À l’aune d’un profond mal-être étudiant, nombreux sont ceux qui ont décidé de s’éloigner des géants d’internet pour se reconnecter au réel. Rencontre avec celles et ceux qui ont sauté le pas d’une déconnexion volontaire.
Après une panne aussi importante qu’imprévue des serveurs de Facebook, Instagram et Whatsapp le 4 octobre dernier, c’est tout un pan du monde numérique qui a été réduit au silence pendant plusieurs heures. Et si pour beaucoup ce passage à vide rimait plutôt avec ennui et désespoir, il a aussi représenté une rare opportunité de mettre en lumière des addictions d’un nouveau genre. Soupçonnée mais jamais confirmée, la « réseaux-dépendance » sonne aujourd’hui comme une évidence, et effraie.
Loïs, Evann et Sashah ont respectivement 18, 19 et 18 ans. Tous trois étudiants, ils sont rapprochés par une commune expérience de mise en veille des réseaux sociaux. Ce qu’ils en ont tiré diverge. La prise de conscience collective peut-elle alors exister chez ce public en première ligne ?
La « peur de rater quelque chose »
D’une décision politique à l’autre bout du monde aux photos de vacances de sa sœur, tous assument un usage compulsif du mobile pour aller trouver l’information au moment où elle paraît. Loïs ne s’en cache pas : sa vie est « largement impactée par la culture de l’instantané ». Des propos corroborés par Sashah, qui accentue le fait que « chaque moment d’attente se transforme en période Insta ». Evann dénonce quant à lui le « FOMO : fear of missing out » (littéralement la « peur de louper quelque chose »), un syndrome bien connu des scientifiques. Ces derniers y voient la cristallisation des craintes de nombreux jeunes en 2021 : passer à côté de l’information, qu’importe sa portée ou son intérêt. « C’est un réflexe qui naît d’une envie d’avoir toujours envie d’être au courant de tout », affirme Loïs.
La déconnexion devient dès lors « difficile au début », selon Evann, qui ne manque pas de préciser qu’elle est « plus facile avec les semaines [qui passent] ». L’étudiant a déjà supprimé ses comptes Facebook, Snapchat et Instagram depuis plus d’un an, et alerte sur le caractère « chronophage » de ces applications vedettes. La stratégie est diamétralement opposée pour Sashah, qui ne jure que par une désaccoutumance ponctuelle et évite en ce sens de « prendre son téléphone dans certaines activités du quotidien », évoquant tout au plus quelques heures sans écran.
Loin des écrans, près du cœur
La multitude d’actions possibles mène souvent à une large confusion : comment s’y prendre efficacement ? Evann est formel : il invite les utilisateurs « à supprimer leur compte », convaincu que la seule désinstallation des applications n’est « pas une bonne tactique ». Il s’estime aujourd’hui « maître de son temps et de ses émotions ». Loïs, qui a même poussé la tentative jusqu’à une coupure temporaire du lien à l’objet électronique, y voit lui une « bonne expérience ». « Ça m’a permis de sortir, de lire à nouveau […] On se recentre sur l’autre, on se tourne vers lui », déclare-t-il sans ambages. Sashah, plus mesurée dans sa solution, consacre tout de même la nécessité de « moments sans téléphone ».
Délaisser son téléphone peut donc avoir des airs de parcours du combattant pour de nombreux jeunes. Toutefois, les étudiants interrogés soulignent les « avantages » de cette pratique en matière de bien-être et d’organisation, et encouragent tout un chacun à s’essayer à la « détox numérique ».
Yael Djender
Zoom :
FOMO, la peur de manquer qui greffe les téléphones à toutes les mains
Le FOMO, ou Fear Of Missing Out peut être traduite par « la peur de manquer un événement important ». D’après le professeur A.K. Przybylski, il désigne « la crainte envahissante que d’autres pourraient avoir des expériences enrichissantes desquelles nous serions absents ». Le FOMO est alors associé aux addictions à Internet, et notamment aux smartphones. Comme l’explique le professeur d’addictologie A. Dervaux, « le FOMO conduit à ce que la consultation des réseaux sociaux prend de plus en plus de place dans la vie des sujets, comme dans les addictions aux substances ». Le FOMO n’est donc pas qu’un concept : une zone cérébrale spécifique s’active lorsque l’individu est confronté à des images de moments d’inclusion sociale.
Redessiner la frontière entre virtuel et réel
En essayant de multiplier les moments où les écrans ne nous accompagnent pas, notamment pendant les séances de sport, de détente, ou les repas, les utilisateurs saisissent l’instant présent, et évitent alors de vivre dans ce constant regret que caractérise le FOMO. Se libérer du FOMO et donc de l’addiction au smartphone passerait d’abord par la prise de conscience de l’inutilité de ce tsunami d’informations déversé chaque jour par les réseaux. Cette réalité a d’ailleurs amené à l’émergence du terme antagonique JOMO, pour Joy Of Missing Out (« joie de rater des événements »). Pour les écrans, il semble donc toujours s’agir d’une question d’équilibre, entre FOMO et JOMO, entre réel et virtuel.
Léna Lebouteiller