“Dreeft”, ou la petite révolution du freinage qui repense le quotidien des personnes en fauteuil
Depuis 2020, les deux jeunes entrepreneurs de la startup lilloise Eppur s’attèlent à développer «Dreeft», le premier système de freinage pour fauteuil roulant manuel. Le but ? Réduire les obstacles aux déplacements des personnes à mobilité réduite, en leur garantissant moins d’efforts et plus d’autonomie au quotidien.
Un trottoir, un escalier, une pente,… tant de choses qui paraissent surmontables pour toute personne valide. Pour les personnes à mobilité réduite, inversement, cela peut relever du parcours du combattant : « Les trottoirs ne sont pas forcément adaptés, les rues pavées sont une horreur, les places PMR (Personnes à Mobilité Réduite, ndlr) sont rares… », énumère Mathéo Briantais, tétraplégique depuis 2019.
Face à ces problématiques, l’entreprise lilloise Eppur agit. Elle a créé une technologie qui pourrait repenser les déplacements des près de 370 000 personnes en fauteuil manuel dans l’Hexagone. Cette invention, nommée « Dreeft », s’inspire du rétropédalage des vélos hollandais, qui permet, par un mouvement inversé au pédalier, de freiner. La structure vient se placer sur n’importe quel fauteuil manuel, et le moyeu présent en son centre permet alors d’assurer le freinage.
Un problème jusqu’alors non considéré
C’est en 2016 que Colin Galois, fondateur de la boîte, est témoin d’une scène marquante. En sortant de son école, il croise un homme en fauteuil roulant perdant le contrôle de celui-ci, dans une pente. C’est le déclic qui va le pousser, avec son ami Lancelot Durand, à réfléchir à une solution pour résoudre ce problème, alors qu’une personne en fauteuil sur deux déclare avoir déjà perdu le contrôle de son engin. Pourtant, il s’agissait d’un problème sur lequel personne ne s’était penché jusqu’alors : « Pour freiner, la seule solution était d’utiliser ses mains. Les PMR les utilisent donc comme des plaquettes de frein », constate Manon Bergamini, responsable marketing. Et d’ajouter : « Grâce à la technologie que l’on propose, on réduit par cinq les efforts liés au freinage. »
Un accès à la technologie limité
Comme toute innovation, le coup au porte-monnaie se fait ressentir. En plus du prix onéreux du fauteuil, qui oscille entre 500 et 10 000 euros, il faudra y ajouter 1 990 euros pour acquérir cette technologie. Chose regrettable pour une cheffe de projet de l’Association des Paralysés de France (APF). Alors qu’elle salue l’initiative, elle regrette ce coût important, réduisant l’accessibilité à cette innovation : « S’il y a une innovation, il faut que ce soit englobé dans le montant du fauteuil. Cela aura du mal à faire ses preuves sinon. » De son côté, Eppur se défend en justifiant ce prix important par les investissements en recherche et développement. « Mais on espère pouvoir réduire les coûts rapidement afin de rendre Dreeft davantage accessible », ajoute Manon Bergamini.
L’utopie du “fauteuil idéal” ?
L’innovation répond-elle finalement à toutes les problématiques liées aux déplacements des PMR ? Mathéo Briantais l’atteste : « C’est une petite révolution pour les déplacements en extérieur ». Pour autant, Eppur ne prétend pas résoudre tous les problèmes liés aux déplacements, mais souhaite déjà répondre à une difficulté parmi tant d’autres : « On essaye de faire ce que l’on peut, mais n’importe qui peut aussi trouver des solutions », déclare Marion Eono, responsable qualité. En réalité, le fauteuil parfait semble être une utopie. C’est en tout cas ce que conclut la membre de l’APF : « L’utilisation d’un fauteuil est liée à une pathologie, alors qu’il en existe une multitude, donc les besoins de l’un, ce ne sont pas les besoins de l’autre. Je ne crois pas que l’on connaîtra le fauteuil parfait un jour. »
Toutefois, les entrepreneurs comptent bien poursuivre sur leur lancée, pour faciliter encore davantage la mobilité et l’accessibilité des personnes en situation de handicap, afin de leur assurer encore plus d’autonomie au quotidien.
Mathis Lang
Zoom sur
Il a testé : l'avis de Mathéo Briantais
Afin d’adapter au mieux le dispositif aux besoins des PMR (Personnes à Mobilité Réduite), quelques-uns d’entre eux ont pu tester, en avant-première, les roues Eppur. C’est le cas de Mathéo Briantais, tétraplégique depuis juillet 2019. C’est en cherchant sur internet qu’il a découvert Eppur, un système auquel il avait déjà songé. « Moi-même j’avais eu cette idée-là », confie-t-il, traduisant un besoin primordial de trouver une solution pour pallier le freinage douloureux qu’impose l’utilisation d’un fauteuil roulant. En outre, la douleur peut se cumuler à d’autres difficultés. En effet, le handicap de Mathéo le prive, entre autres, de l’utilisation de ses mains, rendant le freinage manuel encore plus dangereux.
Mathéo hésite encore à pré-commander les roues Eppur car elles ne sont pas d’une réelle utilité en intérieur. Mais pour les trajets extérieurs, c’est selon lui « un système révolutionnaire ». Il l’a également essayé en ajoutant à son fauteuil une cinquième roue motorisée. Ainsi, le dispositif représenterait un véritable progrès dans l’autonomisation des PMR.
D’autant que la liste des obstacles quotidiens auxquels ces personnes font face est longue. Mathéo pense que ces problèmes « ne sont pas la priorité du gouvernement, alors que la France en a les moyens ». Et d’ajouter « D’autres pays sont bien plus avancés que nous ». De fait, en Europe, on peut noter que certains pays se démarquent quant à l’accessibilité de leurs villes. Entre autres, la Hollande a rendu quasiment 100% des quais du métro et des gares accessibles aux PMR. On peut également citer Lund, en Suède, où ont été installées des bandes pour fauteuils roulants sur les rues pavées.
Léa Bidault