Le Nord retisse les mailles de son industrie textile d’antan
L’industrie textile est actuellement pointée du doigt pour les conditions de travail inhumaines imposées aux ouvriers dans les usines des pays en développement et la pollution qu’elle engendre. Dans le Nord de la France, syndicats professionnels et entreprises tentent de proposer des alternatives en valorisant le patrimoine textile de la région pour repenser la production plus localement.
De gauche à droite, de Arnaud Montebourg à Valérie Pécresse en passant par Anne Hidalgo ou Nicolas Dupont-Aignan, tous les candidats à la présidentielle ou presque chantent les louanges du « made in France ». Au-delà des discours politiques, le Nord, deuxième région textile en France après l’Auvergne-Rhône-Alpes, est devenu ces dernières années un vivier d’expérimentations en faveur d’une production plus locale.
Crise sanitaire et vestimentaire
Pour Eric Mezin, directeur général de l’union des syndicats professionnels de l’industrie textile et habillement du Nord (UITH), il existait avant l’année 2020 des signaux indiquant un engouement pour le retour au made in France. La crise sanitaire et les différents scandales comme celui des Ouïghours, minorité musulmane exploitée par le régime chinois dans les usines de grands groupes comme Zara ou H&M, ont renforcé cette tendance. « La consommation d’une partie des individus a changé. Ils veulent acheter moins mais mieux : ils veulent savoir l’impact de leurs produits sur la planète », affirme le directeur de l’UITH.
En réponse à cette demande, l’UITH a donc lancé la Textile Valley. Regroupement de 400 entreprises du secteur, le projet a pour vocation de faire connaître et valoriser l’écosystème d’acteurs du textile présents dans la région. Cette union entrepreneuriale cherche à crédibiliser l’image de l’industrie textile comme industrie d’avenir aux yeux des investisseurs et des demandeurs d’emplois. Le problème principal pour les 400 entreprises concerne en effet le recrutement car le secteur à mauvaise presse chez les jeunes, beaucoup associant encore le textile aux plans sociaux et aux licenciements qui ont frappé le secteur depuis une trentaine d’années.
Mais le rôle de la Textile Valley ne s’arrête pas là. « Il n’y a pas une grande tradition de travail intra-régional mais le but c’est de le développer à la demande des industriels, affirme le directeur de l’UITH avant de conclure, il y a tout à construire, il y a tout à faire. Ce qu’on veut c’est que cela soit un projet collectif. » Dans les prochaines années, une des missions de la Textile Valley sera de servir de relai entre les entreprises souhaitant travailler au sein de la région sans pour autant savoir à qui s’adresser pour développer cette coopération locale.
Des conséquences positives
Safilin, entreprise de filature de lin et de chanvre, est une des 400 entreprises de la Textile Valley. Après avoir délocalisé ses activités en Pologne, le filateur a fait le choix de relocaliser une partie de sa production dans les Hauts-de-France, suite à une demande croissante de la part de ses clients. Ce constat corrobore la vision d’Eric Mézin, pour qui seuls les consommateurs sont à même d’inciter les industriels à la relocalisation. Après tout, dans une société de marché, l’offre répond avant tout à la demande.
En matière de lin, les coûts pour une fabrication française ne sont pas très élevés, de l’ordre de 1 à 2€ plus cher par rapport au fil polonais. La relocalisation de cette étape de production en est simplifiée. De la graine au vêtement, la production peut dorénavant se dérouler intégralement dans l’hexagone.
Rapatrier cette production a plusieurs conséquences positives pour la région. Selon un porte-parole de l’entreprise Safilin, l’entreprise prévoit la création d’une cinquantaine de postes au sein de l’atelier de filature d’ici à 2024. Relocaliser permet aussi de préserver et perpétuer des techniques de productions traditionnelles. L’entreprise a retissé des liens et prévoit de travailler avec d’anciens collaborateurs et travailleurs français, présents avant la délocalisation, pour respecter les méthodes de fabrication de l’époque. Ironie de l’histoire, l’entreprise accueillera début 2022 une délégation de travailleurs polonais chargés de transmettre leurs méthodes de travail. Autant de savoir-faire qui leur avaient été respectivement transmis en 1995 par des ouvriers français.
Noah Gaume
ZOOM sur... la relocalisation, une solution qui se heurte aux lois du marché
La relocalisation permet aux entreprises, en produisant à nouveau en France, de créer des emplois. Or, les prix de vente des produits fabriqués en France, sont 20 à 30% plus chers que les produits fabriqués en Chine. Par conséquent, seuls les consommateurs les plus aisés peuvent se permettre de consommer français. Cet inégal accès à la consommation locale peut provoquer la fermeture de nombreuses entreprises, pour cause de ventes insuffisantes. Par conséquent, on voit donc qu’une politique massive de relocalisation peut se révéler difficile à mettre en œuvre.
Effectivement, les entreprises qui produisent à l’étranger ont accès à une main d’œuvre peu chère par l’intermédiaire d’entreprises sous-traitantes. Dès lors, relocaliser représente un coût important et explique notamment le prix de vente plus élevé des produits fabriqués en France.
L’enjeu de la relocalisation des entreprises est donc fortement lié à la question du pouvoir d’achat. Par l’intermédiaire de mesures sociales, telles que l’augmentation du SMIC, ou encore la revalorisation des pensions de retraites, on peut augmenter les ressources financières du
consommateur. Celui-ci peut alors se permettre de manger mieux, et plus proche.
Une autre solution pour garantir la survie des entreprises qui relocalisent leur production est la régulation des prix. Pour cela, l’Etat et les différentes collectivités territoriales assurent une aide financière à destination des entreprises. Le plan de relance post-Covid consacre notamment 1 milliard d’euros d’aides directes à la relocalisation d’activité industrielles. De plus, la région Hauts-de-France accorde des prêts à taux zéro à certaines entreprises pour encourager leur réimplantation dans la région.
Cependant, le niveau de ces aides et leur efficacité réelle peut poser question aux vues du faible nombre d’entreprises choisissant la voie de la relocalisation.
Arthur Guillamo