Les monnaies locales humanisent l’économie
En France, plusieurs groupes ont voulu reprendre la main sur leur économie locale, s’affranchissant des contraintes imposées par l’euro. Jérôme Blanc, professeur de sciences économiques à Sciences Po Lyon et spécialiste des monnaies alternatives fait un tour d’horizon de ce phénomène, de ses ambitions, de ses impacts, mais aussi de ses limites.
« Il y a une contestation de ce qu’est la monnaie aujourd’hui ». L’euro, en place depuis 1999 cristallise l’insatisfaction générale de certaines personnes par rapport à la société. En se rassemblant dans un esprit solidaire, social et écologique, elles créent des monnaies locales que l’on ne peut utiliser que dans une certaine région.
Ambitions utopiques ?
L’idée de monnaie locale a cela de pratique qu’elle pourrait être la solution à des problèmes économiques aussi bien globaux que locaux. Globaux d’abord. « En établissant une monnaie qui n’est pas bancaire, il s’agirait d’échapper au fait que les banques qui gèrent les monnaies soient soumises aux intérêts particuliers et aux marchés financiers». Locaux surtout. L’euro étant une monnaie supranationale, l’argent intégré localement peut « sortir très rapidement de ces territoires » et ne pas lui profiter : pour être prospère, l’économie locale aurait « besoin de monnaie locale ». Cela permettrait aussi de participer à la transition écologique : « la monnaie circule uniquement auprès de professionnels qu’il faut soutenir, en particulier des petits commerces, des producteurs locaux et bio… ».
Cette volonté de reprendre le contrôle de l’économie se traduit par le « contrôle citoyen » exercé sur la monnaie locale. Base fondamentale de toute initiative de ce genre, il permet de développer un esprit de démocratie participative dans le domaine de la finance, qui en est souvent dépourvu. Par exemple, la gouvernance de la monnaie locale lyonnaise, la « Gonette », se fait par sept « Collèges » thématiques où se réunissent chaque année tous les adhérents.
Des limites forçant au réalisme
Car les limites économiques émergent très rapidement. La plupart des associations, « faute de budget » ne fonctionne que sur la base du bénévolat, et les volontaires « fatiguent vite ». « C’est une bataille du quotidien » pour continuer à faire vivre le dispositif. Autre point de tensions, le manque de soutien par les autorités locales : « Quand elles participent, ça a des effets positifs : elles peuvent subventionner, participer au circuit en acceptant la monnaie locale, ou éventuellement en dépenser elle-même. » Sur ces deux derniers points, une entrave judiciaire n’est pas encore complètement levée : « Les collectivités n’ont pas le droit d’encaisser, de garder et de décaisser des monnaies locales », ce qui les oblige à « passer par l’intermédiaire des associations » pour participer. Le format de la monnaie locale pose aussi problème : « à la base c’est du papier et si on veut que ça se diffuse et que les entreprises les utilisent entre elles, il faut des formes numériques. De plus en plus en développe, mais ce n’est pas suffisant et c’est aussi une forme de blocage pour certaines d’entre elles ». L’impact est enfin et surtout limité par un faible nombre d’utilisateurs : « à Lyon, un habitant pour mille de l’agglomération [comptant un million et demi d’habitants] utilise la Gonette. Et ceux qui l’utilisent ne le font pas quotidiennement ».
L’impact des monnaies locales est donc moins économique que social, même si l’on observe des changements de pratique chez les professionnels et les particuliers, qui « développent leur échange avec d’autres professionnels membres », eux aussi « filtrés» par le contrôle citoyen. Ce n’est pas « massif », mais ça reste « positif ».
S’humaniser
De toute manière, l’objectif affiché par la plupart n’est pas de « devenir gros », mais de « mobiliser des gens autour du projet, de changer leurs pratiques de consommation, et leur représentation de la société. Puis de diffuser : le fait d’avoir en France presque 80 monnaies locales est déjà une réussite en soi ». En fait, ces projets ont « une valeur qui dépasse leur réalisation ».
Et cette valeur est sociale. La mobilisation et les discussions collectives nécessaires pour faire vivre l’idée permettent de faire des rencontres, d’avoir le sentiment de faire quelque chose de bien. Ce sentiment de cohésion sociale est un élément presque plus important que la réussite économique pour les adhérents. Tout ça, « ça fonctionne à l’enthousiasme ».
Titouan Catel-Daronnat
Zoom sur…
Les monnaies locales lilloises
Les monnaies locales lilloises se développent très rapidement. Elles sont limitées par une aire géographique qui ne dépasse pas les frontières de la Métropole Européenne de Lille (MEL).
Pourquoi créer ces monnaies ?
L’association Monnaies Locales – Métropole Lilloise (MLML) exprime sa volonté de « reprendre collectivement la main pour engager une transformation écologique et sociétale ». D’une part, cela permet de créer de la cohésion entre les citoyens eux-mêmes et les entreprises qui s’accordent pour consommer et produire sous de nouveaux modèles. D’autre part, ces monnaies favorisent le développement d’une économie locale qui viserait à agir sur les plans « écologique et social ».
Comment la MEL s’y prend ?
Deux monnaies ont été créées : une monnaie complémentaire « citoyenne » et une monnaie de type « crédit interentreprises », rapporte l’association MLML (https://mlml.fr/spip.php?article1). Chaque citoyen peut l’utiliser lorsqu’il consomme et les entreprises s’en servent entre elles dans leurs « échanges interprofessionnels.»
Schéma du fonctionnement du système de monnaie locale complémentaire citoyenne.
© Site Monnaies Locales de la Métropole Lilloise
Comment intégrer le programme ?
La MLML indique qu’il y a deux cas de figures :
Si vous êtes un commerçant, un producteur ou un artisan, votre siège social doit se situer au sein de la MEL et être adhérent de l’association MLML. Vous serez ainsi habilité à recevoir des
paiements en Monnaie Locale Complémentaire Citoyenne (MLCC) et serez invité à utiliser cette
monnaie pour payer vos fournisseurs.
Si vous êtes un particulier, vous devez habiter au sein de la MEL et être adhérent de
l’association. Vous aurez ainsi accès à la MLCC et pourrez échanger vos euros à un comptoir
de change. Cet argent sera crédité soit sous forme de billets, soit sur un compte dédié. Vous
obtiendrez une carte de paiement spécifique, que vous pourrez « utiliser […] chez tous les
commerçants faisant partie du réseau monétaire », assure la MLML.
Rudy Cossec