La mode diversifiée et repensée par Anti_fashion à Roubaix
« Tout est absurde dans le système de la mode ». C’est, en 2015, ce que Lidewij Edelkoort, une des 25 personnes les plus influentes de l’industrie de la mode, avance dans son manifeste. Repris par Stéphanie Calvino et Sebastien Kopp*, ses mots sont à l’origine de Anti_fashion project, créé en 2016 à Marseille. Un projet culturel, ambitieux, inclusif et multiple, pour mieux repenser nos manières de consommer.
A Marseille, le projet associatif trouve ses origines dans le « mentoring », à destination de jeunes issus de quartiers prioritaires. L’idée, c’est de démocratiser la mode, et, plus globalement, la culture. C’est en 2017 que le projet arrive dans le Nord : « Ça avait plus de sens historiquement, nous explique Chance, membre active d’Anti_fashion, puisque Roubaix est une ex-grande industrie textile. »
Un projet aux multiples casquettes
Aujourd’hui, le projet s’est étendu : « C’est divers au point où il n’y a plus de limites. C’est hyper vaste, on essaye vraiment de s’adapter aux envies de celleux en face de nous. » Conférences, rencontres, défilés, ateliers divers… Tous ces événements sont assurés par l’équipe d’Anti_fashion, dont Chance fait partie. Son rôle ? « La question fatidique, rit-elle. A Anti_fashion, t’as pas de rôle précis : tu portes toutes les casquettes. » Castings, photographie, scénographie, couture, direction artistique, communication… Chacun.e touche à tout.
Chance, c’est une des 30 membres actif.ve.s d’Anti_fashion. C’est en 2021, quand elle est encore à l’ESDAC**, en deuxième année, qu’elle découvre le projet. « Ça collait complètement à mes valeurs ».
Chance, membre active du projet depuis 2021 – Maelys Roesy
Consciente des impacts sociaux et environnementaux de l’industrie de la mode aujourd’hui, elle explique son point de vue : « Ce n’est pas parce que tu prends ta voiture trop de fois que la planète va mourir. A côté, il y a de grandes industries, qui ne font aucun effort pour améliorer leurs manières de consommer ou de produire, alors que ce sont elles qui causent le plus de tort à la planète. »
Mais comment faire évoluer les choses, alors ? « Propager une “bonne” conscience écologique à son entourage sans forcément blâmer, mais en indiquant les alternatives ; je pense que c’est comme ça que toute grande conscience se partage. Aussi, c’est un peu utopique, mais je me dis que plus on est nombreux, plus on peut faire changer ces industries. »
Propager des idées, des points de vue, des connaissances, des savoirs, pour faire évoluer les consciences individuelles, c’est là tout l’enjeu d’Anti_fashion.
Des initiatives diverses et variées
« Nos derniers projets sont hyper vastes », nous indique Chance. Fabrication de tenues pour une troupe de danse, collaboration avec Veja pour renouveler l’identité de la marque, animation d’ateliers « upcycling »…
Le dernier grand projet en date : une collaboration avec Décathlon, à l’initiative de la marque, pour la collection de 2023. L’objectif : révolutionner l’état d’esprit de l’entreprise.
« Tout bêtement, mais c’est l’état d’esprit d’une vieille entreprise française aussi, un garçon porte pas de jupe. (…) Le cassage de codes, c’est ce qu’on a l’habitude de faire, c’est pour ça qu’iels ont fait appel à nous. »
Casting, création de looks, scénographie, photoshoot : c’est l’équipe d’Antifashion qui
s’en est occupée.
Olympe finalise les patrons de la nouvelle collaboration entre Veja et Anti_fashion.
Les ateliers provisoires d’Anti_fashion, au pôle jeunesse Deschepper, à Roubaix.
« On a aussi organisé les castings. Ça n’avait pas de sens de partir sur un projet aussi beau, aussi éthique socialement, mais d’aller prendre que des modèles 1,81 m, taille 36. On voulait beaucoup de diversité. 70 modèles, ok, mais tou.te.s différent.e.s, sinon ça n’a pas de sens ».
En résultat, un défilé devant l’audience interne de Décathlon, soit 400 personnes en présentiel, et une retranscription en direct avec plus de 1600 téléspectateur.rices.
A venir, une collection « capsule » avec Jules, qui met à l’honneur les Cultures Africaines, précisément, les sapeurs du Congo ; et prochainement, une masterclass de Jean-Baptiste Mondino, photographe, puis de Mathieu Kassovitz, le réalisateur de la Haine, à Roubaix.
Par ses multiples initiatives qui s’inscrivent dans une démarche culturelle, le projet Anti_fashion nous invite donc à réfléchir autrement nos méthodes de consommation et notre façon de concevoir la mode.
Jeanne Vassallo-Stevens
* = co-créateur de Veja
** = Ecole Supérieure de Design, d’Arts appliquées et de Communication
L’impact socio environnemental de l’industrie textile
L’industrie de l’habillement a connu un essor massif. Depuis les années 2000 se développe une nouvelle mode rapide et jetable, communément appelée la Fast Fashion. De nos jours, on produit deux fois plus pour porter les vêtements deux fois moins longtemps. Mais à quel prix ?
Cette production massive de vêtements a fait devenir l’habillement le troisième secteur le plus polluant, avec son 1,7 milliard de tonnes de Co2 rejetées dans l’atmosphère chaque année, ce qui représente la même pollution que le transport aérien et maritime confondus. On peut ajouter à ce chiffre 2,6 milliards de tonnes de gaz à effet de serre par an dues à l’agriculture, l’élevage et le transport liées à la production de vêtements.
Un autre problème majeur : les microparticules. Actuellement, nos vêtements sont en grande partie confectionnés à partir de polyester lui-même formé à base de pétrole. Ainsi, lors du lavage de ces derniers, une masse importante de microparticules se désolidarisent et finissent leur voyage dans nos océans. Le rejet de ces microparticules représente environ 50 milliards de bouteilles en plastique jetées à la mer.
L’impact de la production de vêtements ne s’arrête pas là. Elle fait également des ravages au niveau social. Le phénomène de délocalisation, permettant aux entreprises de profiter d’une main d’œuvre à bas prix, est responsable de l’exploitation de femmes et enfants dans les pays les plus pauvres. Ainsi, sur un T-shirt à 29€ vendu en Europe, les ouvriers ne touchent que 18 centimes, ce qui représente 0,6% du produit. L’Asie est aujourd’hui l’usine du monde. Or, ce phénomène a tendance à s’exporter dans les pays africains notamment l’Ethiopie, pour parer au développement des pays asiatiques menant à une hausse des salaires.
Fanny Turquais