Lorsque les grandes écoles sont accusées de harcèlement sexuel
Les violences sexistes et sexuelles enflamment le débat public depuis l’affaire #MeToo, relancée en 2017 par Alicia Milano, actrice américaine. Cette fois-ci, ce sont les grandes écoles qui sont prises pour cible. La parole de nombreux étudiants et étudiantes se libère.
Derrière les hauts murs de briques des grandes écoles se cachent bien des tabous. Preuve à l’appui, l’affaire Duhamel. Tout est matière à harcèlement. Classements des filles les plus aguicheuses, prix de celle qui a le plus de relations amoureuses ou sexuelles au sein de l’établissement, mains baladeuses en soirée ou propos déplacés… Les « #SciencesPorcs » affluent au milieu d’innombrables autres témoignages. Pour comprendre cette vague médiatique, nous avons demandé à un étudiant d’école de commerce, de nous en dire plus.
Deux écoles, deux principes
Selon Marine Dupriez, ancienne élève de l’EDHEC et fondatrice de l’association Safe Campus, l’éducation doit passer par les formations des citoyens.ennes. En 2017, un rapport parlementaire indiquait que moins de 1300 policiers étaient, à l’époque, formés aux VSS (Violences sexistes et sexuelles). Les actions du gouvernement, bien qu’au cœur de la campagne du chef de l’État, sont remises en cause par plus d’un aujourd’hui. Notamment à cause de la place de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, accusé de viol et de harcèlement. Qu’en est-il du monde du supérieur ?
Selon l’étudiant interrogé, il y aurait “une différence entre les très grandes écoles, type ENA, Science Po, HEC” qui sont présentes sur le marché étudiant depuis au moins un siècle pour la plupart, et “les grandes écoles relativement récentes, bien placées mais pas intouchables comme la [sienne]“.
Les administrations sont très sévères là-dessus. »
La pression sociale exercée par ces grandes écoles récentes y serait si forte que “la peur de se donner une mauvaise image [serait] trop importante“. Il assure n’avoir jamais entendu parler de VSS au sein de son établissement, ses dires ayant été confirmés par une autre élève.
Bruits de couloir rapides, administrations intransigeantes… un tableau parfait que tous les étudiants n’ont pas la chance de contempler. Chaque grande école accorde une importance et une exigence différente sur le sujet. Les institutions socialement “mieux placées” seraient beaucoup plus opaques, malheureusement plus à même de cacher des secrets bien trop lourds à porter.
Certains sites d’écoles proposent, dans le meilleur des cas, tantôt des cellules d’écoute, tantôt une semaine de sensibilisation. Rien de très concluant. Selon une étude publiée par l’OEVSS, en octobre 2020, plus d’un quart des répondants ne savent pas s’il existe dans leur établissement, grande école ou non, des structures prenant en charge l’écoute ou la dénonciation de violences.
© Alice Martin
Savoir prévenir… et guérir
Selon cette même étude, les étudiants offrent deux solutions pour remédier aux VSS. D’une part, réaliser des campagnes de communication éducatives. Beaucoup trop d’étudiants confondent les différents actes d’agression, plaçant au même rang viol et agression sexuelle. D’autre part, ils suggèrent des actions de prévention lors des soirées étudiantes.
Les victimes de ce genre d’actes n’osent pas en parler. Peur administrative, sentiment d’inutilité lié à la plainte, justice non choyante… chaque raison est inconsciemment plus valable que la précédente. Interrogée, une étudiante confie qu’elle aimerait être davantage soutenue par son établissement. Elle souhaiterait que ce dernier “mette en place un lieu de réclamation où [les jeunes] pourraient aller signaler certains actes“.
Pourtant, dans ce même établissement, l’association HeforShe, luttant pour l’égalité homme-femme, est subventionnée par l’école chaque année. Cette dernière accueille également des intervenants de manière récurrente. Qu’en est-il alors ? Bonne figure ou réelles intentions ?
Il est au moins certain que les établissements supérieurs ont encore un long chemin à parcourir afin d’éduquer, accompagner, et donner une meilleure image de ce qui reflète, à l’heure actuelle, tristement notre société.
Manon Wendling
En quelques chiffres..
Source : Rapport “Paroles étudiantes sur les violences sexuelles et sexistes” de l’Observatoire Étudiant des Violences Sexuelles et Sexistes dans l’Enseignement Supérieur, 12/10/2020
Au Québec, la prévention des violences sexuelles dès le secondaire
Depuis 2017, des écoles secondaires québécoises testent un programme de prévention des violences sexuelles nommé Empreinte.
Créé par deux chercheuses au Département de Sexologie de l’UQAM et le Regroupement québécois des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, cet initiative propose des ateliers pour des jeunes mais aussi leurs parents et le personnel éducatif.
Ce groupe de travail a décidé de s’attaquer à ces problématiques assez tôt. Selon certaines études, 22% des femmes rapportent avoir subi une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans. Le fait d’avoir vécu une situation de violence sexuelle serait lié à un risque plus élevé de revictimisations sexuelles.
Le programme des ateliers est assez large : du consentement au stéréotypes genrées en passant par les moyens de réagir face à une agression sexuelle.
Les évaluations sont plutôt encourageantes. Les jeunes participants auraient « amélioré de manière significative leurs connaissances, leurs attitudes et leurs habiletés de prévention et de soutien ».
Le rapport met aussi en avant que, même en ayant des connaissances, ils se sentent encore incapable d’agir que ce soit en dénonçant des violences ou en accompagnant une victime. Les chercheuses expliquent cette incapacité par le fait que le programme a été testé sur quelques mois alors qu’il est prévu sur toute la période du secondaire.
La question se pose de savoir si trois années seraient suffisantes ou si les ateliers ne devraient pas être adaptés pour l’enseignement supérieur ou au monde du travail, et deviendraient donc une formation continue à vie.
Alexia Graziani
Témoignage d'une étudiante victime d'harcèlement sexuel et moral
⊗Les thèmes abordés dans la vidéo sont sensibles.⊗