Logement des exilés mineurs, une association pallie un manque de l’État à Wattignies
Depuis 2017, le Centre de la Réconciliation, met à disposition une fermette à une quinzaine de jeunes exilés en attente de reconnaissance de minorité. Ce projet s’inscrit dans une logique d’insertion et d’accompagnement des mineurs exilés, souvent délaissés par l’Etat français.
C’est pour combler les manquements de l’Etat que la maison a été mise à disposition du Centre de la Réconciliation, une association qui aide les mineurs non accompagnés. L’objectif : permettre à des jeunes de s’insérer dans la société et d’être logés jusqu’à leur prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), ou, s’ils ne sont pas reconnus mineurs, jusqu’à leur majorité. Juridiquement, chaque jeune en attente de reconnaissance de minorité (Lire plus bas) doit être pris en charge par l’ASE pendant toute la procédure, recours compris. Or, incivisme étatique ou stigmatisation structurelle, dans les faits, ils ne sont pas pris en charge.
L’entrée de la maison se fait par une petite porte à l’arrière, qui donne directement sur le dortoir. Meublé de 15 lits superposés séparés de quelques dizaines de centimètres, d’un paravent, d’une armoire et de quelques tapis de prière, l’intimité n’est assurée que par des rideaux qui séparent chaque lit. Il faut ensuite traverser une petite cour, où trône un vieil olivier, pour arriver dans la pièce principale. Il y fait froid, le chauffage ne fonctionne pas. Dominique, un des bénévoles, explique pourtant que l’isolation vient d’être finie, et que comparé à l’hiver dernier, il y fait bon.
« Ici, c’est une vrai famille d’accueil ! »
Un mineur exilé logé par le Centre de la Réconciliation
Les jeunes se rejoignent dans le salon, pour allumer un feu de cheminée et se blottir devant. Malgré les travaux qui ont déjà été réalisés (toiture, isolation…), la maison reste tout de même assez vétuste. Mais « même si ce n’est pas le grand luxe », les jeunes expliquent que la maison leurs offre un foyer et un toit sous lequel dormir. « C’est toujours mieux que de dormir dehors ou sous une tente ». Ils sont rapidement rejoints par quelques bénévoles, qui apportent les courses de la semaine. La pièce s’anime alors rapidement et la chaleur se met à remplir la pièce : les “parrains“, comme ils s’appellent, enlacent joyeusement les jeunes, tout en se partageant les dernières bonnes nouvelles.
Les jeunes y vivent en semi-autonomie, les quinze bénévoles essayent de se relayer et d’y passer tous les soirs. Un grand tableau blanc dans la cuisine sert à répartir les tâches entre tous les jeunes : ménage, repas, vaisselle… Taquin, Dominique rappelle que « ça reste des adolescents normaux, il faut parfois repasser après eux ! ».
Un tremplin pour l'insertion
La maison ne leur apportent pas seulement un endroit où dormir. Pour y habiter, il faut être scolarisé. Ceux qui n’ont pas de formation passent donc quelques heures par jours à l’Ecole Sans Frontière, un dispositif mis en place le Centre de la Réconciliation pour les mineurs isolés, où ils suivent par exemple des cours de français, de maths ou de géographie, dispensés par des bénévoles du Centre. Pour nouer des liens et leur permettre de décompresser, le Centre organise également chaque été une semaine de vacances dans une maison prêtée par le Secours Catholique. Les jeunes nouent des liens forts avec les bénévoles, qui leur apportent une certaine stabilité. « Ici, c’est une vraie famille d’accueil », déclare l’un d’eux, souriant.
La maison est donc un réel tremplin pour une insertion en société. Elle leur apporte non seulement un logement, mais aussi un enseignement, indispensable pour entrer dans la vie active. Quand on les interroge sur leurs projets futurs, les jeunes s’autorisent à rêver : ils veulent être boulanger, électricien, ou encore footballeur…
Célia Cade
"Combler les manques de l'État"
En arrivant sur le sol français, les jeunes exilés n’ont qu’un souhait : être reconnus mineurs, « le Graal » nous explique Chantal, bénévole au Centre de réconciliation. La recherche de cette reconnaissance s’avère être un véritable parcours du combattant. Les jeunes passent tout d’abord une évaluation physique, des tests osseux, d’ailleurs vivement critiqués par la communauté scientifique pour la marge d’erreur de 2 ans. Ils doivent ensuite délivrer aux autorités un certain nombre de papiers officiels. Ces papiers proviennent de leur pays d’origine dont l’administration diffère de celle de la France, parfois très tatillonne : « Les autorités peuvent refuser des papiers parce qu’il y a certaines erreurs, qui ne sont pourtant pas du ressort des jeunes mais de l’administration de leur pays ». Ils passent enfin un entretien avec un juge, qui va déterminer de la reconnaissance ou non du statut de mineur. « Ils nous demandent beaucoup de détails », nous raconte un des jeunes, comme la date à laquelle ils sont partis de leur pays d’origine pour rejoindre la France, « comme s’ils s’en préoccupaient à ce moment-là », soupire Chantal, exaspérée.
L’évaluation de leur dossier et la prise de décision du juge prend la plupart du temps quelques jours. Si la reconnaissance leur est refusée, ce qui est bien souvent le cas, les jeunes peuvent faire un recours. La réévaluation de leur dossier peut alors prendre jusqu’à 2 ans ! « Ils sont complètements dépendants des juges », s’indigne Chantal. En attente de reconnaissance, l’État est censé loger et nourrir ces jeunes, à travers l’Aide Sociale à l’Enfance. Or, quand ils sont en situation de recours, beaucoup d’entre eux sont livrés à eux-mêmes et ne sont pas pris en charge. Cette situation émane d’un problème de financement de l’ASE, résultant d’une volonté politique.
Cette situation met l’Etat en situation de hors-la-loi, ne respectant pas l’article 3-2 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Cet article stipule que les Etats doivent s’engager « à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, (…) et prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées ».
Ni mineurs, ni majeurs, les jeunes exilés ne bénéficient alors d’aucune aide. « Sans les associations, ils seraient tous à la rue », affirme Chantal. Finalement, l’impression qui règne ici, c’est de « combler les manques » de l’Etat, qui refuse de prendre sa part et de venir en aide aux jeunes exilés.
Rémi Babonneau
Dominique Saint-Machin, bénévole auprès du Centre de la Réconciliation, raconte la genèse du projet de la Maison de Wattignies.
Vidéo de Vincent Brunet