Et si le suivi de l’actualité était vu comme une aide cruciale pour la réinsertion?
Depuis 2022, l’association des Jeunes Européens propose des interventions en milieu carcéral pour apporter un suivi de l’actualité et un point de vue sur le monde extérieur aux détenus. Un des objectifs de l’association : améliorer les conditions de réinsertion dans la vie publique, sociale et politique.
Les Jeunes Européens est une association lilloise rassemblant les jeunes de moins de 30 ans “désireux d’agir en faveur de la construction européenne et de mettre en œuvre une Europe plus démocratique dans une optique fédérale”, comme l’indique leur site officiel.
Leurs actions sont multiples : ils écrivent des articles pour leur webzine Le Taurillon, font des cafés-débats, des actions de rues et enfin des interventions dans des établissements scolaires et en milieu carcéral.
Ces interventions créent un lien entre les détenus et le monde extérieur, ce qui leur permet d’avoir un autre regard sur l’actualité. Ces types d’actions sont essentielles à une bonne réinsertion et encore trop peu nombreuses. Le gouvernement ne s’en soucie pas.
Le gouvernement aveugle
Le gouvernement est dans l’optique de construire de nouvelles places en prison pour “améliorer les conditions de vie des détenus”. Cependant, comme l’a rappelé en 2018, Adeline Hazan, ex contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, « plus on construit de prisons, plus on les remplit ». Augmenter le nombre de places n’apparaît donc pas forcément comme une réponse aux mauvaises conditions de détention. Ce fait ne prend en tout cas pas en compte la problématique des difficultés de réinsertion. En 2009, le rapporteur du projet de loi pénitentiaire, le sénateur Jean-René Lecerf, posait ce constat : « Force est de constater que […] le temps de l’incarcération qui devrait être un temps utile reste, en fait, un temps mort. »
Si la promiscuité liée à la surpopulation carcérale nuit gravement aux conditions de détention et au travail introspectif qui serait nécessaire à un recul sur les actes commis, bien d’autres actions sont aujourd’hui nécessaires à une sortie réussie de prison.
Si les détenus bénéficient de sources d’information leur permettant de suivre l’actualité comme le reste de la population, les canaux d’informations dont ils disposent restent très restreints et surtout souvent biaisés par l’entre-soi. La détention et la promiscuité accentuent encore ce phénomène et n’offrent que très peu l’occasion d’ouvrir son horizon.
Un autre regard
Permettre d’entendre un autre point de vue, de débattre sur des sujets de société, politiques ou encore économiques, c’est l’un des rôles de l’association des Jeunes Européens lorsqu’ils interviennent en milieu carcéral. Nino Marie, membre de l’association, se rend régulièrement au centre pénitentiaire d’Annoeullin. Il témoigne des échanges qu’il a pu mener là-bas. Les sujets abordés sont souvent en rapport avec l’actualité : « En avril 2022, les débats étaient orientés vers des sujets tels que les programmes des candidats aux élections présidentielles françaises dans certains domaines comme l’environnement, l’économie, l’Europe… Nous avons abordé les modalités de vote, les grands enjeux de la présidentielle. Lors de notre dernière intervention, en octobre, nous avons abordé la problématique énergétique, la guerre en Ukraine et la montée de l’extrême droite en Europe.»
Avoir des débats avec des détenus est primordial, cela permet de mieux appréhender la perception des détenus sur le monde et d’exercer leur esprit critique : « Les Jeunes Européens ne font pas d’éducation, mais apportent un nouveau point de vue, un point de vue plus posé, moins orienté extrême droite. Cela permet aux détenus de s’ouvrir sur le monde d’une différente manière. »
Ce pas de côté, offert par ces temps d’échanges, est loin d’être anecdotique. C’est la multiplication de ce type d’initiatives qui peut demain faire la différence pour ouvrir un autre champ des possibles dès la sortie de prison.
Anouk Gonet
Un point sur :
La faillite du système carcéral français
72 836 détenu(e)s pour 60 698 places prévues : ce sont les chiffres révélés en décembre dernier par la Ministère de la justice dans son rapport mensuel sur l’état de ses établissements pénitentiaires. Le constat est clair : la densité carcérale française affiche un chiffre record avec des prisons et maisons d’arrêt occupées à 120% de leur capacité d’accueil. Six établissements pénitentiaires dépassent même les 200% de capacité carcérale. C’est le cas des maisons d’arrêt de Nîmes et de Carcassonne, qui sont les plus saturées.
Déjà condamnée à plusieurs reprises par le passé, y compris par la Cour européenne des droits de l’Homme, la surpopulation des prisons françaises s’est aggravée avec des conséquences directes sur les conditions de détention. Cellules insalubres, promiscuité, carence en matière d’offres d’activités, d’emplois et de prise en charge médicale : autant de conditions qui dénaturent l’une des missions de la justice française : accompagner la réinsertion, ou l’insertion, une fois la peine d’emprisonnement achevée. C’est aujourd’hui plus de 2 000 détenus qui dorment sur des matelas à même le sol et de nombreux qui ne sortent de leur cellule que moins de quatre heures par jour, manque de moyens mis à disposition dans la gestion des prisons.
Face à son incapacité à désengorger ses prisons, le gouvernement a annoncé la création de 15 000 nouvelles places d’ici à 2027. Solution sans effet sur la surpopulation carcérale. En effet, les expériences passées ont montré que l’accroissement des capacités d’accueil des prisons conduisait inexorablement à l’augmentation des condamnations prononcées par la justice française, qui n’a principalement recours qu’aux peines d’emprisonnement, laissant de côté toute peine alternative.
Emma Faure