La lutte des femmes (a)guéries contre le cancer du sein
“Octobre rose 2022 : lutter ensemble contre le cancer du sein”, c’est l’ambition affichée depuis le début de ce mois d’octobre par les organisateurs de l’événement. Face à la baisse du budget de la recherche, qui dure depuis 30 ans selon l’institut Curie, l’orientation vers des modes de financement alternatif paraît désormais essentielle. Mais derrière le slogan et la communication qui rythment la campagne 2022, l’événement reste critiqué, notamment dans le milieu associatif.
« Il y a trop de « business cancer » : le cancer du sein ce n’est pas rose, cela peut être gris, voire noir, et ce n’est pas qu’en octobre ! », ce sont les mots d’Annie Brousse, présidente de l’association Vivre comme avant. Alors que de nombreux événements teintés de rose ont lieu durant le mois d’Octobre, cette association est présente toute l’année pour accompagner les nouvelles patientes atteintes d’un cancer du sein. Ce sont des femmes guéries qui vont offrir un soutien émotionnel, être présentes dans toutes les étapes vers la guérison.
Une période de conscientisation ?
En France, 60 000 femmes sont touchées par le cancer du sein chaque année. Une statistique parlante, qui témoigne de l’ampleur du problème. Alors face au défi que représente la lutte contre ce fléau, l’initiative Octobre rose apparaît comme un outil de financement efficace pour la recherche et une campagne populaire pour le dépistage. Don de T-shirts, ventes aux enchères, collectes de soutiens-gorge sont autant d’initiatives qui visent à venir en aide aux femmes touchées par le cancer du sein. Et l’événement phare de ce début de mois, c’est le challenge ruban rose : une course caritative de 5 ou 10 km autour du parc de la citadelle. Cette année marquait la 8e édition de la course, qui a réuni plus de 4500 personnes dimanche 9 octobre. Une mobilisation importante, qui a de quoi satisfaire les organisateurs. Ceux-ci ont pu récolter plus de 18 000 € cette année, reversés directement au pôle sport et cancer du centre Oscar Lambret.
Mais la mobilisation est plus contrastée qu’on pourrait le penser. « Les malades en ont ras-le-bol de ce rose étalé partout sans beaucoup de lien avec le cancer. » Annie Brousse tacle cette popularisation à outrance de l’événement. Membre depuis 2014, elle est engagée au jour le jour pour donner la main aux femmes qui se rendent à la clinique Oscar Lambret. Elle témoigne : « En 2014, j’avais eu la visite d’une bénévole pendant mon hospitalisation. Je voulais renvoyer l’ascenseur et aider à mon tour les femmes confrontées à la même situation. »
Loin du folklore et des festivités, l’engagement associatif demeure un des principaux piliers de la lutte contre le cancer. Ainsi, en 2020, le budget total investi par la Ligue contre le Cancer dans la recherche était de 30,2 millions d’euros : un montant considérable. Le tissu associatif n’est donc pas toujours soutenu malgré sa démarche de service public. « C’est vraiment difficile de recueillir des dons pour faire notre mission. L’accompagnement des malades n’est pas porteur, et pourtant que de souffrance, de détresse et de larmes. » Un point de vue qui contraste avec l’idée que l’on pouvait se faire : les montants récoltés, bien que conséquents, n’arrivent pas jusqu’à toutes les associations ou difficilement. Octobre rose reste avant tout un événement pour faire la promotion à la prévention et au dépistage du cancer du sein qui doit inciter les femmes à prendre rendez-vous pour se faire dépister.
Des initiatives collaboratives
Les associations en lien avec le cancer du sein viennent à l’origine du tissu associatif états-unien. Les principales associations émergent dans le milieu et la fin des années 1970. Octobre Rose n’est quant à lui arrivé en France que bien plus tardivement, à partir de 1994. L’initiative vient d’Estée Lauder et du magazine Marie Claire, ainsi que des groupes pharmaceutiques. Le mouvement contre le cancer du sein a donc déjà plusieurs décennies d’histoire, au cours desquelles il a évolué, pris des formes différentes. Il y a des associations issues de l’organisation des femmes (ayant souvent eu ou qui viennent d’avoir un cancer du sein) entre elles : c’est le cas de l’association Vivre Comme Avant. De grands événements comme Octobre Rose se présentent donc comme des projets collaboratifs au service de la recherche et de la communication sur le cancer du sein. Cet aspect rassembleur, on le retrouve en regardant la liste des nombreux partenaires qui accompagnent désormais le mouvement. Des grandes marques aux petits commerçants, à Lille chacun semble particulièrement impliqué dans cet événement symbolique de la lutte contre le cancer du sein. Une labellisation qui dérange selon Annie Brousse « Il y a trop de « business cancer » : le cancer du sein ce n’est pas rose, cela peut être gris, voire noir, et ce n’est pas qu’en octobre ! ».
Malgré une certaine visibilité médiatique, les chiffres démontrent une difficulté à amener les femmes à se faire dépister : « Moins d’une femme sur deux, ce qui est incompréhensible. L’examen est rapide, pas douloureux, ne nécessite pas une anesthésie. » Cela interroge quant à l’efficacité de la prévention, de la construction médiatique d’Octobre Rose. En plus de cela, si cette campagne réussi à braquer les projecteurs, ramener des dons de la part de particuliers, entreprises et « philanthropes » (dons défiscalisés à 66% rappelons-le), cette mise en avant n’est que temporaire, alors même que la problématique du cancer du sein, elle, dure dans le temps. Ainsi, certaines associations qui s’occupent de l’accompagnement psychologique ou après opérations peinent à trouver des donateurs et à bénéficier d’une véritable visibilité. « L’accompagnement des malades n’est pas « porteur » et pourtant que de souffrances, de détresse, de larmes. » L’événement, qui se veut populaire, ne l’est pas forcément auprès de toutes les associations, une faille qui contraste avec l’enthousiasme général de la campagne. Mais malgré un aspect marketing très présent, Octobre Rose a le mérite de rappeler régulièrement l’importance de la recherche et du dépistage dans la guérison du cancer du sein. Cette communication très étendue et relayée pourrait s’avérer utile pour améliorer la prévention et la prise en charge des patientes. Un motif d’espoir donc, au milieu de ce brouhaha commercial.
Eloi Maridat
Zoom sur…
L’évolution des représentations du cancer du sein jusqu’à la naissance d’Octobre Rose
Le cancer du sein est connu depuis l’Antiquité. Il s’agit d’un des premiers cancers identifiés, et a servi à mieux connaître les cancers. Pour les savants de l’époque il s’agit d’un objet d’études, de curiosité. C’est Hippocrate (460-377 avant J-C) le premier qui donne le nom de “cancer” (karkinos en grec, cancer en latin), en faisant référence à la forme que prend les tumeurs sur la peau à un stade avancé. Les méthodes employées pour soigner le cancer du sein ont, jusqu’au XVIIIe siècle, été soit inutiles, soit extrêmement dangereuses, souvent les deux. Les moyens de prévention sont quasi inexistants, il est plus risqué de tenter une quelconque opération plutôt que de laisser la maladie évoluer : la maladie est alors vue comme une fatalité.
A partir du XIXe et au début du XXe siècle, la découverte du rôle des hormones (œstrogènes) dans la maladie, mais aussi des traitements substitutifs ou complémentaires comme la radiothérapie et la chimiothérapie vont grandement aider à la guérison du cancer du sein. Néanmoins, la prévention et le suivi psychologique sont mis de côté, laissant alors le choc d’une mutilation du corps. La chirurgie réparatrice se développe plus tard, dans les années 1970. Cela reste tout de même un coup non négligeable à débourser, d’autant plus dans les pays ne disposant pas de sécurité sociale étendue.
Depuis cette période, une très grande partie des cancers du sein peuvent être guéris s’ils sont diagnostiqués à temps (9/10). L’enjeu est donc la prévention et l’accompagnement des malades. Le mouvement “Octobre Rose” naît en 1985, dans la tradition des charités anglo-saxonnes, surtout dans un contexte de baisse de financement de la recherche. L’American Cancer Society organise une campagne du 1er au 31 Octobre 1985 pour récolter des fonds et faire de la prévention, avec pour partenaire l’entreprise Imperial Chemical Industries (aujourd’hui partie du groupe pharmaceutique AstraZeneca). Il ne s’agit évidemment pas d’un acte désintéressé mais plutôt d’une sorte de “coup marketing” car l’entreprise vient de breveter en 1978 un médicament très utilisé contre les cancers du sein : le tamoxifène, qui agit sur les œstrogènes responsables du cancer.
Mais pour beaucoup, le mouvement ne fait que combler un vide lié aux baisses de financements à la recherche, au remboursement des soins de réparation et à la prévention. En effet, près de 14 femmes sur 100 en France refuseraient de payer des soins de réparation car trop chers, la sécurité sociale ne remboursant pas l’intégralité des soins.
Noam Peter
Le challenge du ruban rose, édition 2022
Vidéo : Suzanne Maillard