À Douai, la gratuité change la vie des usagers des transports
Depuis le 1er Janvier 2022, tous les habitants du Douaisis ont accès au réseau de transport gratuitement. Cette initiative en fait la plus grande agglomération d’Europe à mettre en place ce système. Ce dernier impulse une diversification des mobilités ainsi que l’émergence de nouveaux usagers. Non sans limites, ce choix politique semble offrir de nouvelles représentations du transport urbain en faveur de l’écologie sociale.
“Frauder c’est mal et ça se voit”. Ce slogan culpabilisateur présent sur le réseau lillois Illevia côtoie bornes billettiques et prix élevé du ticket ce qui a de quoi en impressionner plus d’un. Autre perspective dans le Douaisis, les habitants peuvent parcourir l’agglomération gratuitement sans être sous l’œil inquisiteur des caméras de surveillance. Cela les amène à changer fondamentalement leur rapport aux transports en commun.
Même si j’avais une voiture, avec les prix du carburant, je continuerais à prendre le bus
Dans un contexte de crise économique et écologique, privilégier les transports en commun fait sens. D’autant plus avec la gratuité “Même si j’avais une voiture, avec les prix du carburant, je continuerais à prendre le bus”, confie une mère de famille. La hausse des prix du carburant a un lourd impact sur les habitants, ce qui pousse inévitablement à repenser ses mobilités.
Les usagers voient le bus gratuit comme un gain non négligeable pour le portefeuille : “Mon grand prend le bus 4 fois par jour. Avant la gratuité, le ticket était à 1,50 euro donc évidemment, cela fait plus d’argent pour les courses, les sorties…”, avoue la mère de famille.
L’effectivité de la gratuité, gérée par le Syndicat mixte des transports du Douaisis sous l’étiquette Eveole a été justifiée selon quatre critères : la solidarité avec les plus précaires, l’amélioration générale du cadre de vie, le développement du territoire et la transition écologique. Sur ce dernier point, la prise de conscience est assez limitée tant la question financière est déterminante. Un autre aspect de cette mise en gratuité pourrait être les différences de représentations entre les espaces urbains et ruraux.
Pour le responsable marketing Eveole, Benoît Lorsin, ce n’est pas le prix du ticket qui est vraiment déterminant mais la densité du réseau. Un avis qui contraste avec les personnes interrogées. Eveole étant une entreprise privée déléguée par le service public pour fournir le réseau, ses préoccupations peuvent être différentes de celles des usagers, plutôt économiques notamment.
S'approprier un bien commun
Le territoire du Douaisis regroupe 35 communes soit 220 000 habitants avec une population très marquée socialement. “Dans le Nord on a des problèmes de précarité”, note un usager d’une cinquantaine d’années devant une affiche d’Eveole “nouvelle ligne 4” desservant un centre hospitalier ainsi qu’un centre pôle Emploi …
La région est caractérisée par un taux de chômage élevé, des travailleurs précaires et une faible mobilité sociale. L’accessibilité à un large réseau de transports gratuit à un réel impact, comme peut le témoigner une jeune travailleuse en formation : “Depuis qu’il y a le bus gratuit, je peux mieux chercher mes stages.”
Des études réalisées où la gratuité est plus ancienne, comme à Dunkerque, montrent déjà une hausse des mobilités. Une hausse prévue par Eveole qui à agrandi sa flotte : 22 lignes de bus sur le réseau, en plus des vélos disponibles sur points relais.
Cet afflux est perçu de diverses façons, les usagers interrogés ne montrent pas d’inquiétudes particulières : “la qualité du réseau est restée la même qu’avant la gratuité“, souligne un usager qui fréquentait déjà les transports de l’agglomération. Certains vont même jusqu’à développer un argument écologique : “Pourquoi rester seul dans sa voiture, cela pousse aussi à faire plus attention (…), cela incite à utiliser le vélo ou à marcher.”
Du côté d’Eveole, ce sont les questions “d’incivilités” qui préoccupent. Avec l’intérêt de montrer que “c’est gratuit mais que tout n’est pas permis“, annonce Benoît Lorsin. Néanmoins la hausse des incivilités n’est pas identifiée comme due à la gratuité mais plutôt à la hausse des fréquentations. La question des incivilités n’a été aucunement citée par les habitants interrogés. Au contraire, il semble plutôt que la mise en avant d’un service public et accessible à tous crée un sentiment d’appartenance, “de bien Commun”. Ce sentiment semble prévaloir chez les usagers : “Après la gratuité j’avais peur (de la qualité du réseau)[…]”, “j’ai une bonne image des transports en commun”.
Les transports gratuits peuvent, de manière assez limitée, rompre avec une écologie jugée “abstraite” par les classes populaires, les populations précarisées. Une écologie de masse, qui comprendrait une stratégie de transport en commun gratuits pourrait les rendre actrices du changement. Et ce sans forcément développer un niveau d’érudition écologique élevé.
Concrètement, ce sont des choix éminemment politiques qui confrontent des conceptions sémantiques différentes. Là où certains verraient la gratuité comme un coût, d’autres peuvent envisager cela comme un investissement social et écologique.
Toujours est-il que la compréhension du fonctionnement économique est assez floue pour la majorité des usagers. “Je ne sais pas comment cela fonctionne, cela ne m’intéresse pas, ce qui compte est que ce soit gratuit.” Bien qu’ayant annoncé qu’il n’y aura pas de hausse de la fiscalité, le système reste soumis aux fluctuations politiques.
Noam Peter
ZOOM SUR …
Comment sont financés les transports est financée la gratuité des transports dans le Douaisis ?
A la question « Savez-vous comment la gratuité des transports est-elle financée ? », aucun des usagers des transports de l’agglomération de Douai rencontrés n’a su donner une explication. Tout est une question de chiffres, et un jeu d’équilibriste.
Le Syndicat mixte des transports du Douaisis (SMTD), chargé d’organiser le réseau de transports en commun de l’agglomération, est financé par deux collectivités territoriales, Douaisis Agglo et la communauté de communes de Cœur d’Ostrevent (CCCO), 7 millions € pour la première et 3 millions € pour la seconde. Mais les transports publics sont également financés par les entreprises au travers d’une taxe, le « Versement mobilité », qui représente 26 millions € sur un budget total de 45 millions €.
Pour faire face à la suppression de la billetterie (tickets, abonnements…), dont les recettes s’élevaient à environ 3,5 millions d’euros, les deux agglomérations ont donc dû augmenter leur subvention accordée au syndicat, de 2,2 millions € pour Douaisis Agglo et de 1,1 million € pour la CCCO. Une hausse non négligeable, répercutée directement sur les finances des intercommunalités, « qui prennent sur leur budget ». « Douaisis Agglo a choisi de revoir la redistribution du fond de péréquation intercommunale [montant adressé à chaque commune chaque année], en accord avec les communes, tandis que la CCCO a mis de côté certaines politiques pour financer l’augmentation de sa participation », détaille Oriano Van Massenhove, DGS du SMTD, et ce, « sans augmentation d’impôts liée à la gratuité ». Parallèlement, la mise en place de la gratuité a imposé « l’achat de véhicules supplémentaires, car on savait qu’il y avait une augmentation de la fréquentation à prévoir », explique Benoît Lorsin, responsable au SMTD.
Cependant, le SMTD a dans le même temps réduit certaines charges : les coûts liés à la billetterie, au fonctionnement des agences commerciales et à la gestion de la fraude ne font désormais plus partie des dépenses du syndicat. Les économies réalisées s’élèvent ainsi à 230 000 € par an, le personnel dont l’activité cessait ayant été placé à d’autres postes, notamment de conducteur de bus. A ces économies s’ajoute le non remplacement du système de billetterie qui grimpait à 3 millions €. Le système est-il pour autant pérenne ? Oriano Van Massenhove l’assure : « le budget est équilibré, d’une manière ou d’une autre ».
Hugo Maltese
La gratuité des transports en commun dans le Douaisis.
Éloi Maridat