’hyperactivité, un cocktail souvent stigmatisant. Sylvia déplore que ce type d’élève “puissent être très vite en échec scolaire car on ne les accepte pas forcément“. “L’école est adaptée à ceux qui ont une mémoire auditive et qui sont en capacité d’écouter sagement le professeur, ça n’était pas le cas d’Elouan.” Elouan dessinait pour se concentrer, ce qui lui a plusieurs fois valu des remontrances : “Mes profs n’aimaient pas quand je dessinais, alors qu’il faudrait, peut-être, penser le dessin comme une technique qui aide à se concentrer ou à apprendre.”
Elouan et sa mère ont alors cherché à rendre l’apprentissage des leçons plus concret : visites d’expositions, visionnages de films et documentaires, lectures de livres hors programme. Leur but était de matérialiser les cours. “J’avais des méthodes d’apprentissage qui étaient un peu différentes. On adaptait les méthodes d’apprentissage. Au lieu de suivre la fiche de cours, on privilégiait des méthodes plus interactives”, confie Elouan. Pour l’apprentissage des déclinaisons en latin, Elouan utilise la technique du “palais mental”.“J’utilisais les pièces de la maison pour mémoriser mes cours.” A chaque pièce de la maison s’associe un mot ou une notion. Pour restituer le cours, il suffit de se dérouler le chemin emprunté lors de l’apprentissage.
Nombreux sont les enfants qui, au-delà de troubles attentionnels ou de concentration, ont un mode d’apprentissage divergent de celui proposé par l’école. Pour eux, s’adapter au système scolaire demande un effort supplémentaire.
* ce que nous lisons
**ce que nous entendons
Divers enjeux à prendre en compte
Dès 1983, Howard Gardner, psychologue américain, évoquait l’existence d’intelligences multiples. Or, “l’école française repose, majoritairement sur l’intelligence logico-mathématique, et favorise un certain type de savoir”, explique Philippe Masson, sociologue de l’éducation. Pour lui, la prise en compte de ces intelligences diverses pourrait être intéressante : “Lorsque l’on arrive à savoir quel type d’intelligence a le jeune en face de nous, on va travailler autrement.” Toutefois, cela nécessite un enseignement et un accompagnement personnalisés plus compliqués à mettre en place auprès d’effectifs de classe importants. C’est ce que concédait Sylvia Vandini : “Avoir 30 enfants dans une classe, je suis bien consciente que c’est compliqué pour les professeurs de gérer tout le monde.”
Pierre BOURDIEU
(1930-2002)
Sociologue français du XXème siècle, il est connu pour ses travaux et recherches sur la mobilité sociale. Ses principaux concepts :
- Reproduction sociale
- Ressources en capitaux
- Habitus
Néanmoins, pour tendre vers un apprentissage moins inégalitaire, M. Masson suggère de tenir compte “des aspects socio-émotionnels de l’élève”, de ce qu’il vit en dehors de la classe. Il peut être question de harcèlement, de problèmes familiaux ou de santé. Quant à cela, M. Masson rappelle une sentence apprise par les futurs enseignants lors de leur formation : “Il ne suffit pas d’accrocher son manteau au porte-manteau de la classe pour passer de la posture de jeune à celle d’élève.”
Par ailleurs, la notion d’habitus définie par Bourdieu rappelle que chaque jeune vient en cours avec sa posture sociale. En fonction des catégories socioprofessionnelles des parents, les ressources en capitaux, et particulièrement celui culturel, seront plus ou moins élevées. Ces paramètres influent sur la scolarité de l’élève et ses capacités à être performant. Le temps de classe ne devrait, par conséquent, pas être dissocié du temps extrascolaire. Il s’agit de prendre en compte l’élève avec ses réalités économique et sociale dans le but de l’accompagner dans les meilleures conditions.
Emma CHARON
Zoom sur :
Les établissements scolaires publics innovants, une autre manière de concevoir l’éducation.
Vous n’avez certainement jamais entendu parler de ces établissements, et pour cause, il n’en existe que 17 sur le territoire. Écoles, collèges ou lycées, ces établissements servent depuis 2006 de lieux d’expérimentation à l’Éducation nationale. Les enseignants travaillent avec des chercheurs pour développer des outils pédagogiques et ainsi permettre à l’école d’innover pour proposer une formation adaptée à tous les élèves.
Car c’est bien un objectif majeur de la FESPI (Fédération des établissements scolaires publics innovants) : une pédagogie différente qui va se préoccuper de l’individu. Pour ce faire, plusieurs alternatives ont été testées. Des microlycées comme à Evreux accueillent des élèves de plus de 16 ans, sortis de l’école depuis plus de 6 mois mais qui ont l’envie de reprendre.
D’autres établissements vont venir se préoccuper d’élèves dits « décrocheurs ». L’idée n’étant pas de les exclure, les classes vont être formées d’élèves avec un niveau de décrochage homogène. L’accent est réellement mis sur l’individu avec des emplois du temps aménagés (commencer à 10h au lieu de 8h pour évincer l’absentéisme).
On constate néanmoins que la mise en place de ces formations reste très compliquée, pour des raisons financières d’une part, mais aussi à cause d’un manque de disponibilité des enseignants. Le changement est également difficile à accepter à l’échelle locale avec des coûts qui restent élevés pour ces établissements. De l’innovation donc dans ces établissements, mais une diffusion compliquée à l’échelle nationale.
Hugo DEVILLERS