Les victimes de violences policières face à l’appareil judiciaire
Les violences policières sont aujourd’hui un phénomène de société. Le collectif Désarmons-les s’en empare en 2012 à la suite des violences répressives à Notre-Dame des Landes. Progressivement iels s’orientent vers les victimes et leurs familles afin d’apporter un soutien aussi bien émotionnel que financier.
Théo, Adama Traoré, Steve, tous ces noms ont fait à un moment la Une de l’actualité et possèdent un point commun : leurs porteurs ont tous été victimes de la répression d’État par la police. Chaque année de nombreux-ses policier-ères sont accusé-e-s de violence « illégitime ».
"La justice dans le camp de la police"
A l’occasion de la projection de son film À nos corps défendants, nous avons pu rencontrer Ian B., l’un des membres de Désarmons-les. Pour le collectif, aucune violence ne peut être légitime. « Depuis le 19e siècle, la fonction sociale de la police est de protéger l’ordre établi et de protéger les possédants et les dirigeants. Nous considérons que l’ordre établi n’a pas à être protégé puisqu’il est répressif. Donc la violence ne peut pas être légitime. » Cette définition, qu’il considère lui-même comme radicale, a une limite : celle de la légitime défense. « Dans le Code pénal de 1994, il y a un article sur la légitime défense qui instaure des cadres à ce propos qui sont les mêmes pour tout le monde, policier ou pas policier. C’est le seul cadre que nous pouvons comprendre et accepter. »
En 2017, une loi est passée accordant aux policiers la présomption de légitime défense. Cette dernière est fortement critiquée par Désarmons-les : « Les lois d’exceptions sont les premiers pas vers la dictature. » Lorsqu’on accompagne les familles des victimes, l’articulation entre l’appareil judiciaire et la police est un sujet primordial. Pour le collectif, la justice n’est pas dans le camp de la population mais de la police. « Porter plainte apporte des réponses donc ce n’est pas à négliger mais dans la quête de justice il n’y a aucun intérêt. Tu vas juste être frustré, humilié et violenté en justice. Il y a le premier traumatisme qui est la violence policière puis un deuxième qui est la perte de confiance dans les institutions, c’est tout un monde qui s’effondre. »
"Le système aujourd'hui est raciste"
Depuis quelques années, plusieurs éléments ont entraîné une réelle prise de conscience sur les violences policières. Parmi les événements marquants, on compte la mort d’Adama Traoré en 2016, le mouvement des gilets jaunes en 2018 lors duquel on a pu assister à des scènes de violences un peu partout, avec notamment des hommes et des femmes mutilé-e-s et également la mort de George Floyd (aux Etats-Unis cette fois) en 2020. Cette prise de conscience entraîne une modification des actions de Désarmons-les. « Aujourd’hui les gens concernés obtiennent les informations utiles très vite, c’est nouveau. Nous, on essaye d’abord de manière humble d’envoyer des messages pour proposer notre aide. Si les gens ne répondent pas, nous envoient promener, on n’insiste pas. Nous suivons la temporalité en essayant de politiser les choses en assumant que l’institution policière n’a pas vocation à exister, on est là pour déconstruire son rôle social. »
La question du profil des victimes n’est pas négligeable puisque de récentes études montrent que le traitement des personnes racisées n’est pas le même que celui des personnes blanches. Selon le Défenseur des Droits, aujourd’hui 80% des jeunes noirs et arabes ont déjà été contrôlés contre 16% en moyenne pour le reste de la population. Ian B. explique : « Le système aujourd’hui est raciste. Les fondements de la République française c’est la colonisation. Ainsi quand tu es policier, que tu sois racisé ou non, tu rentres dans un système et tu en adoptes les codes. »
Bastien Grossin
Les violences policières dans les séries
Les séries policières ne manquent pas dans les programmes TV. Selon un rapport de l’U2R*, en 2021, parmi les fictions diffusées par le service public, 85% étaient des fictions policières.
Cependant, ces séries ne font pas forcément réfléchir sur les violences policières ou le racisme institutionnel. Au contraire :
1. La violence légitimée
Les policiers y sont montrés comme les gardiens de l’ordre qui font face à des criminels ultra-violents. En face, les policiers répondent à la violence par la violence. Ce « privilège » de la brutalité et de l’usage des armes est accordé et légitimé dans les séries policières. La violence devient un aspect essentiel et nécessaire à leur travail.
2. Le point de vue interne
La perspective donnée par ces séries est celle des policiers eux-mêmes : les héros de ces fictions. Les thématiques abordées tournent autour de faits divers, crimes, trafics de drogue… plutôt que sur les questions des bavures policières et des injustices envers les personnes racialisées, qui amèneraient le spectateur à y réfléchir.
3. Des auteurs blancs
Sur 26 séries examinées pour une étude de Color of Change**, 81% de leurs auteurs étaient des hommes blancs. Ils se situent donc dans une expérience quotidienne différente de celle des groupes minoritaires dans les pays occidentaux, et ne sont pas confrontés directement aux mêmes types de discriminations. Dans ces séries, le fait que des personnes noires soient membres des équipes policières, et des personnes blanches les coupables, peut dans certains cas servir comme un moyen de nier et passer sous silence les inégalités raciales perpétrées dans la réalité. Cette réalité où les personnes racialisées ont plus de chances de se faire interpeller et être condamnées que des personnes blanches.***
* Union des Réalisatrices et Réalisateurs
** Rapport de Color of Change et de l’USC Annenberg Norman Lear Center – Janvier 2020
*** Enquête de 2017 par les Défenseurs des Droits Jacques Toubon, étude par le National Registry of Exonarations
Clara Garaud