“Les Enchanterres”, un modèle d’économie solidaire au service de la planète
Lancé au sortir du confinement, le projet « Les Enchanterres », mené par l’association ALORE, aspire à réduire l’incinération des déchets alimentaires en favorisant un compostage local. S’inscrivant dans une démarche écologique, ce projet revêt tout à la fois une approche sociale et solidaire en permettant la réinsertion des personnes en difficulté, pour la grande fierté de ses contributeurs.
La brume enveloppe encore la ville et le froid, si sec, glace les doigts. Pour se réchauffer en ce matin de décembre, ne reste plus que du café chaud, dont l’odeur, enivrante, semble avoir définitivement imprégnée les murs de la salle commune où se retrouvent les membres du projet « Les Enchanterres ». Ils ne sont alors pas très nombreux, mais la plupart viendront en fin de matinée pour aller chercher chez des professionnels, après le déjeuner, les déchets alimentaires un peu partout dans la métropole. L’ambiance est bon enfant, ce qui réjouit le directeur de l’association et père du projet, Abderrafie Bouchareb. Ce dernier, président de l’association ALORE pour Association Lille Orientation Relais Emploi, qui accompagne les demandeurs d’emploi en grande difficulté (chômeurs longue durée, exilés, bénéficiaires du RSA…) vers le retour à l’emploi, porte en effet beaucoup d’espoirs dans ce nouveau défi.
Des préoccupations environnementales
« On a lancé les Enchanterres parce que ça correspond à nos valeurs, en s’inscrivant dans le principe d’économie sociale et solidaire et répond à notre préoccupation pour l’environnement », explique le président d’ALORE. Les déchets alimentaires, qui représentent 30% du poids de nos poubelles, finissent en effet incinérés, alors qu’ils pourraient être valorisés en compost. L’objectif du projet est ainsi de « contribuer à la réduction d’émission de gaz à effet de serre, pour protéger cette planète qui nous est confiée », en préférant valoriser les déchets plutôt que de les brûler.
Pour cela, l’association, créée en 1986, travaille avec une quinzaine de restaurateurs et professionnels qui ont décidé, malgré le coût du service, de participer à ce projet. Si certains, comme Mes voisins producteurs ont choisi d’y prendre part volontairement avant toute obligation, la loi Grenelle 2 impose à partir de janvier 2023 le tri à la source des déchets alimentaires. Si les professionnels sont contraints, les particuliers peuvent aussi s’insérer dans cette démarche, que l’association veut ouvrir au plus grand nombre.
Par ce projet, Abderrafie Bouchareb a surtout voulu s’insérer dans un modèle d’économie solidaire. Le principe ? « C’est favoriser l’insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté », souligne le président de l’association. « On a aujourd’hui 9 salariés dans le projet, poursuit-il, car quand des personnes rentrent chez nous, elles sont salariées à part entière », le salaire étant assuré par l’Etat grâce à l’agrément Ateliers et chantiers d’insertion professionnelle dont dispose l’association. Avec ce dispositif, l’Etat incite à ne pas garder ces salariés plus de 24 mois, car « l’objectif est de les mettre sur les bons rails, de lever les freins et pour les accompagner afin qu’ils retrouvent un contrat de travail de droit commun ». Certains, moins en difficulté, parviennent à se réinsérer au bout de 6 à 8 mois, ce qui permet de recruter ensuite de nouvelles personnes en difficulté.
Accompagner des personnes en difficulté
Avec les Enchanterres, les salariés disposent d’un accompagnement optimal : « Il y a un encadrant technique qui leur apprend des gestes techniques, qui les amènent à se professionnaliser, et des conseillères en insertion professionnelle qui accompagnent ces personnes dans leurs difficultés personnelles, sociales, de santé, de logement… » En les accompagnant, Abderrafie Bouchareb assure que « cela permet à ces personnes de se consolider », et de repartir vers un avenir plus stable.
Au cours de leur passage aux Enchanterres, les salariés « collectent les déchets alimentaires chez les restaurateurs et contribuent à toute la chaine qui permet de transformer les déchets alimentaires en compost normé ». Preuve, s’il en fallait une, que le projet se veut véritablement écologique, la collecte des biodéchets est assurée par les salariés par des vélos cargo. Arrivés à l’association, les déchets sont insérés dans le composteur électromécanique situé dans l’arrière-cour du bâtiment. Fier de cet outil qu’il tient plus que tout à présenter, qui peut « traiter plus de 160 kg de déchets alimentaires par jour », le président de l’association précise qu’il a reçu une aide de l’Etat pour l’investissement dans le matériel nécessaire à hauteur de 75%. Une aide bienvenue alors qu’un composteur mécanique coûte près de 150 000€ pièce.
Mais Abderrafie Bouchareb ne compte pas arrêter le projet en si bon chemin, au contraire. Au vu de la nouvelle loi Grenelle 2, la croissance des Enchanterres est inévitable, les contraignant à se procurer 3 composteurs mécaniques supplémentaires. La cour de l’association, à Lille, étant trop petite pour ces composteurs géants, ALORE a dû acheter une friche à Roubaix. Outre le plan matériel, cette poussée a des conséquences sur le plan humain du projet des Enchanterres. « On aura besoin de beaucoup plus de monde pour collecter et traiter les déchets alimentaires, et donc plus de personnes à réinsérer », expose Abderrafie Bouchareb avant d’ajouter : « On continuera avec ce principe d’économie sociale et solidaire et de l’économie circulaire. »
Hugo Maltese
ZOOM SUR...
L'économie solidaire, un modèle social et démocratique
L’économie sociale et solidaire est un modèle économique alternatif. Le fonctionnement interne des entreprises qui adopte ce modèle repose sur un principe de solidarité et d’utilité sociale, avec un mode de gestion démocratique et participatif. Ce système place l’homme plutôt que le profit au centre de son fonctionnement.
En 2014, la loi relative à l’économie sociale et solidaire (loi Hamon) créé une structure législative en demandant aux entreprises suivant ce modèle économique de remplir ces conditions :
- un but poursuivi autre que seul le partage des bénéfices ;
- une gouvernance démocratique ;
- une gestion conforme à deux principes (les bénéfices majoritairement consacrés à l’objectif de maintien et au développement de l’activité et les réserves obligatoires ne peuvent pas être partagées et distribuées).
La loi Hamon permet l’encadrement de cette nouvelle forme d’économie qui s’est ainsi popularisée parallèlement à un souci croissant de développement écologique et durable. Aujourd’hui, cette forme alternative d’économie représente près de 13% de l’emploi français et 10% du PIB.
Parmi les domaines d’emploi usant de l’économie sociale et solidaire, on retrouve la catégorie sport et loisirs en tête suivie des activités financières et d’assurances, puis les arts et spectacles et enfin le domaine de la santé.
Suzanne Maillard
Noam Peter