Réinsertion professionnelle : les Ch’ti Talents mettent la main à la pâte
Porté par l’association Magdala, qui « rassemble les personnes en situation de précarité et de fragilité », le food-truck Ch’ti talents propose des repas axés sur la gastronomie du Nord dans divers lieux de la métropole lilloise. Sa particularité : l’emploi et l’accompagnement de personnes en réinsertion professionnelle. Pascal, conseiller d’insertion professionnelle et membre de l’association depuis 18 ans, explique cette initiative à l’esprit convivial qui existe depuis bientôt trois ans.
Le service vient de se terminer, et l’équipe s’affaire déjà à ranger et nettoyer la cuisine. Aujourd’hui, le food-truck avait fait escale au CHRU de Lille, devant la faculté de pharmacie. Mais que ce soit à l’Université de la Catho, à l’ICAM ou au Bazaar St-So, les Ch’ti talents ont investi la métropole lilloise. L’équipe, au nombre de quatre personnes, s’active dans un esprit bon enfant et de complicité. C’est le travail après le travail : ils viennent de servir les étudiants curieux des propositions. Pour des prix abordables, il est possible d’y déguster des plats à base de frites et des cookies maison. Preuve de l’intérêt autour de ce food-truck solidaire, la longue file d’attente, tous les midis devant le camion dès la sortie des cours.
Sortir de l’isolement par le travail
Le foodtruck n’est que la première étape de l’accompagnement proposé par Magdala. Il propose des contrats de quatre mois renouvelables, afin que les employés puissent déjà retrouver un cadre professionnel. Mais cela ne s’arrête pas là. Le but est d’ensuite suivre une formation, afin de déboucher sur un emploi stable. C’est le processus qu’ont déjà accompli quatre personnes, passées par l’association et aujourd’hui pleinement réintégrées. L’accompagnement se veut le plus complet possible, avec des entretiens d’une demi-heure par semaine pour en suivre l’évolution. Le food-truck représente un dispositif « à part » des activités de l’association, car il propose une situation concrète de travail. C’est un moyen de « retourner dans la rue, mais en travaillant », comme une revanche sur les situations difficiles que peuvent rencontrer ceux qui y participent. En effet, certains ont connu le fait d’être sans domicile fixe. Cela leur permet aussi de retrouver par un projet complet le contact humain et les rencontres. Les étudiants sont les premiers clients du food-truck, et il arrive régulièrement que ceux-ci deviennent bénévoles et passent de l’autre côté du comptoir du camion, afin de devenir eux-aussi garants de ce lien social.
Un cadre familial
« Le but est de vivre un projet jusqu’au bout, à un échelon familial », explique Pascal qui supervise l’équipe ce jour-ci. Ainsi, l’association propose une expérience complète, en situation réelle de travail. Le projet privilégie la qualité plutôt que la quantité, afin de rendre l’expérience la plus riche possible. Avec l’idée toujours de remettre l’humain au centre, en favorisant le contact social. Les employés affectionnent d’ailleurs particulièrement le rôle de la caisse, qui favorise l’interaction avec la clientèle. Interrogé sur les différents profils travaillant au food-truck, Pascal rectifie : « On n’a pas de profils, on accueille des histoires de vie. » Et ces histoires sont multiples : exclusion familiale, problème de logement, souci de santé, handicap… Le point commun toujours, c’est l’isolement, qui « empêche de faire des choix » et de retrouver une vie sociale et professionnelle. L’individu est donc mis au cœur de l’initiative, en même temps que l’on se confronte à autrui par le service.
Face à ces multiples histoires de vie, qui toutes dans leur singularité ont connu l’isolement, le food-truck permet de renouer avec autrui. Travailler avec des collègues, échanger avec les clients, révéler le « talent » de chacun au travers de leur emploi… Voilà les solutions qu’incarne l’équipe des Ch’ti talents.
Maël Lapeyre
Zoom sur :
Le système du secteur de l’IAE, une réglementation très stricte et des places rares
L’initiative des Ch’ti Talents proposée par l’association Magdala fait partie du monde très réglementé du secteur d’insertion par activité économique (ou IAE). Et si le ministère du Travail [AB1] se vante d’un taux d’emploi de 82 700 (ETP [AB2] ) en 2019, face à 18 500 en 1999 – première année de mise en place à la suite de la réforme de l’IAE – l’initiative gouvernementale affiche de grandes limites, et nombreuses conditions. La première : une situation administrative régulière.
Ainsi, l’association Magdala qui est contact avec un grand nombre de personnes immigrées en situation irrégulière, ne peut en réalité pas les guider vers ces initiatives. Pour les chanceux se trouvant dans le cas inverse, il faut ensuite répondre à un grand nombre de critères, établis par le ministère du Travail [AB3] . Entre autres, bénéficier de l’ASS, du RSA ou de l’allocation aux adultes handicapés et être demandeur d’emploi depuis au minimum 2 ans.
Une fois ces critères remplis, et avant de se plonger dans le gouffre administratif qu’est l’administration française, il faut trouver une entreprise. En effet, une fois les conditions remplies, les entreprises participant au projet sont peu nombreuses et les places sont précieuses. Les rares élus du programme de l’IAE ont ensuite la chance d’y participer pendant 24 mois, maximum. Voire de faire une nouvelle demande pour un nouveau programme dans, là encore, 24 mois. À la nouvelle condition d’être prêt à se replonger dans ce cycle mouvementé.
[AB1] Source : enquête du DARES : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/linsertion-par-lactivite-economique-en-2019
[AB2] Équivalent temps plein
Adèle Beyrand
La vidéo : Interview de Valentin, employé du food truck
Réalisée par Suzy Rolland